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Chapitre 1 HISTOIRE ET ACTUALITE DES CUMA

3. Coopération et autonomie à travers les Cuma

3.1. Paysage actuel des Cuma

3.1.1. A l'échelle de la Cuma

a) Règles coopératives de fonctionnement

Les règles de fonctionnement des Cuma sont déterminées par leur statut coopératif. Elles sont donc considérées dans le cadre législatif français comme des coopératives de service. À l'instar de toute coopérative, elles appliquent le principe démocratique « un membre = une voix ». Tous les adhérents ont donc théoriquement le même pouvoir de décision quel que soit leur niveau d'investissement économique et quelle que soit la taille de leur exploitation. De ce statut coopératif, découle le « principe de l'engagement ». Quand des agriculteurs souhaitent investir collectivement dans un nouvel équipement, chacun s'engage à un niveau minimal d'utilisation. L'agriculteur engagé doit donc payer chaque année le coût d'utilisation de l'équipement acquis au niveau qu'il a choisi et pendant toute la durée décidée avec la Cuma. Il souscrit également des parts sociales proportionnellement au niveau minimal d'utilisation annoncé. Cet autofinancement représente en moyenne 20% du financement des investissements réalisés par l'ensemble des Cuma françaises, deux tiers étant financés par le recours à l'emprunt, et les subventions publiques interviennent à hauteur de 10 %. Ces dernières interviennent le plus souvent pour l'acquisition d'équipements facilitant la mise en œuvre de pratiques favorables à l'environnement.

A ces principes s'ajoute un ensemble de règles édictées par les adhérents, constituant le

règlement intérieur propre à chaque Cuma. Il précise l'organisation de l'utilisation du

matériel et de sa facturation. Ainsi, il indique la répartition des responsabilités pour le suivi et l'entretien des équipements. Le plus souvent, chaque équipement est placé sous la responsabilité d'un adhérent auquel les membres s'adressent lorsqu'ils veulent s'en servir. Cet adhérent est chargé de gérer le planning d'utilisation de cet équipement. Pour la facturation de l'utilisation du matériel, une estimation du coût d'utilisation unitaire est effectuée au moment de l'investissement pour déterminer le prix de base qui sera facturé par la Cuma pour son emploi. Ce prix intègre la quote-part de chaque adhérent aux frais généraux de la Cuma (cotisation au réseau fédératif, frais d'Assemblée générale, paiement du service de comptabilité, etc.) Si le coût final d'un matériel est plus faible que le prix de base facturé, la différence constitue un bénéfice pour la Cuma. Celui-ci peut, soit permettre de consolider les fonds propres de la Cuma (cas le plus fréquent), soit être redistribué aux adhérents utilisateurs

(ristourne), ce qui est rarement pratiqué. Mais si le coût final d'un matériel est plus élevé que le prix de base facturé, la différence constitue une perte pour la Cuma. Ainsi, l'évaluation réalisée à l'issue de chaque exercice comptable peut conduire les adhérents à reconsidérer ce prix de base d'une année sur l'autre (FNCuma, 2016).

b) Le cœur de métier de la Cuma

À partir des données rassemblées par la FNCuma, il y a aujourd'hui en France plus de 12000 Cuma déclarées avec, en moyenne, autour de 25 agriculteurs dans chacune d'entre elles. Le nombre minimum autorisé est de quatre membres. Ainsi, 15 % des Cuma regroupent moins de 10 exploitants, mais on trouve des Cuma regroupant plusieurs centaines d'adhérents (FNCuma, 2017). Environ un tiers des exploitations françaises appartient à une Cuma6.

L'achat d'équipements et l'organisation de leur utilisation partagée constitue donc

l'activité de base d'une Cuma, en visant deux objectifs : diminuer les coûts d’investissement et améliorer la productivité du travail. Le schéma ci-après (Figure 4) montre que la moitié des Cuma françaises possède des équipements de travail du sol (charrues, déchaumeurs, etc.), 40 % des Cuma possèdent des équipements de transports (bennes, remorques, bétaillères...) et 40 % des Cuma des équipements de récolte de fourrages, tels que des ensileuses.

Les raisons qui motivent des agriculteurs à partager des équipements en Cuma sont diverses : acquérir des équipements difficilement rentabilisables à l'échelle d'une seule exploitation (comme une ensileuse), ne pas acheter pour une seule exploitation des matériels qui seront au final peu utilisés (une bétaillère par exemple), se doter d'équipements de plus grande capacité pour améliorer la productivité du travail, ou encore avoir accès à une gamme élargie d'équipements.

c) Améliorer la productivité

L'investissement collectif en Cuma offre aux agriculteurs un moyen d'accéder à des

équipements plus performants : des équipements permettant de travailler plus vite mais

aussi des équipements neufs et fréquemment renouvelés, avec à la clé moins de pannes à gérer et moins de temps d'immobilisation pour les réparations.

