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Collaborations territoriales pour la transition agroécologiques

Chapitre 2 LES CUMA A L’ERE DE L’AGROECOLOGIE

2. Venu des Amériques : l'agroécologie

2.3. Collaborations territoriales pour la transition agroécologiques

Notre questionnement de recherche sur les Cuma et la transition agroécologique s'inscrit dans un contexte de développement des travaux s'intéressant à l'action coordonnée au niveau territorial pour la transition agroécologique.

2.3.1. Cinq enjeux différents de collaboration territoriale

L'agroécologie considère que les agriculteurs sont les concepteurs de leurs systèmes de production, qu’ils ajustent aux conditions pédoclimatiques et aux potentialités écologiques de leurs agroécosystèmes locaux. Des configurations d'innovation collective s'imposent, impliquant directement les agriculteurs en mutualisant la diversité de leurs savoirs et possibilités d'expérimentation, ainsi qu'une gestion collective des ressources et de l'organisation de l'espace pour maximiser les services écosystémiques : habitats des auxiliaires de culture pour la régulation biologique, espaces interstitiels valorisables comme infrastructures écologiques, sources de biomasse non agricole pour le bouclage des cycles biogéochimiques, etc. (Meynard, 2017). Différents travaux soulignent ainsi le besoin de coordinations, actions et organisations collectives à l'échelle locale, pour contribuer à aménager des conditions sociotechniques plus favorables aux processus de transition agroécologique, ou autrement dit pour rendre les fonctionnements écologiques plus efficients (Duru et al., 2015; Wezel et al., 2016).

Ainsi, d'un point de vue conceptuel, des auteurs proposent des concepts ou approches à visée intégratrice pour assembler et penser conjointement les différents enjeux pouvant solliciter la collaboration à l'échelle territoriale entre agriculteurs incluant parfois d'autres acteurs, afin de contribuer à améliorer les conditions sociotechniques de la transition agroécologique.

Ainsi, Wezel et al. (2016) proposent de considérer les « territoires d'agroécologie » comme nouveau niveau d'action à prendre en compte au-delà des systèmes productifs et des filières, qui sont les niveaux les plus discutés jusque-là lorsqu'est traitée la question du développement de systèmes agricoles et alimentaires durables. Ce concept de territoire leur semble opérant pour appréhender l'échelle intermédiaire de l'agroécosystème, c'est-à-dire celui du paysage pour reprendre un terme de l'écologie du paysage, donc au-delà de l'échelle de l'exploitation. Car ces auteurs constatent que jusque-là l'approche du paysage par l’écologie scientifique n'intègre pas les aspects socio-économiques et alimentaires. D'où leur proposition du concept de territoire, pour intégrer l'ensemble des entités sociotechniques à prendre en compte pour penser l'action de transition agroécologique à cette échelle. Ils voient trois dimensions à ce concept de « territoires d'agroécologie » : la conservation de la biodiversité et des ressources naturelles, l'adaptation des pratiques agroécologiques et la construction de systèmes alimentaires encastrés.

Duru et al. (2015) constatent que la transition agroécologique met en mouvement à la fois la gestion des ressources naturelles, les modes de productions agricoles et l'organisation des filières. Par ailleurs, la transition agroécologique induit des innovations agronomiques spécifiques, c'est-à-dire dépendantes des composantes de la biodiversité et du contexte sociotechnique local, donc à travers des processus situés. D'où le besoin d'aider à penser et organiser les conditions de la transition agroécologique à l'échelle locale, c'est-à-dire du niveau

des parcelles aux territoires de collecte des filières et de gestion des ressources naturelles. Ils constatent que les approches généralement utilisées pour penser le changement technique tendent à se focaliser sur l'agriculteur seul ou le niveau sectoriel (filières), tandis que l'approche socioécologique pour penser la gestion des ressources naturelles laisse les systèmes de contraintes des agriculteurs dans un angle mort. D'où leur proposition du concept de « système agroécologique territorialisé » pour penser l'ancrage des processus de transition agroécologique dans les réalités biotechniques, sociotechniques et socioécologiques locales. À partir de cette littérature, nous avons dégagé cinq catégories d'enjeux agroécologiques que des actions collectives territorialisées peuvent contribuer à prendre en charge pour assurer une transition agroécologique approfondie.

a) Mutualiser pour favoriser l'adaptation agroécologique des systèmes productifs

Divers auteurs soulignent que le travail d'adaptation agroécologique des systèmes productifs par les agriculteurs est facilité par des processus de coopération de proximité entre agriculteurs.

