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3 2 La contribution des voyageurs arabo-musulmans dans le développement de la cartographie

Chapitre I. Les sources savantes sur l’Arabie

I. 3 2 La contribution des voyageurs arabo-musulmans dans le développement de la cartographie

Il est difficile de présenter en quelques lignes l’apport des savants arabo-musulmans dans le développement de la cartographie, toutefois un pré-exposé sera important. Pendant la période du Ve au XIIIe siècles, période de stagnation des sciences en Europe, les Arabes

connurent une grande évolution scientifique dans plusieurs domaines, parmi lesquels la cartographie. Ils ne se sont pas contentés de traduire et de transmettre les ouvrages des anciens, ils se sont livrés au voyage et à la découverte des régions inconnues. Ils ont parcouru des contrées lointaines dans plusieurs directions et avec plusieurs objectifs. Tout a commencé après l’apparition de l’Islam au VIIe siècle et durant le Moyen Âge. Leurs

voyages aux différents objectifs se sont multipliés et furent les principales ressources de la cartographie. Les informations géographiques collectées étaient très importantes pour un Etat qui s’étendait du milieu de l’Asie jusqu’en Andalousie. Leur pensée géographique a atteint son apogée aux IXe et Xe siècles avec Al-Kindî, Al Khawarizmi, le marchand Sulayman, Al-Balkhî. Elle a contribué au développement de la pensée géographique moderne et a donné lieu aux illustres travaux de géographie historique de nombreux orientalistes. L’apport arabe à la pensée géographique durant ces deux siècles est donc important.

Les travaux se sont poursuivis par la suite durant les XIIIe et XVe siècles, surtout

avec des noms comme Al Biruni, Al Bakri, Ibn Hawqal, Ibn Fadhlân, ou Ibn Khaldun. Leurs œuvres ont alimenté directement la Renaissance européenne notamment en matière de cartographie et de navigation mais aussi en mathématiques et en astronomie. Le développement de leurs connaissances en astronomie, doublée de la multiplicité de leurs voyages commerciaux, religieux, scientifiques ou diplomatiques, tant par voie terrestre que maritime, leur permit, dès le Moyen Âge, d’acquérir un grand savoir dans le domaine de la géographie et d’avoir, entre autres, une très bonne maîtrise de la Mer Rouge, du Golfe Arabique, de l’Océan Indien jusqu’à la côte occidentale de l’Inde. Joachim Lelewel consacre le deuxième chapitre de sa Géographie du Moyen Âge à la géographie arabe. Le titre de son ouvrage résume son point de vue : La géographie arabe, engendrée par une production

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grecque, grandit de ses propres investigations. Dans ce chapitre, l’auteur présente l’ouvrage

arabe Rasm comme une traduction de celui de Ptolémée1. Selon plusieurs auteurs, les premières traductions des livres arabes au latin commencent au XIe siècle. Au VIIIe siècle, la géographie arabe commence avec la traduction des deux ouvrages de Ptolémée : l’Almageste, traduit cinq fois et la Geographia, traduite trois fois. Pour Le Vicomte de Santarém, la géographie arabe commence au IXe siècle avec les deux califes Abassides Haroun Al-Rashid et Almamoun : « On peut dire qu’ils devinrent les dépositaires d’une grande partie de la science connue, et la transportèrent en Occident2 ». Muhammad Ibn Musa al-Khwarizmi composa, dans la première moitié du IXe siècle, le Surat al-ard (Image de la terre), une révision de l’ouvrage de Ptolémée qui contient de nouvelles tables de coordonnées géographiques et des cartes. Ce sont la curiosité, le commerce, les conquêtes, les missions religieuses qui poussaient les voyageurs musulmans à atteindre les Indes, la Chine, les îles Khalidats (les îles Canaries) et les Alpes.

L’Arabe est voyageur dans l’âme. Au cours de ses pérégrinations, il cultive le principe de fraternité communautaire et fait partager à ses lecteurs le fruit de son expérience et les informations glanées. Au VIIIe siècle, l’érudit arabe Al Shafi’i3 n’est pas seulement un voyageur qui a partagé ses expériences avec les lecteurs mais aussi celui qui les a encouragé à voyager dans les vers suivants4 :

Quitte la patrie pour la quête des hautes places et voyage !

car le voyage a cinq avantages : se distraire, gagner la vie,

1 Joachim Lelewel, Géographie du Moyen Âge, Bruxelles, chez V. et J. Pilier, 1852, t. 1, p. 19.

2 Manuel Francisco de Barros Santarém, Essai sur l’histoire de la cosmographie et de la cartographie pendant

le Moyen Âge, Paris, Maulde et Renou, t. 1., 1849, P. 323.