13 % des Cuma emploient un ou plusieurs travailleurs salariés, principalement pour l'entretien des équipements et la conduite des machines. Un entretien régulier et adapté des équipements a pour conséquence moins de pannes. Quant aux équipements les plus délicats, la manœuvre exclusive par un travailleur salarié permet une réduction significative des problèmes techniques grâce au développement par ce dernier d'une connaissance et d'une compétence spécifiques. 4700 personnes sont employées par des Cuma.

6 Ce chiffre correspond à une estimation minimale, en prenant de la distance avec les chiffres avancés par la FNCuma. En effet, de plus en plus d'exploitations appartenant à plusieurs Cuma, les données actuellement récupérées par la FNCuma ne lui permettent pas d'avoir une estimation des multi- appartenances.

Figure 4 : Fréquence des principales activités au sein des Cuma en 2014 (Source : FNCuma, 2015)

3.1.2. Organisation du réseau

Cette section s'appuie en partie sur le contenu de la thèse d'Assens (2002).

Historiquement, les fédérations départementales et régionales se sont structurées de manière très inégale, surtout à partir des années 1970, puis ont accompagné le nouvel essor des Cuma à partir des années 80. Les politiques publiques régionales et départementales de soutien aux Cuma sont très hétérogènes selon les territoires avec, dans certains cas peu fréquents, des aides allant jusqu'à financer 30 % de certains investissements, surtout dans le Sud-Ouest de la France.

Le réseau fédératif a acquis progressivement des compétences de base dans le domaine de la gestion, ce qui permet d'une part d'appuyer directement les Cuma dans leurs activités, d'autre part d'organiser des activités de formation pour les membres des coopératives (en particulier les responsables).

Les soutiens publics nationaux à l'action des Cuma se sont accrus dans les années 1980 à travers deux principaux instruments de politiques publiques : d'une part une politique de crédit spécifique aux Cuma permettant d'emprunter à des taux très réduits (politique en vigueur

de dispositifs publics a amené le réseau à se doter d'une fonction d'administration des aides publiques

Les compétences du réseau fédératif ont évolué au fil du temps, se diversifiant progressivement en réponse aux besoins exprimés par les Cuma. 350 agents sont aujourd'hui salariés dans le réseau fédératif (FNCuma, 2017)

a) L'appui à la gestion des Cuma

Les premières compétences développées par la FNCuma ont été dans le domaine de la gestion, en raison de l'important travail de restructuration du réseau des Cuma, entamé dès les années 1950 suite aux difficultés rencontrées par une partie des premières Cuma.

Pour appuyer le travail de gestion des Cuma, les fédérations emploient des salariés chargés de l'appui comptable, administratif et juridique. Cet appui correspond au cœur de métier du réseau fédératif. Une partie des fédérations départementales ne compte qu'un seul agent salarié chargé essentiellement de cet appui.

Se sont progressivement créées au sein des fédérations départementales des associations de gestion et de comptabilité auxquelles les Cuma peuvent déléguer leurs tâches de comptabilité : l’équivalent de 100 emplois à temps plein y assure la comptabilité des Cuma7.

La tenue d'une comptabilité est en effet obligatoire pour l'obtention des prêts bancaires et des subventions publiques.

b) Compétences en agroéquipement et emploi

Dans les lieux où les fédérations départementales et régionales acquièrent des moyens conséquents, notamment grâce aux cotisations des Cuma et aux aides publiques départementales et régionales, d'autres domaines de compétences ont été développés, principalement autour de l'agroéquipement et de l'emploi.

Les 70 agents chargés de la thématique de l'agroéquipement peuvent être sollicités par les Cuma lorsqu'elles doivent procéder à l'achat d'un équipement. Ils aident à déterminer les besoins et à choisir parmi les offres des concessionnaires. Ces agents sont aussi chargés de l'organisation d’événements techniques qui permettent aux agriculteurs de s'informer sur les fonctionnalités des nouveaux équipements mis sur le marché et d'échanger avec d'autres agriculteurs sur ces sujets. Enfin, ils réalisent des travaux d'analyse économique des coûts d'utilisation des équipements dans les Cuma et les exploitations membres afin d'apporter une aide aux décisions et promouvoir la mutualisation de la mécanisation. À noter que ces compétences peuvent être portées par des agents salariés des Chambres d'agriculture spécialisés en matière de conseil en agroéquipement.