Ainsi, l'accroissement de l'agrobiodiversité cultivée, pratique essentielle pour l'activation de nombreuses fonctionnalités agroécologiques, par exemple en diversifiant la sole fourragère en élevage ou les cultures de vente en grandes cultures, ou en introduisant une couverture multi- espèces de l'inter-rang en cultures pérennes (voire une structure agroforestière), peut entraîner des surcoûts quand les nouvelles espèces introduites demandent des équipements spécifiques pour être cultivées ou récoltées. Car la spécialisation des systèmes de culture a conduit à une standardisation du parc matériel agricole, adapté pour semer un petit nombre d'espèces différentes. La mutualisation d'équipements entre plusieurs exploitations, par exemple au moyen d'une organisation en Cuma, peut être un moyen de faciliter ce type de diversification (Meynard et al, 2013 ; Le Bail et al., 2014).

De même, Wezel et al. (2016) notent que les processus d'échanges d'expériences entre agriculteurs peuvent faciliter le travail de conception des pratiques d'adaptation agroécologique des systèmes, voire la réalisation collective de certaines d'entre elles en partageant les outils nécessaires.

b) Valoriser les synergies et complémentarités entre exploitations

Ces possibilités d'adaptation agroécologique des systèmes productifs restent cependant limitées par le contexte de spécialisation actuelle des systèmes agri-alimentaires, induites par les logiques industrielles qui ont entraîné l'organisation de bassins régionaux de production, ainsi que par la recherche de rationalisation technico-économique à l'échelle de l'exploitation pour maintenir leur productivité, notamment du travail. Différents auteurs ont mis en évidence l'intérêt de développer les synergies entre systèmes productifs spécialisés en situation de proximité. Il s'agit de penser la diversification à l'échelle du territoire pour faire face aux limites des possibilités de diversification à l'échelle de l'exploitation (Lapierre, 2004 ; Russelle et al., 2007 ; Hendrickson et al., 2008 ; Moraine, 2015).

Ainsi, alors que l'élevage européen se trouve historiquement dans une situation de dépendance vis-à-vis des importations de protéines, Lemaire et al. (2003) mettent en évidence les possibilités d'organiser une autonomie alimentaire des troupeaux par des

coordinations entre exploitations à l'échelle territoriale, susceptibles par ailleurs de résoudre des problèmes environnementaux comme les pollutions par les nitrates. Ces auteurs identifient par exemple les actions suivantes : échanges parcellaires pour augmenter les surfaces pâturables dans les exploitations d'élevage, transferts de matière organique entre ces dernières et les exploitations de grandes cultures, introduction de légumineuses dans celles-ci pour allonger leurs rotations et fournir les élevages en protéines, etc.

Ces différents auteurs observent ainsi que la mise à profit de ces complémentarités et synergies possibles entre exploitations peut également permettre de donner des marges de manœuvre à l'utilisation optimale des potentialités de l'agroécosystème local, en considérant l'ensemble de ses ressources mobilisables au service des activités agricoles du territoire (Moraine et al., 2017).

c) Vers une gestion collective de la complexité paysagère

Les processus et flux écologiques mobilisables pour développer des pratiques agroécologiques s'opèrent à des échelles qui dépassent celle de l'exploitation individuelle. Ainsi, l'entretien des biotopes et la maîtrise des flux biogéochimiques nécessitent une coopération entre agriculteurs sur des unités physiques voisines et reliées entre elles par les fonctionnements écologiques et hydrologiques, voire en situation de contiguïté spatiale. Parfois, ce genre de coopération « paysagère » peut impliquer d'autres acteurs tels que des propriétaires d'espaces non agricoles (forêts, zones humides…) et des institutions en charge de la gestion d'enjeux environnementaux. Les actions susceptibles d'être ainsi mises en œuvre sont diverses, telles que l'intégration et l'aménagement des entités agricoles (cultures et élevages dans la variété des espèces végétales et animales), des éléments paysagers semi-naturels ainsi que l'aménagement écologique du milieu local (impluviums, terrasses), de manière à assurer le fonctionnement de corridors et habitats écologiques et à préserver les ressources naturelles que sont l'eau et les sols (Papy et Torre, 2002 ; Gascuel-Odoux et Magda, 2015 ; Duru et

al., 2015). Ceci rejoint les analyses de Perfecto et Vandermeer (2010) proposant le concept

d'« agroecological matrix » pour penser l'intégration des éléments paysagers semi-naturels et des systèmes de culture et d’élevage non seulement de manière à ce qu'ils permettent le fonctionnement des corridors et habitats écologiques, mais aussi des fonctions plus directement agricoles comme la protection contre le vent et l'érosion, la réduction des lessivages de nutriments et la provision d'habitats pour les auxiliaires de cultures.

