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Chapitre 1 HISTOIRE ET ACTUALITE DES CUMA

2. Recompositions contemporaines de la coopération de proximité

2.3. Mutualiser des moyens de production

2.3.1. Assolements en commun et maternités collectives porcines

Depuis quinze ans, une nouvelle forme, l'assolement en commun, est apparue principalement en grandes cultures. Souvent dérivée d'un long processus collectif au sein d'une Cuma ou d'un groupe de développement, l'assolement en commun peut être vu comme une nouvelle étape pour mutualiser davantage de moyens entre les agriculteurs. Généralement créée par un petit groupe d’agriculteurs, ses membres décident de gérer collectivement la totalité ou une partie de leurs parcelles, comme s'il s'agissait d'une seule exploitation.

Ceci illustre de nouvelles tendances à l’œuvre dans le secteur des grandes cultures et de l'élevage porcin, qui ont longtemps été considérés comme des laboratoires pour l’industrialisation de l’agriculture. Dans ces secteurs, la logique d'individualisation a été la plus poussée en agriculture, avec une tendance à l'équipement individuel se renforçant au fur et à mesure de l'augmentation de la dimension des exploitations, d'où la désactivation de Cuma dans certaines régions du Bassin parisien (Pierre, 2004) (voir Encadré 3 ci-dessous). Les initiatives comme les assolements en commun en grandes cultures s'expliquent par la nouvelle PAC de 1992 ayant incité à la réduction des charges. Dans le secteur porcin, des initiatives comme les maternités collectives ou les ateliers d'engraissement en commun sont apparues, notamment sous l'effet des réglementations environnementales en matière de gestion des effluents, renchérissant le coût des installations.

Encadré 3 : Dans le Bassin parisien, création et mise en sommeil d'une Cuma La trajectoire historique de la Cuma de Pel et Der, faisant partie de nos cas d'études, illustre la contribution de la JAC et des dispositifs de vulgarisation à la création de Cuma dans les années 1960, ainsi que son affaiblissement au fur et à mesure du mouvement de spécialisation céréalière du Bassin parisien. Quasiment désactivée dans les années 1990, elle présente aujourd'hui un nouveau dynamisme depuis vingt ans avec l’introduction d'une culture de diversification, le chanvre.

Cette Cuma située dans le département de l'Aube, a été créée par le père de l'actuel trésorier de la Cuma pour l'achat d'une moissonneuse-batteuse entre six exploitations de la commune totalisant alors 140 ha. C'est à partir des réflexions qu'il avait partagées au sein du mouvement de la JAC que le fondateur a contribué à sa création, comme le détaillent ses propos suivants : « On [était] des petites exploitations : nous personnellement, j’avais 25 ha et mon père avait

24 ha, […] il y avait un autre agriculteur, […] qui lui avait 30 ha, Roger […] qui en avait 52 […]. Et il y avait deux doubles actifs : le voisin qui […] lui avait 9 ha et un demi-frère qui lui […] avait 6 ha. Donc on se posait quand même des questions parce que les autres exploitations étaient plus importantes, […] ils étaient autonomes et moi ma question c’était de se dire, c’est vrai que j’étais moteur de ça, que si on continue comme ça on ne va pas y arriver, il faut qu’on se regroupe absolument. Donc on a fait la première [réunion], c’était en 1966, on a décidé de mettre en place une Cuma ». Jusque-là, cet agriculteur-fondateur participait à un groupement

de productivité dans le cadre d'une zone témoin développée sur le territoire, ce qui permettait l'accès à une moissonneuse conduite par le conseiller agricole de ce dispositif. D'autres Cuma

existaient dans le département avec une Fédération départementale des Cuma déjà constituée à l'époque, gouvernée par des agriculteurs issus de la JAC.

L'appui du conseiller de la zone-témoin a permis à la Cuma de bénéficier d'aides et d'un prêt bonifié au Crédit Agricole pour acquérir la moissonneuse et une presse. Ensuite, un semoir à céréales a été acheté l'année suivante. En 1970, une des plus grandes exploitations locales de 120 ha a rejoint la Cuma. Dans les années suivantes, l'acquisition d'un semoir à maïs a entraîné l'adhésion d'un grand nombre des autres exploitations de la commune, suivie de l'achat d'un broyeur à maïs et d'épandeurs.

Dans les décennies suivantes, la Cuma a connu un ralentissement de ses activités jusqu'à une quasi « mise en sommeil » dans le milieu des années 1990, en raison de la préférence donnée à l'équipement individuel dans un contexte d'agrandissement et de spécialisation des exploitations en grandes cultures. Elle a été réactivée en 1997 par le fils du fondateur pour permettre à un groupe d'agriculteurs de se lancer dans la culture du chanvre.

a) Des collaborations pour quelle visée ?

Ces initiatives en grandes cultures ou en production porcine n'ont pas connu un fort développement. Elles ont pourtant inspiré une nouvelle loi agricole en 2006, de la part d’un gouvernement marqué par une logique libérale, qui a autorisé de nouvelles formes juridiques entrepreneuriales pour renforcer ce type d'organisation et de collaborations entre exploitations.

Celles-ci ont en effet été mises en avant par des « think tank » agricoles pour permettre un accroissement d'échelle à travers la mise en commun de compétences et de spécialisations (Séronie et Boullet, 2007). Selon certains chercheurs, cette nouvelle législation visait à encourager l’agriculture entrepreneuriale et représentait ainsi un retour en arrière, par rapport à la priorité donnée depuis les années 1960 à l’agriculture familiale et à l'installation de nouveaux agriculteurs en évitant une trop grande concentration du foncier (Cochet, 2008; Mundler et Rémy, 2012).

2.3.2. L'accroissement des processus de délégation

La moitié des exploitations agricoles françaises fait aujourd'hui appel à des entrepreneurs de travaux agricoles. Avec peu de soutien public, les entrepreneurs ont progressivement élargi leurs services, dans un contexte de manque croissant de main d’œuvre en agriculture. Depuis vingt ans, une nouvelle catégorie d’entrepreneurs est apparue, particulièrement dans les régions céréalières, pour fournir une prestation complète de travail (du labour à la récolte), voire d'autres tâches administratives liées à la production (Anzalone et Purseigle, 2014; Harff et Lamarche, 1998).

Malgré cela, la mutualisation d'équipements et de main d’œuvre entre pairs continue à persister. Contrôler complètement le processus de production et défendre leur autonomie sont les principales motivations des agriculteurs français pour préférer la coopération plutôt que la délégation (FNCuma, 2012). Emery (2015) observe un phénomène similaire au Royaume Uni. Malgré un accroissement de l'activité des entrepreneurs, certains agriculteurs préfèrent mutualiser leurs équipements avec des pairs pour maintenir un contrôle sur leurs activités.

2.4. Le renouvellement de la coopération dans