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Chapitre 1 HISTOIRE ET ACTUALITE DES CUMA

3. Coopération et autonomie à travers les Cuma

3.3. La coopération agricole de production

Comme nous l'avons vu précédemment, les Cuma et leur réseau fédératif génèrent d'autres types d'initiatives de coopération de proximité : création de GE, émergence d’assolement en commun, montage de projets collectifs de production d'énergie, ou encore mise en place d'organisations collectives pour faciliter la valorisation en circuits courts.

Au début des années 2010, ces réalités formant une diversité de modes de coopération de proximité deviennent un sujet de réflexion majeur et formalisé au sein de la FNCuma, autour de la notion de « Coopération agricole de production ». Nous en analysons ici les raisons.

3.3.1. Des questions juridiques

Parce que les fédérations de Cuma et leurs agents prennent en charge l'accompagnement des groupes et de leurs différents projets, il est fréquent que les acteurs du réseau en arrivent à

appuyer la mise en place de nouvelles structures juridiques à côté de la Cuma, lorsque

les activités envisagées dépassent son objet : Groupement d’employeurs (GE), SARL, GIE (Groupement d’intérêt économique), SEP (Société en participations), etc.

Des agriculteurs en Cuma doivent parfois créer des structures adjacentes pour abriter certaines activités contiguës à la mutualisation d'équipements. C'est le cas par exemple de producteurs de légumes investissant ensemble dans une Cuma pour acquérir des moyens de préparation de leurs productions pour la commercialisation, et allant jusqu'à commercialiser en commun une partie d'entre elles. Ou d'autres qui achètent en commun des intrants en plus de se regrouper pour investir en commun dans le matériel. Face à l'empilement de structures juridiques pour gérer des opérations de plus en plus imbriquées, des membres de Cuma

aimerait un statut coopératif proche de celui des Cuma, mais plus polyvalent. Le statut

de la coopérative polyvalente existe certes mais oblige à un nombre minimal de 7 adhérents, et au fonctionnement administrativement plus exigeant que celui de la Cuma. En effet, le travail syndical de la FNCuma a permis d'obtenir un allègement de certaines procédures administratives s'appliquant aux coopératives au motif de la petite taille des Cuma. Par défaut, des agriculteurs tendent à s'intéresser à d'autres structures en dehors des organisations coopératives, alors que la FNCuma cherche à défendre et promouvoir le modèle coopératif. C'est ainsi que cette dernière a opéré un intense travail de lobbying depuis une quinzaine d'années pour la possibilité pour les coopératives d'exercer l'activité de groupement d'employeurs, qui à l'origine (depuis 1985) ne pouvait s'exercer que sous le statut associatif. En 2005, les coopératives obtiennent la possibilité d'exercer l'activité de groupement d'employeurs uniquement s'il s'agit de leur activité exclusive, mais ceci ne s’applique pas en agriculture. Ceci en raison d'une opposition de la FNSEA, qui contrôle dès son origine la Fédération nationale des Groupements d'Employeurs Agricoles et Ruraux (FNGEAR). En 2006, la FNCuma arrive à obtenir la possibilité législative, par exception, d'ouvrir l’activité groupement d'employeurs au sein des Cuma (qui sont pourtant des coopératives) d’abord dans la limite de 30 % de mise à disposition de la masse salariale, puis ensuite en 2013 dans la limite de 49 % de la masse salariale, et enfin sans limitation de mise à disposition depuis la « Loi Travail » de 2016. Cette loi a permis la suppression des restrictions pesant sur la

coopération agricole concernant l'activité non exclusive de groupement d’employeurs (Vasse, 2017).