3 Al-Shafi’i, ou Shafi’i, ou encore Schafei selon la Bibliothèque orientale, est le surnom d’Abou Abdullah

Mohammed Ben Idris, descendant d’Abdulmathaleb, aïeul du prophète Mohammed. Il naquit à Gaza en Palestine en 150 de l’hégire. Il est le troisième des quatre fondateurs des écoles juridiques sunnites en Islam (hanafite malikite, shaféite, hanbalite) et il fit de nombreux voyages pour enseigner sa doctrine. Les opinions sur la quantité des ouvrages d’Al-Shafi’i sont nombreuses mais le Kitâb al-fihrist de Ibn Nadîm en donne une liste approximative: entre cent dix-neuf et cent quarante-deux parmi lesquels on trouve un Recueil de

poésie où il incite les gens à voyager en exposant les avantages du voyage.

4 Le recueil de poésies d’Al Shafi’i n’a pas été traduit et c’est pour cela que nous avons dû traduire ces vers

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acquérir les sciences, les mœurs et l’amitié d’un bon homme1.

Un grand nombre de voyageurs de l’Orient et de l’Occident du monde musulman, tels qu’Ibn Fadlân2,Al-Idrisi3, Abulféda4, Ibn Battuta, Massoudi et Ibn Jubayr5 ont parcouru

l’Inde, l’Extrême Orient, l’Afrique et même l’Amérique, traversant les capitales de l’Europe et ses villes les plus importantes. Ils nous ont laissé, par conséquent, un nombre impressionnant de manuscrits relevant aussi bien de la relation de voyages que de la géographie, où ils décrivent la vie de l’autre, ses us et ses mœurs, l’arvchitecture de ses villes et la situation générale. Sur le plan géographique, leurs ouvrages comportent de nombreuses indications sur les localités et les distances qui les séparent, une description de nombreuses particularités, ainsi que, pour quelques-uns, des cartes.

Nous pouvons diviser l’apport des savants du Moyen Âge islamique à la cartographie en trois catégories. Tout d’abord, les cartes du monde dont l’exemple est celle d’’Al- Ma’Mun au IXe siècle. Selon l’historien et géographe Al-Mas’udi (fin du Xe siècle), cette

carte était supérieure à celle de Ptolémée. Les cartes de Qurra Ibn Qamita Al-Harrani et du calife fatimide al-Mu’izz, qui ont vécus tous les deux dans la deuxième moitié du Xe siècle,

ont également disparu. La deuxième catégorie comprend les cartes itinéraires qui sont destinées à un usage pratique immédiat. On peut citer Kitab al-masalik wa al-mamalik au IXe siècle (ouvrage des itinéraires et des royaumes). Quant à la troisième catégorie, il s’agit des cartes du monde avec indication de la direction de la Mecque. La nécessité de connaître la direction de La Mecque chez les musulmans pour pratiquer la prière a fait naître ce type de carte tout à fait particulier à l’Islam. La solution de ce problème spécifique est le résultat des efforts que les astronomes, les mathématiciens et les cartographes du Moyen Âge

1 Imam Mohammed Al Shafi’i, Recueil d’Al Shafi’i, textes réunis et annotés par Soulaiman Al Bawab, texte

en arabe, Damas, Edition Al Hikma, [année ?] p. 28-29. Notre traduction.

2 Ibn Fadlân est un voyageur arabe qui s’est rendu de l’Irak jusqu’en Chine et en Inde. 3 L’ouvrage le plus célèbre d’Al-Idrisi est Description de l’Afrique et de l’Espagne.

4 Jean de La Roque, d’après lui, s’est appuyé sur la géographie d’Abulféda pour décrire l’Arabie dans ses deux

récits Voyage de l’Arabie heureuse (1715) et Voyage fait par ordre du Roy Louis XIV dans la Palestine, vers

le grand Emir, Chef des Princes Arabes du Désert (1717).

5 Pour plus de détails sur ces voyageurs arabes, voir : Paule Charles-Dominique, Voyageurs arabes , Ibn

Fadlân, Ibn Jubayr, Ibn Battûta et un auteur anonyme, Paris, Gallimard, 1995 ; Blanche Trapier, Les voyageurs arabes au moyen âge, Paris, Gallimard, 1937.

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islamique ont déployés dans la détermination de la qibla pour toutes les régions de culture islamique.

Dans sa Bibliothèque orientale, Barthélemy d’Herbelot confirme la contribution des Arabes à la géographie et transcrit le mot en arabe Giagrafiah : « La géographie. Mot que les Arabes ont corrompu de Grec. Cependant les livres que les Arabes, Persans et Turcs ont composé sur cette science, ne portent guerre ce titre1. » D’Herbelot mentionne plusieurs géographes de l’Orient musulman comme Al Balkhi, Abulféda, Al Bérouni et Al Edrisi.

Malgré la défiance du monde chrétien vis-à-vis des terres d’Islam, les compétences des géographes musulmans étaient reconnues dans les cours occidentales où de nombreuses cartes arabes circulaient. Au XIIe siècle, le roi normand Roger II de Sicile alla même jusqu’à appeler à sa cour le géographe arabe al-Idrîsî qui combina ainsi pour la première fois dans une carte les connaissances arabes et occidentales du monde.

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