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Le renouvellement de la coopération dans l'agriculture multifonctionnelle

Chapitre 1 HISTOIRE ET ACTUALITE DES CUMA

2. Recompositions contemporaines de la coopération de proximité

2.4. Le renouvellement de la coopération dans l'agriculture multifonctionnelle

L'hétérogénéité est aujourd’hui une caractéristique importante de l'agriculture française (Gasselin et al., 2014; Lémery, 2003). La diversification et la multifonctionnalité ont émergé dans les années 1980 comme des stratégies cohérentes permettant aux agriculteurs de faire face aux difficultés économiques ou comme alternatives à l'augmentation d'échelle des exploitations. De manière similaire, la pluriactivité est une tendance croissante, qui concerne plus de 15 % des agriculteurs français (Laurent et Rémy, 1998).

Le premier magasin collectif de producteur a été créé en 1978, organisation qui a essaimé dans toutes les régions, et divers modes de coopération dans les activités commerciales ont suivi. Au début des années 1980, les premières Cuma permettant de mutualiser des ateliers de transformation ont été créées : il y en a plus de 130 aujourd'hui en France (Mundler et al., 2014). Les groupements d’agriculteurs biologiques, les Civam et d'autres groupes de développement « alternatifs » jouent un rôle significatif dans leur émergence. Ils sont souvent le lieu où se révèle un intérêt commun parmi les agriculteurs, à partir duquel un projet collectif est discuté et construit.

Enfin, les jeunes sans origine agricole souhaitant devenir agriculteurs font face à des difficultés d'accès au foncier et aux compétences. Depuis dix ans, un nouveau genre de coopérative s’est développé, appelée « espace-test » ou « couveuse d’activité » pour leur permettre de tester collectivement des activités agricoles sur de petites parcelles ou sur une ferme, avec l'aide de tuteurs (Chrétien, 2015). Et plus récemment, une coopérative fédérant différentes organisations du secteur de l’agriculture biologique a émergé pour appuyer et mettre en réseau des groupes d’autoconstruction d’outils innovants pour faciliter la mise au point d’équipements adaptés. Cette coopérative s’appuie sur l’« open source », principe de partage qui induit une mise à disposition des plans de fabrication de ces outils au plus grand nombre (Chance et Meyer, 2017).

2.5. Synthèse et conclusion

Depuis les années 1980, les différentes réalités de l'agriculture de groupe ont évolué de manière contrastée.

Le changement de dimension des coopératives d'approvisionnement et de collecte s'est renforcé, au point d'entraîner des phénomènes de distanciation d'une partie de leurs adhérents. Mais des coopératives de collecte se distinguent de cette tendance : liées le plus souvent à des AOP, surtout dans le secteur laitier et viticole, elles ont fait de la proximité un atout stratégique pour maintenir leur autonomie d'action.

Les groupes de développement agricole ont subi un affaiblissement progressif, surtout en raison de la réduction continue des soutiens publics en leur faveur à partir des années 1990. Ceci n'a pas empêché l'émergence de nouveaux types de groupes, en position minoritaire cependant, sur des objets nouveaux : autour de la maîtrise autonome de la comptabilité, pour faciliter la diversification et la réduction des coûts des systèmes d'exploitation ou pour la conversion à l'agriculture biologique. Ces nouveaux groupes se sont appuyés ou ont rejoint les fédérations de CIVAM, ou ont donné lieu à de nouvelles fédérations en raison du recul des activités des Chambres d'agriculture et de la faible considération dans un premier temps de ces voies alternatives de développement par celles-ci.

Le nouvel essor des Cuma s'est poursuivi jusqu'à la fin des années 1990 avec une relative stagnation depuis lors du nombre total de Cuma. En leur sein ou à leurs frontières, d'autres modes d'organisation ont vu le jour, approfondissant de nouvelles dimensions de la coopération de proximité, comme la mise en commun de tracteurs en Cuma, ou la création de groupements d'employeurs. Ce dernier a contribué ces dernières décennies à un essor du salariat partagé en agriculture, avec l'embauche croissante de salariés directement par les Cuma.

Ce développement continu des Cuma s'est opéré en parallèle d'un maintien des pratiques de copropriété d'équipements, et de l’essor du secteur des prestataires de travaux agricoles. Ce dernier devient plus hétérogène avec une plus grande diversité de profils de prestataires, dont certains peuvent prendre en charge une délégation complète du travail agricole sur des exploitations sans agriculteurs. Récemment, un nouveau phénomène émerge sur lequel on dispose de peu de recul : des plates-formes numériques se proposent de faciliter la location d'équipements agricoles détenus par des agriculteurs par d'autres exploitations, ainsi que la mise en lien entre prestataires et agriculteurs potentiels clients.

Dans des secteurs agricoles plus marqués par un mouvement tendanciel de fort recul des réseaux socioprofessionnels locaux des agriculteurs comme les grandes cultures ou l'élevage porcin, des évolutions, d'ordre économique et/ou réglementaire, ont suscité l'émergence de formes de collaboration entre exploitations, comme les assolements en commun ou les maternités collectives. Cependant, ces initiatives tendent plus à représenter des isolats au sein de secteurs restant marqués par des logiques individualisantes, avec peu d'effets de fédération entre elles pour l'instant.

Par ailleurs, des initiatives émergent des secteurs de l'agriculture considérés comme « alternatifs » constituant de nouveaux modes de coopération de proximité. Ainsi, des ateliers de transformation et points de vente se développent de manière collective en profitant de l'essor des circuits courts, des groupes d'autoconstruction d'équipements émergent grâce à un réseau de partage, et des néopaysans (agriculteurs s'installant sans être issu du milieu agricole) reprennent des instruments coopératifs comme les Cuma ou banques de travail pour fonder de nouveaux types d'installation et de structures d'exploitation agricole.

Ainsi, dans un contexte plus général de moindre intérêt politique et académique pour la coopération professionnelle agricole, les modes de coopération de proximité continuent de se renouveler, davantage à partir « du bas », à l'initiative d'agriculteurs cherchant à conforter et mieux maîtriser leurs conditions d'activité. La diversité des formes aujourd'hui existantes configure un paysage disparate. La coopération entre exploitations peut aujourd'hui constituer un principe directeur de différentes visions du futur de l'agriculture, tant du côté de courants économiques libéraux prônant l'agriculture modulaire et flexible que de courants de la transition sociale-écologique prônant l'entraide et la coopération agroécologique.