Ces différents constats et travaux sur les questions statutaires ont entraîné une prise de conscience parmi des acteurs de la FNCuma de la faible prise en compte des enjeux de

coopération de proximité au sein du développement agricole, de la recherche et des

politiques publiques. Ils sont régulièrement confrontés à la tendance générale à penser l'activité agricole à la seule échelle de l'exploitation, ce qui constitue un obstacle sérieux pour des projets collectifs. Par exemple, la gestion du bâti agricole est soumise à des règles d'urbanisme de plus en plus contraignantes au nom de la nécessité de limiter la consommation d'espaces agricoles. La manière dont ces règles sont déclinées en vue de cet objectif finit ainsi par entraver les projets collectifs d'agriculteurs, car seule des exploitations peuvent aujourd'hui obtenir un permis de construire en zones réservées à l'activité agricole. Ceci pose problème pour la construction de hangars de Cuma. La Cuma n'est en effet pas considérée comme une exploitation et donc ne peut obtenir un permis de construire en zone agricole. Après des années de lobbying, la FNCuma a obtenu cette possibilité pour les communes ayant un PLU (Plan local d'urbanisme), ce qui n’est pas le cas de toutes les communes rurales.

3.3.2. Faire exister le sujet de la coopération de proximité a) Une réflexion en partenariat

En 2011, à l'occasion de la définition de son projet politique, les acteurs de la FNCuma ont mené une réflexion qui les a conduits à décider d'orienter l'action du réseau fédératif pour

appuyer l'émergence et le développement des diverses formes et pratiques de coopérations entreprises par les agriculteurs autour de leur activité productive. Pour

caractériser ces dernières, la FNCuma a avancé le concept opératoire de « Coopération agricole de production », défini comme « l'ensemble des pratiques de coopération ayant pour objet la production agricole » (FNCuma, 2012).

Afin de mieux percevoir les implications de son nouveau positionnement, la FNCuma a amorcé un processus réflexif avec des organisations partenaires concernées par ces évolutions des pratiques de coopération entre agriculteurs : fédérations de groupes de développement agricole (FNCIVAM, Trame, FNAB), GAEC & Sociétés promouvant le modèle d'exploitation sociétaire multi-associés, la fédération nationale des coopératives agricoles (Coop de France) ainsi qu'une fédération nationale de centres de gestion agricole (CER France). Elle y a associé la recherche, en l’occurrence le département Sciences et Action pour le Développement de l'INRA (SAD). Un cycle de journées d'étude s'est concrétisé en 2012 et 2013 afin de partager une analyse commune de ce phénomène auquel nous avons été associée à partir de mi-2012 alors que nous préparions le montage du projet de thèse avec la FNCuma. Des monographies de cas ont été présentées (FN Cuma, 2012). Différents travaux académiques en sciences sociales ont été mis en discussion (Gasselin et al., 2012 ; Allaire et al., 2013 ; Cordelier, 2014). Par ailleurs, des acteurs de têtes de réseaux et des porteurs d'expériences de l'agriculture de groupe ont présenté des analyses issues de leurs organisations (Séronie et Boullet, 2007 ; de Torcy et Pommereul, 2012 ; Moraël, 2012). Les journées ont réuni une large palette d'acteurs et de chercheurs à partir d'un agenda thématique séquencé faisant

« Coopération agricole de production » qui a constitué un objet intermédiaire du dialogue entre chercheurs et acteurs. Ce dernier a permis aux participants de contribuer à nommer la nouveauté et a nourri un exercice sémantique pour interroger les fondamentaux des formes observées, synthétisé par des écrits intermédiaires entre chaque journée. En complément, la tenue d'un colloque national à mi-parcours (fin 2012) a permis de divulguer l'état des réflexions et de les préciser au vu des réactions suscitées. Ce processus a donc permis d'identifier différents traits et enjeux des reconfigurations alors en cours de ces pratiques de coopération articulées autour des Cuma.

