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Chapitre II. La représentation de l’environnement naturel et urbain de l’Arabie Heureuse

II. 3 3 Le paysage urbain à travers la description des château

1 Ahl-el-Kahf (les gens de la Caverne), en arabe, sont les sept Dormants dans la tradition occidentale. Sur ce

point, voir Louis Massignon, « Le chute liturgique et populaire des Sept Dormants Martyres d’Ephèse : trait d’union Orient-Occident entre l’Islam et le Chrétienté » (1961), in Opera Minora, III, P.U.F., 1969, p. 104- 180, et Les Sept Dormants d’Ephèse en Islam et en chrétienté, Geuthner, 1955.

2 Botta, p. 108. 3 Tamisier, p. 350.

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Les voyageurs français qui sont arrivés jusqu’à Mouab, la demeure du roi de l’Arabie, ne parlent pas dans leurs récits de la ville de Mouab, mais de la résidence du roi et de ses châteaux et jardins. Mouab est située sur une éminence qui domine la plaine de Damar. Malgré la réputation du château du roi à Mouab, les voyageurs français le trouvent simple dans sa structure et son ornement. Jean de La Roque montre dans son récit que « quoique ce palais soit grand et commode à la manière du pays, rien n’est plus simple, et moins recherché que sa structure ; comme rien n’étonne aussi d’avantage, et que la simplicité des meubles, et des autres ornements intérieurs1 ». L’abbé de La Porte donne presque la même opinion à propos des châteaux du roi :

Une de ses maisons de plaisance qu’il affectionnait fort, et qui n’est située qu’à une lieue de Mouab, m’a paru d’un dessein assez correct ; aussi l’appelle-t-on le Palais des Grâces ; et le roi la regardait comme son chef-d’œuvre2.

Les voyageurs regardent les châteaux du roi du Yémen comme de simples édifices par rapport à ce que les rois de France possèdent. L’art de bâtir des châteaux, en Arabie Heureuse, leur paraît simple alors que le roi lui-même considère ses châteaux comme un chef-d’œuvre d’art pour un pays où la modestie domine dans tous les aspects de la vie du peuple. Cette simplicité des châteaux du roi pourrait être un signe de l’état de l’urbanisme de ce pays. Selon La Roque et La Porte, la religion musulmane est pour beaucoup dans tout cela, car le roi, ses ministres, les cadis et les officiers de justice « ont pour principe d’affecter une grande modestie dans leurs habits et dans leur logement3 ». Ces rois n’ont pas établi leur résidence dans les grandes villes mais dans des endroits qui ont plusieurs caractéristiques : le climat, la fortification et la situation géographique facilitant les déplacements entre plusieurs villes.

Un autre aspect du paysage urbain se dessine à travers la description des anciens châteaux des cheiks, que Paul-Emile Botta compare aux « anciens châteaux de féodalité ». L’auteur décrit le château de Cheikh Hassan, qu’on appelle château de Mammara, qui ressemble au château du roi à Mouab dans son aspect artistique. Pourtant, bien que l’art, dans ce château comme dans d’autres, soit « irrégulier », cet édifice offre un paysage typique qui reflète plusieurs traits de la vie dans ce château :

1 La Roque, p. 244. 2 La Porte, p. 330. 3 Ibid., p. 333.

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Les murailles très élevées, solidement construites en pierre et proprement blanchies à la chaux, suivant tous les accidents du terrain, et avec leurs créneaux et leurs tours offrant un ensemble très pittoresque et tout à fait semblable aux anciens châteaux de féodalité1.

Cette simplicité de l’art de bâtir est renforcée par la description que l’auteur donne de l’intérieur du château où il y a une enceinte de bâtiments avec une mosquée. L’accès au château se fait par une entrée et « un long passage voûté de chaque côté duquel il y [a] des estrades sur lesquelles se [tiennent] les soldats de garnison2 » et cette voûte donne sur une

cours « irrégulière ». Ce même art de bâtir se trouve également dans le château du même cheikh à Hais. La simplicité dans la construction paraît également dans le salon du cheikh où il reçoit les gens :

Je fus introduit auprès du cheikh Hassan, qui était assis sur un divan couvert d’un simple tapis, à l’extrémité d’une longue salle très-propre, et n’ayant rien de remarquable qu’une espèce d’étagère qui en faisait le tour, et sur laquelle il y avait quelques pots de porcelaine et des bouteilles de cristal de formes variés, ornées de dessins de diverses couleurs, et à ce que je crois, d’ancienne fabrique persane3.

Grandpré parle d’une « architecture grossière et sans principe4 » en Arabie Heureuse.

Il rajoute que les plus grands édifices ont un rapport avec « l’ordre gothique ». Il donne comme exemple la mosquée de Moka dont « du moins les cintres sont gothiques, les voûtes sont ogives, et supportées par des piliers qui [lui] ont paru du même ordre5 ».

Les châteaux, en Arabie Heureuse, font partie de son paysage urbain mais ce paysage, quoiqu’il paraisse parfois sans goût ou irrégulier ou grossier, reflète un usage et une coutume inspirés, selon plusieurs auteurs, par la religion. Pour Grandpré, elle « leur interdit la peinture et la sculpture6 » et leur inspire la simplicité et la modestie. Il faut mentionner que ces représentations de l’art de bâtir sont basées sur les références des voyageurs. Il s’agit des cinq ordres grecs et romains sur lesquels sont construits les édifices en France.

1 Botta, p. 40. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 41. 4 Grandpré, p. 227. 5 Ibid. 6 Ibid.

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Les voyageurs français de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle recherchent une esthétique romantique dans certains paysages urbains ou naturels : les minarets des mosquées blanchies, les terrasses des montagnes, le paradis d’Aden et les ruines du château de la fiancée (Hosn el-Arous) au sommet du mont de Saber d’où l’on peut découvrir deux mers et le continent africain. Leur esthétique romantique prend surtout son ampleur dans la description de la population et certaines scènes arabes qui paraîtraient étranges pour un Européen. Nous essayerons de le montrer dans la description du paysage humain en Arabie Heureuse. Enfin, la confrontation avec un « espace autre » débouche bien souvent sur une rencontre conflictuelle, compétitive, parfois myope mais elle permet cependant à certains de décrire la réalité. Chez d’autres, elle favorise le développement d’un imaginaire particulier, toujours riche de sens donnant lieu à l’ « imaginaire vrai, la littérature1».

1 J’emprunte cette expression à François Moureau, « L’imaginaire vrai », in Métamorphoses du récit de voyage,

Préface de Pierre Brunel, Paris, Genève, Champion et Slatkine, 1986, p. 167. [Actes du Colloque de la Sorbonne et du Sénat, 2 mars 1985, Recueillis par François Moureau.

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