De même, des auteurs ont mis en évidence les potentialités de contrôle des bioagresseurs à l'échelle des territoires, ce qui invite à considérer cette gestion comme un bien commun territorial. Par exemple, la coordination des pratiques agricoles, notamment de la répartition spatiale et temporelle des variétés cultivées à l'échelle des paysages pouvait permettre une meilleure efficacité des pesticides dans certaines situations, ou un meilleur contrôle des maladies et de la pression de pathogènes dans d'autres (Hannachi, 2018).

d) Boucler les cycles biogéochimiques

Afin de mobiliser toutes les sources de matières organiques et fertilisantes et réduire les pertes, des actions coordonnées au niveau territorial peuvent être explorées, notamment avec les producteurs de déchets ou coproduits mobilisables pour l'activité agricole, ou encore pour optimiser la correspondance entre ressources territoriales et systèmes agricoles (Madelrieux

des thématiques de l'« économie circulaire » ou du « métabolisme territorial », recouvrent là aussi une diversité d'initiatives possibles : plans d'épandages concertés des effluents (Brives et Mormont, 2008 ; Asai et Langer, 2014), méthanisation territoriale rurale, réagencement spatial de l'allocation des activités agricoles pour une optimisation de l'hétérogénéité parcellaire, etc.

Ce type de collaborations territoriales peut là enrôler une diversité d'acteurs locaux avec les agriculteurs, comme les acteurs économiques locaux producteurs de biomasse ainsi que les collectivités territoriales.

e) Relocaliser la production de ressources stratégiques pour la transition agroécologique

La transition agroécologique nécessite de concevoir et/ou adapter des pratiques agricoles ancrées sur les fonctionnalités et potentialités écologiques de l’agroécosystème et adaptées aux conditions sociotechniques locales. Ceci nécessite, d'une part, la production de ressources productives situées telles que les connaissances ou les ressources génétiques d'espèces adaptées localement et, d'autre part, l'organisation de modes de valorisation (commerciale ou non) de produits spécifiques ou plus diversifiés (Wezel et al., 2016 ; Lamine et al., 2012). En effet, ces ressources productives situées et modes de valorisation complémentaires peuvent généralement difficilement être fournis ou assurés dans le cadre actuel de l'organisation du régime sociotechnique issu de la modernisation agricole. Ce régime est marqué par une prédominance des rationalités marchandes et industrielles pour son organisation et ses coordinations structurantes. Or, cette rationalité marchande et industrielle est défaillante pour assurer l'accès à certaines ressources stratégiques dans le paradigme agroécologique. Par exemple, l'organisation actuelle des schémas de sélection des espèces végétales tend à exclure les espèces dites « mineures » des efforts de recherche et développement, car cultivées sur des surfaces marginales en comparaison des cultures dominantes (telles que le blé, le maïs, l'orge, le colza ou le tournesol). Cette situation réduit les possibilités de diversification culturale, condition essentielle à la transition agroécologique des systèmes agricoles (Meynard et al., 2013). Par conséquent, l'offre variétale de ces espèces mineures est réduite et le coût de leurs semences est plus élevé. Ceci explique l'émergence d'initiatives territorialisées de sélection et d'amélioration génétique végétale pour permettre aux agriculteurs d'autoproduire collectivement des variétés adaptées à leurs besoins et conditions locales (Hazard et al., 2016; Meynard et al., 2013).

Cet enjeu de décentralisation de la production des ressources productives et d'organisation de débouchés complémentaires peut nécessiter des coordinations territoriales multiacteurs. Pour la production de ressources territorialisées comme les connaissances ou les semences, la participation d'experts comme des chercheurs apparaît aidante (Hazard et al., 2016 ; Stuivert

et al., 2004). Pour l'organisation de débouchés complémentaires, les possibilités de

collaboration avec les acteurs des systèmes agri-alimentaires locaux sont une condition nécessaire. Les initiatives d'approvisionnement alimentaire public pour la restauration collective apparaissent aujourd'hui comme des leviers possibles pour la transition agroécologique des systèmes productifs au niveau territorial, même si de nombreuses difficultés restent à surmonter (Lamine et al., 2012).