Pour la FNCuma, l'animation de ce cycle de réflexion a aussi revêtu des dimensions

politiques et stratégiques. D'une part, le mouvement coopératif agricole était avant tout

perçu à travers les coopératives d'approvisionnement et de collecte, connaissant alors un mouvement croissant de concentration justifié par les nécessités commerciales en contexte d'internationalisation. Dans ce cadre, la FNCuma a du mal à faire reconnaître l'intérêt des Cuma et plus largement de la coopération de proximité. En impulsant cette réflexion partagée autour du concept de coopération agricole de production, elle a souhaité mieux mettre en valeur les marges de manœuvre économiques à développer au niveau de l'acte de production, et la nécessité de renforcer les formes de coopération à ce niveau. D'autre part, la FNCuma constate un fort tropisme des recherches scientifiques vers les coopératives d'approvisionnement et de collecte, et peu de travaux autour de la coopération de proximité. Ce processus réflexif partagé associant l'INRA-SAD correspondait alors à une stratégie d'intéressement de cette institution à ce sujet (Lucas et al., 2014)

Ce processus de réflexion multi-acteurs a abouti à la définition suivante commune de la coopération agricole de production : « l'ensemble des pratiques de coopération ayant pour

objet la production agricole […] la mutualisation par des agriculteurs de tout ou partie de leurs stratégies de production (au travers du matériel, du travail, du foncier, des intrants, des bâtiments […], afin de gagner en autonomie tout en améliorant la compétitivité de leur exploitation. » (FNCuma, 2012)

b) Une réflexion à poursuivre

Nous avons constaté depuis lors que cette réflexion sur la coopération agricole de production est surtout portée par une partie des acteurs de la FNCuma, avec peu de percolation au reste du réseau. L'idée pour une fédération départementale de s'impliquer dans l'appui à la diversité des formes de coopération de proximité, et non pas seulement aux Cuma est loin d'être à l'agenda du réseau.

Ce processus a également révélé qu'à part la FNCuma, peu d'autres acteurs du secteur

agricole s'intéressent et portent des réflexions sur le sujet de la coopération de proximité.

3.4. Synthèse et conclusion

Dans chaque Cuma, les agriculteurs ont une souplesse d'organisation interne et de possibilités de décliner leurs règles collectives propres à partir du droit des coopératives de services. Le réseau des Cuma joue à la fois un rôle de garant et d'appui à la gestion coopérative (juridique, comptabilité, administratif), et a développé deux autres compétences spécifiques concernant l'agroéquipement et le salariat partagé. Par son travail de partage d'expériences et de références, ce réseau contribue aussi à l'innovation à travers les Cuma.

Aujourd'hui, une grande diversité d'objets techniques est ainsi mutualisée par des agriculteurs de l'ensemble du spectre des formes sociales et techniques de l'agriculture française. Cependant, on peut noter une hétérogénéité d'implantation territoriale et de développement de la mutualisation d'une Cuma à l'autre. Le centre de gravité de cet ensemble des Cuma reste marqué par les logiques de rationalisation technico-économique héritées des processus de modernisation. Les évolutions démographiques et économiques en cours dans le secteur agricole sont porteuses d'incertitudes et de défis à relever par le réseau.

Le projet politique de la FNCuma énoncé en 2011 met en avant une visée d'autonomie pour les agriculteurs, où la Cuma vise à servir de point d'appui aux agriculteurs pour leurs projets, ainsi qu'une nouvelle volonté de ses responsables : au-delà de la promotion et de l'appui à l'organisation en Cuma, la FNCuma souhaite dorénavant soutenir l'émergence et l’appui aux diverses formes et pratiques de coopération de proximité. En effet, le réseau Cuma est le seul à porter cette préoccupation, dans un contexte où la Cuma est effectivement la forme collective qui n'a pas été concernée par le mouvement de déterritorialisation qui a touché les autres réseaux de développement agricole. La FNCuma a entrepris à partir de 2012 de faire exister ce sujet avec d'autres organisations de l'agriculture de groupe, et en partenariat avec la recherche, pour remédier à la faible prise en compte des réalités, enjeux et potentialités des modes de coopération de proximité.