Concernant la thématique de l'emploi, de plus en plus de fédérations s'y engagent et recrutent des agents spécialisés. En effet, l'emploi de travailleurs salariés par les Cuma suppose que soient pris en compte le droit du travail et les réglementations de l'emploi salarié. Ainsi, les agents « Emploi » appuient les Cuma pour le suivi administratif et juridique de leur salarié et les aident à prendre en compte les règles en vigueur dans ce domaine.

7 À noter que toutes les Cuma ne s'adressent pas à ces associations du réseau pour leur comptabilité. Différents centres de gestion agricole proposent aussi ce service.

Une partie de ces agents salariés intervenant en appui juridique, ou sur l’emploi ou les agroéquipements développent aussi des compétences d’appui aux dynamiques de groupe, notamment sur les enjeux interpersonnels pour assurer des fonctions de médiation en cas de tensions internes dans les Cuma.

c) Soutien à l'innovation

Assens (2002) a montré que le réseau fédératif des Cuma joue un rôle important de soutien à l'innovation en agriculture, ce au niveau des coopératives et de leurs membres.

Diverses modalités de fonctionnement du réseau contribuent à ce soutien à l'innovation. On notera en particulier l'existence d'un important circuit d'informations et de transfert

technique grâce aux nombreuses modalités d'échange d'expériences, à travers le magazine Entraid’ et via l'organisation d’événements et de rencontres techniques.

La mutualisation des expériences des Cuma par le réseau fédératif permet la promotion de solutions nouvelles pour développer les activités des Cuma. Celui-ci est le témoin de l'émergence chez les agriculteurs de nouvelles questions et de nouveaux besoins, sur la base desquels peuvent s'engager des travaux de réflexion ou la mise en place de nouveaux dispositifs pour faciliter l’innovation. De la même façon, différentes initiatives émergent dans les Cuma depuis une quinzaine d'années, par exemple orientées vers la production d'énergies renouvelables de manière collective. Des Cuma dotées d'un hangar installent des panneaux photovoltaïques sur les toits de ces bâtiments. Cela permet à la Cuma de percevoir des revenus de cette production d'électricité qui vient diminuer les coûts d'investissement dans le hangar.

Les Cuma ont également la possibilité de travailler avec de petites municipalités rurales qui peuvent avoir des besoins ponctuels d'équipements. Ceci permet d'éviter à certaines municipalités l'achat d'un tracteur pour une activité réduite, par exemple d'entretien ou de déneigement, tout en offrant à la Cuma de mieux rentabiliser ses propres équipements.

d) Administration des aides publiques

On assiste actuellement à une transformation de certains soutiens publics aux Cuma. Ainsi, la

politique de crédit spécifique aux Cuma a été remplacée par une politique de soutien au

conseil stratégique des Cuma à partir de 2015. Concrètement, les agriculteurs en Cuma sont incités à prendre le temps d'une réflexion commune sur leurs besoins actuels et futurs pour être capables de mieux se projeter dans les actions collectives à mettre en place pour y répondre. Pour soutenir ces réflexions stratégiques collectives, une subvention est accordée aux Cuma pour payer les services d'un tiers facilitateur, généralement un agent de la fédération départementale ou régionale.

Chaque nouvelle politique publique a émergé après un long travail de défense syndicale et de négociation de la Fédération nationale des Cuma avec les pouvoirs publics. Cette dernière poursuit en effet un important travail syndical. La plupart du temps, ces instruments de politiques publiques se sont concrétisés lorsque les réflexions du réseau fédératif sont entrées en résonance avec les objectifs des pouvoirs publics.

3.1.3. Présentes dans la diversité de l'agriculture

a) Hétérogénéité de développement

L’implantation des Cuma est hétérogène selon les régions, comme le montre le schéma ci- après (Figure 5). Les trois régions de l'ouest de la France (Bretagne, Pays de Loire, et Pays de Loire) connaissent une présence significative des Cuma liée à deux facteurs : un enracinement historiquement fort du mouvement de la JAC dans cette partie de la France qui a contribué à la création de Cuma, ainsi qu'une plus grande spécialisation dans la polyculture-élevage, ce qui induit un besoin d'équipements plus diversifiés. Ce type de systèmes entraîne en effet plus de démarches d'externalisation (Chevalier, 2007).