En conclusion, ces cinq enjeux agroécologiques identifiés mettent en évidence comment la gestion collective au niveau territorial peut favoriser l'effectivité des processus de transition agroécologique. Nous avons ainsi constaté que certains peuvent s'organiser entre agriculteurs (mutualisation pour l'adaptation agroécologique, valorisation des synergies interexploitations), tandis que les autres nécessitent des coordinations des agriculteurs avec d'autres acteurs locaux. Ceci implique par conséquent une gouvernance territoriale pour faciliter ces processus de gestion collective, ce que nous allons traiter dans la section suivante.

2.3.2. Garantir une gouvernance territoriale et une gestion des

risques associés

De manière transversale aux catégories explicitées précédemment, des mécanismes de gouvernance permettant une mise en cohérence des actions territoriales nécessaires pour concrétiser ces différentes finalités sont incontournables. De même, des dispositifs assurantiels s'avèrent nécessaires pour garantir une gestion collective des risques et incertitudes.

a) Vers une métagouvernance territoriale pour dépasser la segmentation actuelle

Les cinq catégories de finalités identifiées précédemment montrent le besoin de coordination au niveau territorial, mais laissent aussi deviner de possibles conflits d'usage autour des ressources du territoire. Ainsi, Le Bail (2000) note une superposition des segmentations des échelles d’action entre les objectifs de production et ceux relatifs à l’environnement, d’où le besoin d’élaborer des compromis entre les différents usages d’un même territoire. Ce point est aussi analysé d’un point de vue sociologique par Le Guen (2011), qui note que les agriculteurs se retrouvent pris dans des injonctions contradictoires entre les filières et les dispositifs territoriaux à visée environnementale. Gascuel-Odoux et Magda (2015) soulignent que des structures de gouvernance et des dispositifs peuvent déjà exister autour de certains enjeux, par exemple pour la gestion de l'eau et de sa qualité (Mormont, 1996). Cependant, elles notent aussi que leur multiplication peut nuire à sa gouvernance. Par ailleurs, certains de leurs acteurs, comme les communes et intercommunalités dont les compétences en matière agricole et environnementale ne cessent de s'accroître, ne disposent pas toujours des ressources humaines et des compétences suffisantes, ce qui pose la question du bon niveau de mutualisation et de coordination. Des formes de métagouvernance territoriale apparaissent nécessaires pour dépasser la segmentation actuelle des dispositifs et structures existantes afin de prendre en compte et de mieux intégrer les initiatives des acteurs économiques, des collectivités et des autres organisations de la société civile (Lamine et al., 2012). Ceci suppose que la diversité de ces acteurs puisse porter un autre regard sur les ressources en jeu, pour aller vers une perspective les considérant comme des biens communs territoriaux.

b) Des mécanismes assurantiels pour gérer les aléas et l'incertitude

Duru et al. (2015) soulignent aussi qu'évoluer vers un système agroécologique territorialisé mobilisant beaucoup plus les ressources, flux et processus écologiques locaux entraîne une plus forte sujétion des activités agricoles aux aléas, effets contradictoires et chaotiques de

ceux-ci. En effet, les phénomènes écologiques peuvent avoir des effets ambigus : alors que des auxiliaires de culture peuvent être favorisés dans certaines conditions, l'évolution de ceux- ci peut conduire, de manière difficilement prévisible, à un développement des populations de bioagresseurs. Des partages d'expériences et d'informations entre agriculteurs, appuyés par des experts, peuvent contribuer à faciliter et sécuriser la prise de décisions pour faire face à ces incertitudes, ainsi que des procédures de suivi et de capitalisation des informations. De même, cet appui sur les ressources situées peut-être sécurisé par des dispositifs collectifs de gestion des risques et aléas, surtout dans le contexte actuel de changement climatique. Ainsi, les populations agricoles s'appuyant davantage sur les espèces locales pour leurs activités agricoles, tendent à organiser des mécanismes de stockage des semences, notamment de manière collective, pour ne pas être démunies par des événements climatiques extrêmes comme les sécheresses (Sabourin, 2007). On retrouve la même démarche dans les maisons de semences organisées en Europe par des collectifs d'agriculteurs cherchant à davantage s'appuyer sur des espèces locales(Collectif, 2015).

