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Chapitre III. Les récits de voyages de la première moitié du XIX e siècle

III. 1 2 Objectifs de voyage et d’écriture

1 Voir la couverture ci-dessus.

2 Charles Levavasseur, Esclavage de la race noire aux colonies françaises, Paris, César Rajat-Delaunay, 1840,

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Paul-Émile Botta a été envoyé par le Muséum de Paris au Yémen afin de « recueillir les productions naturelles de la côte de l’Arabie1 ». Il s’agit donc d’un voyage botanique. Son but était, selon lui, de rassembler des plantes sur lesquelles il fallait faire des études. Cela laisse penser, que l’auteur concentre principalement son récit sur l’étude des plantes, le but pour lequel il est parti, et que sa relation est savante. Or, ce n’est pas le cas : son récit ne correspond pas tout à fait à son objectif de voyage ; il n’est pas celui d’un botaniste. Vues les multiples fonctions qu’il avait exercées (médecin, botaniste et archéologue), on ne peut réduire son voyage à la botanique. Il insiste plusieurs fois, pendant son voyage, sur sa volonté de visiter des sites archéologiques : cela laisse planer un doute sur le vrai but de son voyage. N’avait-il pas d’autres buts que le recueil des plantes ? Plus précisément, n’avait-il pas comme autre objectif de voyage de repérer des sites archéologiques et d’examiner leur importance ? C’est peut-être ce qu’il dévoile quand les habitants d’un village lui demandent la raison du voyage au Mont Saber :

J’eus recours à mon prétexte ordinaire, et leur répondis que j’allais sur le sommet de la montagne chercher des plantes médicinales. Ils me déclarent alors qu’ils me permettraient pas d’y aller, parce que le Hons-el-Arous ou château de la fiancée, car tel est le nom qu’on lui donne, était plein de trésors enfouis, et que je venais sans aucun doute pour les enlever2.

Le prétexte donné montre qu’il n’était pas parti au mont de Saber pour faire des recherches sur sa végétation mais pour un autre motif. La curiosité pourrait être le vrai motif, comme il l’a avancé plus tard :

Je n’avais plus à espérer de trouver plus haut une végétation différente de celle que j’avais déjà rencontrée, et il n’y avait plus pour moi qu’un motif de curiosité et de vanité satisfaite qui me fit désirer d’arriver jusqu’au Hons-el-Arous, où jamais Européen n’était parvenu, et sur lequel on débitait des fables merveilleuses3.

Plus loin, on peut découvrir qu’il ne s’agit pas d’une simple curiosité mais aussi de l’intérêt d’un spécialiste :

1 Botta, p. 1. 2 Ibid., p.106. 3 Ibid., p. 107.

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Ayant à peine eu le temps d’examiner les ruines de ce château, il me serait impossible de faire aucune conjoncture sur son origine ; il me parut seulement évident qu’il devait dater d’une époque antérieure à l’islamisme1.

Bien qu’il soit médecin, ses recherches archéologiques et ses découvertes en Iraq, qu’il publie dans Monuments de Ninive, lui donnent le statut d’archéologue. Pendant son voyage au Yémen, il voulait relever des inscriptions archéologiques, mais comme il était très surveillé par ses compagnons, surtout pendant sa visite de Hosn-el-Arous, il n’a pas été très satisfait : « Je regrette vivement que les circonstances ne m’aient pas permis de le visiter avec soin, et d’y chercher des inscriptions qui peut-être s’y trouvent2 ».

Quant à l’objectif d’écriture de son récit, il l’évoque dans son introduction en faisant référence à des écrivains-voyageurs comme Niebuhr, Burckhardt, Walter Scott et Peter Forskal3. Son but était de compléter les données qui étaient déjà connues concernant la contrée visitée. Il s’agit ici d’une intertextualité englobant les procédés de la référence simplement allusive pour assurer ses lecteurs que le but de sa relation n’est pas de reproduire ou de réécrire mais de « compléter les renseignements de ces voyageurs », c’est-à-dire qu’il présente dans son récit quelque chose de nouveau. Ce voyage était prévu comme voyage scientifique mais, en arrivant sur place, le voyageur n’a pas pu suivre son programme. Il était conduit par les gens de la région, ce qui l’a empêché de suivre aisément le but qu’il s’était fixé au départ. A ce propos, Botta prévient le lecteur dans son introduction :

1 Ibid., p.108-109. 2 Ibid., p. 110.

3 Peter Forskal est un voyageur naturaliste d’origine suédoise, né en Finlande en 1732 où son père sert comme

pasteur. Sur les recommandations de Michaelis et avec l’appui de Linné, Forskal a été nommé en 1760 par Frédéric V du Danemark (1723-1766) pour participer à une expédition en Arabie et en Egypte sous la conduite de Carsten Niebuhr (1733-1815). A la fin de 1762, l’expédition arrive au Yémen. Forskal constitue une grande collection d’animaux et de plantes de ce pays mais il meurt de malaria en juillet 1763. Niebuhr, seul survivant de l’expédition, se charge de la publication des manuscrits de Forskal : 1- Descriptiones

animalium, avium, amphibiorum, piscium, insectorum, vermium, quae in itinere orientali observavit Petrus Forskal (1775) ; 2- Flora aegyptiaco-arabica, sive Descriptiones plantarum quas per Aegyptum inferiorem et Arabiam Felicem detexit, illustravit Petrus Forskål,... Post mortem auctoris edidit Carsten Niebuhr (1775) ; 3- Icones rerum naturalium quas in itinere orientali depingi curavit Petrus Forskal,... Post mortem auctoris... aeri incisas edidit Carsten Niebuhr (1776) ; 4- Symbolae botanicae, sive Plantarum, tam earum quas in itinere imprimis orientali collegit Petrus Forskal (1794) ; Dubia de principiis philosophiae recentioris, quae... in Academia regia Georgia Augusta... examini committet Petrus Forsskal (1756).

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Enfin, je prie le lecteur de remarquer que ma route dans les montagnes ayant été dirigée par des circonstances indépendantes de ma volonté, il ne doit pas s’attendre à trouver dans ma relation le récit d’une entreprise déterminée, d’une marche sur un but donné. Je suis allé où j’ai pu aller, où l’on m’a conduit1.

Finalement, si l’auteur s’était fixé un but avant son départ, et s’il n’a pas correctement suivi son programme, sa marche spontanée a pourtant porté ses fruits. L’auteur a laissé au public un récit très riche de renseignements sur l’Arabie Heureuse qu’il n’aurait peut-être pas pu faire en suivant son but de voyage. On ne sait pas exactement si son but de voyage scientifique a été atteint ou non mais, vue l’importance de sa relation de voyage pour apprendre plus sur cette contrée lointaine, on sait au moins qu’il a été satisfait dans son voyage car il a pu réaliser ce que ses prédécesseurs n’avaient pas pu faire. Il a déclaré cela à plusieurs reprises. Pour conclure, le récit de voyage, en dépit de sa vocation référentielle, n’échappe pas à la règle. Bien qu’il affirme refléter le réel dans sa transparence, comme on peut le constater dans la citation ci-dessus, il fait appel aux méditations les plus diverses parmi lesquelles la bibliothèque du voyageur joue un rôle important : des ouvrages lus avant, pendant ou après le voyage, et qui présentent tout un savoir réutilisé dans le récit du voyage. Cette notion d’intertextualité, dans tous ses procédés (allusion, citation et réécriture), sera traitée dans un autre chapitre.

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III. 2. Voyage en Arabie de Maurice Tamisier

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