Figure 5 : Nombre de Cuma par département en 2016 (Source : FNCuma, 2017) Cette hétérogénéité s'observe aussi entre les Cuma elles-mêmes. Actuellement, le chiffre d'affaires moyen des Cuma est évalué à 53 000 € par Cuma, mais cette moyenne recouvre des réalités assez disparates : 45% des Cuma ont un chiffre d'affaire supérieur à cette moyenne alors que 17% ont un chiffre d'affaire inférieur à 15 000 € (FNCuma, 2017).

b) Des « Zadistes » à la ferme des 1000 vaches

Alors que les Cuma ont été créées pour être un outil d'une modernisation « maîtrisée » du secteur agricole par les agriculteurs, nous constatons aujourd'hui qu'elles sont présentes

dans la diversité des formes sociales et techniques de l'agriculture française. La

Cuma est utilisée dans des formes d’agriculture prolongeant la logique de la modernisation, ainsi que par d'autres s'y opposant. Aux deux extrêmes du continuum constitué par les formes d'agriculture visibles en France, on trouve des Cuma. Ainsi, « la ferme des 1000 vaches » exploitation en Picardie décriée comme le symbole du processus d'industrialisation émergeant au cœur des processus de production agricole est membre d'une Cuma locale pour utiliser un

équipement d'épandage des effluents (Monteillet, 2016). À l'opposé, une zone de l'Ouest de la France initialement destinée à la construction d'un aéroport a été occupée par un ensemble de militants, dont certains y ont développé des projets agricoles dans ce qui a été appelée la ZAD (« Zone d'aménagement différé » qu'ils ont rebaptisée «Zone à défendre»). Les agriculteurs de cette zone ont organisée une Cuma, baptisée CURCUMA pour signifier : « Coopérative d'usure, de réparation, de casse et d'utilisation du matériel agricole » (d'Allens et Leclair, 2016). Même si ce collectif informel n'a pas adopté le statut Cuma, ceci montre que celui-ci inspire diverses initiatives parmi les agriculteurs inventant de nouvelles manières d'exercer ce métier. Ainsi, des Cuma se créent dans des espaces-tests pour faciliter la mutualisation d'équipements entre jeunes en cours d'installation à travers ces dispositifs, parfois doublées d'une banque de travail pour faciliter les processus d'entraide. Et chaque année, de nouvelles Cuma sont créées par des agriculteurs en agriculture biologique (FNCuma, 2017).

Néanmoins, différentes observations montrent une prégnance majeure des logiques

rationalisatrices héritées de la modernisation au sein des Cuma. Selon Harff et Lamarche

(1998), dans les années 1960, les Cuma étaient considérées comme une voie pour augmenter les moyens de travail des petites structures d'exploitation, alors qu'elles tendent à répondre à la fin des années 1990 à l'objectif d'ajustement des moyens, d'où son développement alors dans le Bassin Parisien. Plus récemment, Mundler et al. (2010) montrent que de petites exploitations sont désavantagées au sein de Cuma où prédomine la stratégie d'acquisition d'équipements de grande capacité pour améliorer la productivité du travail : les tracteurs de ces petites exploitations ne sont pas toujours adaptés aux équipements de la Cuma.

c) Menaces actuelles sur le devenir des Cuma.

Différentes difficultés se posent actuellement à des Cuma, en raison des évolutions démographiques et économiques, qui sont autant de défis à relever pour le réseau.

La diminution de la population active agricole rend plus difficile l’engagement de

responsables de Cuma, opéré bénévolement voire faiblement indemnisé, dans un secteur confronté à des surcharges de travail (en France, les agriculteurs correspondent à la catégorie socioprofessionnelle avec la plus longue durée de travail hebdomadaire (Renaud et Rioux, 2016)). De même, le faible taux de renouvellement des exploitations met en difficulté des Cuma, confrontées à des pertes brutales d'activité à l'occasion de départs en retraite de leurs membres. Des acteurs du réseau fédératif se rapprochent du réseau national des espaces- tests pour chercher des solutions à ce problème. En effet, on estime qu'environ la moitié des chefs d'exploitation actuels pourraient quitter le métier d'ici une douzaine d'années, laissant présager un mouvement de restructuration majeur de l'agriculture française si le mouvement tendanciel de concentration des exploitations, voire de délégation de travaux par des retraités agricoles à des entreprises, n'est pas contré (Gambino et al., 2012).

Au niveau économique, le contexte de volatilité des cours plus prégnant depuis 2007

induit des périodes de bas prix des produits et de hausse des coûts des intrants qui parfois se conjuguent. Le climat d'incertitude ainsi généré complique les décisions d'investissement, d’où de plus fortes variations des achats d’agroéquipements (FNCuma, 2017). Par ailleurs, ce contexte économique induit des difficultés économiques pour les agriculteurs, au point que les

situations d'impayés deviennent plus fréquentes dans les Cuma. Ceci est un nouvel élément de fragilisation, pouvant créer des tensions difficiles dans certaines Cuma.