2.3.3. Quels processus de mobilisation pour concrétiser les

coordinations nécessaires ?

L'ensemble des travaux précédents converge donc vers le besoin de développer des collaborations territoriales impliquant des agriculteurs et d'autres acteurs, pour construire les conditions favorables à la transition vers des systèmes agroécologiques territorialisés. Cependant, ceci interroge les manières de mettre en action ces acteurs au niveau territorial. Cette question a fait l'objet de nombreux travaux dans le champ des études s'intéressant aux processus d'écologisation de l'agriculture à travers les actions collectives agroenvironnementales, que nous revisitons ici de manière synthétique.

a) Des acteurs manquants

Papy et Torre (2002) soulignent que même quand il est reconnu que certaines actions locales sont nécessaires pour résoudre des problèmes environnementaux, il est fréquent qu'aucun processus de coordination ne soit mis en œuvre, en raison des incidences juridiques et économiques ainsi que d'un coût social pouvant être important. Dans ces situations, la proximité géographique n'induit pas spontanément la mise en action des personnes ou groupes sociaux concernés.

Certains auteurs identifient donc le besoin de tiers pour impulser les coordinations territoriales nécessaires, et affirment que les soutiens publics à la transition agroécologique territorialisée doivent prioriser le travail de ces tiers facilitateurs pour prendre en charge le travail de coordination et ainsi faciliter l'implication des acteurs, en particulier des agriculteurs (Prager, 2015). Or Gascuel-Odoux et Magda (2015) soulignent que les intervenants habituels dans le domaine agroenvironnemental tendent à mettre en avant des compétences techniques pour jouer ce rôle de tiers, alors que les études des expériences existantes mettent davantage en relief le besoin d’une posture d'accompagnateur, de médiateur ou de facilitateur pour faciliter les processus de coordination et de gestion collective nécessaires.

Dans le cadre actuel de l'organisation du développement agricole français, Ruault et Lémery (2009) soulignent que les Chambres d'agriculture ou les autres réseaux de développement agricole (FDGEDA, CIVAM, etc.) constituent souvent l'organe sollicité pour opérer ce rôle de facilitation à travers ses agents salariés. Cependant, le mouvement de déterritorialisation a réduit le travail d'appui de proximité de ces agents tout en cadrant de plus en plus l'exercice de leurs activités dans des procédures et logiques de projets à durée limitée. Par conséquent, ceci limite leur capacité à connaître de manière précise la diversité des agriculteurs sur un territoire, ainsi qu’à travailler à leur mobilisation pour favoriser leur mise en action sur le long terme.

b) S'appuyer sur les pratiques de coopération déjà existantes entre agriculteurs ?

Face à ce défi, Papy et Torre (2002) soulignent que des coordinations locales existent déjà entre agriculteurs, voire avec d'autres acteurs locaux, tout en soulignant que peu d'études s'y sont intéressées comparativement aux travaux sur les processus physiques concernés par les questions environnementales. Ils recommandent notamment de porter l’attention aux arrangements existants entre exploitations et qui se déroulent hors de la présence d'institutions. Ainsi, selon eux, les coordinations de voisinage, lorsqu'elles existent, sont largement favorisées par l'appartenance à un réseau socioprofessionnel local ainsi que par l'utilisation ou la production de références techniques communes érigées en règles de fonctionnement. Ces coordinations sont rendues possibles par une histoire commune ou des expériences de coopération antérieure. Ces auteurs recommandent donc de s'y intéresser pour faciliter l'émergence des nouvelles coordinations nécessaires à la transition agroécologique territorialisée. De même, Mills et al. (2011) montrent dans le contexte du Pays de Galles que les initiatives réussies de collaboration agroenvironnementale sont notamment dues à l'interconnaissance préalable reliant les agriculteurs impliqués.

Cependant, d'autres auteurs affirment que ces arrangements déjà existants entre agriculteurs obéissent à des objectifs spécifiques qui peuvent ne pas être congruents avec ceux des collaborations territoriales à mettre en œuvre. Ainsi, Riley et al. (2018) montrent que les arrangements entre agriculteurs pour le travail en Grande-Bretagne correspondent à des processus entre pairs choisis, qui ne sont pas forcément des voisins immédiats, et qui sont spécifiques à certaines dimensions de l'activité agricole. Les discours des agriculteurs,