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Chapitre III. Les récits de voyages de la première moitié du XIX e siècle

III. 2 1 Le dialogue au centre du récit de voyage

Maurice Tamisier est un voyageur français né au Sommail (Aude) le 23 décembre 1810. A vingt et un ans, il a l’intention de découvrir l’Orient. L’occasion se présente d’être secrétaire de Chédufau, un médecin en chef des troupes égyptiennes de Mohamed Ali envoyées dans la Péninsule Arabique pour y combattre les wahhabites. L’Orient est désormais possible à visiter pour ce jeune français. Il arrive au Caire à la fin de 1833 à l’époque où les caravanes des pèlerins se préparent pour se rendre à La Mecque et il commence son récit par la description de son départ avec les pèlerins. Il visite Djedda, la Mecque et Assir (nord du Yémen). Il fait connaissance avec Edmond Combes, un autre voyageur, qui l’accompagne dans son voyage en Arabie puis en Afrique. Il raconte son voyage dans son récit intitulé Voyage en Arabie1. Il voyage, déguisé en arabe pour passer inaperçu, dans ces contrées jamais visitées par des occidentaux ; la plupart des voyageurs qui l’ont précédé sont arrivés dans la partie sud de l’Arabie Heureuse (le sud du Yémen actuel). Dans son récit, il décrit le pèlerinage, les villes de Djedda et de Taïf, la région d’Assir. Il donne ses impressions sur les bédouins d’Utaiba, de Khamis Muchait et sur la population de Hedjaz et Nadjd. Après son voyage en Arabie, il fait un voyage en Abyssinie, toujours accompagné par Edouard Combes qui l’avait déjà suivi en Arabie, de février 1835 à mars 1837. Il a également publié avec Combes le récit de leur seconde expédition : Voyage

en Abyssinie2. Selon le bulletin de la Société de géographie, Tamisier était officier de la

marine royale3 mais on ignore si c’est avant son voyage en Arabie ou après.

Le Voyage en Arabie de Tamisier est le récit d’une marche militaire contre une tribu rebelle en Arabie dans la région d’Assir4. Cette information peut donner l’idée que le récit est ponctué par les déplacements des troupes d’un camp à l’autre, par l’installation et la

1 Maurice Tamisier, Voyage en Arabie, séjour dans le Hedjaz, campagne d’Assir, Paris, Louis Desessart, 1840,

2 vol.

2 Voyage en Abyssinie, dans le pays des Galla, de Choa et d’Ifat : précédé d’une excursion dans l’Arabie-

Heureuse... 1835-1837, par MM. Ed. Combes et M. Tamisier, Paris, Louis Dessessart, 1838. 4 vol.

3 Nous ne savons pas s’il est officier dans la marine avant son voyage en Arabie ou pendant sa participation à

l’expédition égyptienne en Haute-Egypte. Voir, « Extrait de la relation de voyage de MM. Maurice Tamisier et Edmond Combes, en Abyssinie pendant 1835-1836 », in Bulletin de la société de géographie, Paris, Arthus Bertrand, 2e série, t. VII, janvier-juin 1837, p. 337.

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levée des camps, par les circonstances et les événements relatifs aux situations et conditions de guerre : défaites, victoires, alliances, espionnage, etc.

Les événements de ce voyage ressemblent à ceux du voyage de M. de La Garde- Jazier au XVIIIe siècle dont le but était de bombarder Moka, mais ces deux récits sont très différents. Si le récit de Desfontaines est un compte rendu de l’attaque de la ville de Mok, ce qui implique que le récit est donc rythmé par la situation de guerre, celui de Tamisier, bien qu’il soit dans une situation de guerre, révèle un voyageur assez curieux qui promène ses regards sur l’Arabie et ses Bédouins. Certes, il est très occupé par ses fonctions, mais ses observations et ses entretiens avec les gens de l’Arabie prennent une part importante de son temps. Ce qui donne une originalité à son voyage, c’est que l’auteur évoque certains aspects de la vie privée des habitants, de leurs mœurs, notamment sexuelles.

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Le stéréotype du seigneur arabe et de son harem est dépassé pour donner des descriptions précises des aspects de la vie privée. C’est le cas de celles des Bédouins et de leur commerce suspect, et d’autres transgressions. L’expédition militaire contre l’Assir donne l’occasion, d’autre part, de laisser la parole à des Bédouins pour raconter leur rêve d’unité politique et leur idéal communautaire, comme le montre ce dialogue :

– « La reconstruction de la nationalité arabe serait sans doute un bienfait, et nous tous, enfants de cette terre, nous devons désirer ardemment qu’elle arrive ; mais rappelle-toi que ce but ne sera jamais atteint par un Turc ; il y a une antipathie trop profonde entre l’Osmali et le Bédouin : chacun se croit également né pour commander, et les tribus de l’Arabie ne courberont jamais leur tête devant le bâton d’un pacha. »

– Les Ouahabis seuls me paraissent destinés à relier les peuplades éparses de votre péninsule…

– C’est là notre espoir ; quoique je ne sois pas un de leurs sectaires, je me réjouirais de leur avènement à la puissance, car je suis arabe avant tout1.

Un autre aspect de l’originalité du voyage de Tamisier se dévoile dans la peinture de tableaux résumant la vie quotidienne des pèlerins dans un bateau en direction de La Mecque. L’auteur n’oublie pas les minorités installées en Arabie, leur vie difficile, les conditions de leur immigration : le pèlerinage et le commerce. Il ne manque pas d’évoquer également, d’une manière indirecte, certains aspects de la mentalité des habitants de l’Arabie, leur conception de l’accueil et de l’emploi des étrangers. L’originalité du voyage de Tamisier est renforcée surtout par le dialogue. C’est un élément essentiel dans le Voyage en Arabie qui mérite d’être bien étudié. Le dialogue possède des fonctions multiples qui ne sont pas forcément déclarées explicitement. C’est pourquoi plusieurs questions se posent : Quel crédit donne-t-on au dialogue ? Quel rôle joue cette forme ? S’agit-il d’un simple artifice, présentant une fausse altérité des voix pour mieux faire passer le regard d’un voyageur omniscient ? Finalement, dans quelle mesure les ambitions de l’auteur sont-elles compatibles avec les réalités formelles du récit ? C’est pourquoi nous parlerons ci-après des fonctions du dialogue dans le récit de Maurice Tamisier.

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