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Cuma et enjeux agroécologiques territorialisés

Chapitre 2 LES CUMA A L’ERE DE L’AGROECOLOGIE

3. Les Cuma à l'épreuve de l'agroécologie

3.1. Cuma et enjeux agroécologiques territorialisés

3.1.1. Mutualisation pour l'adaptation agroécologique

Le réseau des Cuma fournit de nombreux exemples de démarches de mutualisation d'équipements nécessaires à l'adaptation agroécologique des systèmes productifs. Ainsi, les outils de désherbage mécanique font partie des objets autour desquels les investissements s'accroissent en Cuma (FNCuma, 2017). Différentes cultures de diversification sont entreprises grâce à l'investissement en Cuma des outils nécessaires à leur culture, récolte, stockage ou conservation. Ainsi, en région Haute-Normandie et Nord Pas de Calais, la relance de la culture du lin a conduit au développement de nouvelles activités en Cuma pour disposer des équipements et de l'organisation nécessaire à sa récolte.

3.1.2. Valorisation des synergies et complémentarités inter-

exploitations

Un phénomène actuel d’essor de nouveaux échanges de matières entre éleveurs et

céréaliers s'opère actuellement dans différents territoires. D'abord amorcé chez les

producteurs en agriculture biologique, il s'étend aujourd'hui au sein des agricultures conventionnelles (Moraine, 2015). Depuis peu, des Cuma sont le lieu d'organisation formelle de la mise en place de ces arrangements. Ce genre d’initiatives fait partie des axes d'étude du projet en cours Luz'Co (projet de recherche-développement CASDAR11 2016-2019 que

notre thèse a intégré) (Casagrande et al., 2017).

Le Guen (2016) constate également que les Cuma sont le creuset à partir duquel émerge de manière informelle ce type d'échange grâce à l'interconnaissance qu'elles génèrent. En région Poitou-Charentes, des agriculteurs en Cuma abandonnant l'élevage se tournent vers leurs collègues éleveurs pour valoriser des cultures de luzerne, intéressantes à intégrer à leur rotation céréalière d'un point de vue agronomique.

3.1.3. Gestion collective de la complexité paysagère

Les Cuma jouent un rôle majeur dans la valorisation économique d'un type d'infrastructures agroécologiques, en l'occurrence les haies bocagères, bien que ce rôle soit peu connu. En effet, comme le souligne Pierre (2013), l’émergence de filières bois-énergie a été impulsée par le réseau Cuma dans différentes régions de France. La valorisation des productions bocagères est en effet cruciale pour maintenir des haies sur les exploitations. Cependant, elle représente une charge de travail, qui a été amoindrie par l'acquisition en Cuma d'équipements d'élagage. La recherche de valorisation économique a aussi conduit à l'organisation de Cuma départementales avec une activité de déchiquetage dont les engins sont conduits par des salariés pour permettre de déléguer cette activité. Cependant, la commercialisation du bois déchiqueté s'est révélée problématique dans le contexte français comptant avec une abondance de ressources forestières face à laquelle le bois agricole d'origine bocagère n'est pas compétitif. Ceci a incité des acteurs de Cuma à organiser des circuits courts de valorisation de bois déchiqueté, notamment à destination de communes rurales s'équipant de chaudières collectives pour des bâtiments publics (maisons de retraite, piscines). Le développement de ces initiatives reste cependant complexe, en raison des règles de marchés publics incitant à s'approvisionner en bois forestier moins cher. Ces expériences des Cuma, de manière similaire que pour la restauration collective, montrent comment des régulations publiques actuelles viennent en contradiction avec des intérêts agroécologiques. Pour dépasser ces problèmes, des acteurs du réseau Cuma ont aussi lancé des dispositifs d'expérimentation pour valoriser le bois déchiqueté dans les litières des troupeaux d'élevage.

Hors la mise en place des filières bois-énergie, nous avons identifié peu d'initiatives sur le

sujet de l'amélioration des habitats écologiques, à part une récente expérience en

Alsace. En 2014, une Cuma s'y est créée dans le cadre d'un programme environnemental européen, pour restaurer l'habitat d'un rongeur. Cette Cuma facilite l'accès à des équipements d'agriculture de conservation pour maintenir des couverts végétaux en hiver et une biodiversité dans les sols, favorables à l'alimentation et la protection de cette espèce (Leprat, 2016).

3.1.4. Bouclage des cycles biogéochimiques

Une pluralité d'initiatives de Cuma contribue au bouclage des cycles biogéochimiques.

Ainsi, en Lorraine, une CUMA a été créée avec l'appui de chercheurs pour mieux gérer les flux d’azote issus des fumiers et composts sur un bassin versant. Elle gère depuis 1993 un flux annuel de l’ordre de 45 000 tonnes de fumier. Ceux-ci sont compostés puis épandus à faibles doses sur les prairies permanentes, ce qui garantit une très faible lixiviation nitrique (Benoît et Kockmann, 2008). D'autres initiatives de ce genre existent en Cuma dépassant l'acquisition d'équipements en y ajoutant une gestion collective de l'épandage des effluents pour favoriser leur optimisation écologique en fonction des caractéristiques des parcelles concernées, et ainsi réduire les consommations intermédiaires de fertilisants.

Le développement actuel du cocompostage de déchets verts et effluents d'élevage a été initié grâce aux efforts passés de regroupements d'agriculteurs pionniers en Cuma. Ayant passé le stade de l'expérimentation, ce champ d'activité constitue aujourd'hui un secteur

investi par des opérateurs externes à l'agriculture (dans le champ de la gestion des déchets) partenaires habituels des collectivités territoriales. Ces opérateurs ont repris ces activités pour installer des dispositifs, dans lesquels les agriculteurs ne sont plus souvent que de simples fournisseurs.

Enfin, des groupes d'agriculteurs en Cuma sont parties prenantes de l’essor actuel de la

méthanisation agricole. Le projet émerge souvent dans la Cuma, et donne lieu ensuite à la

création d'une nouvelle structure juridique pour gérer l'unité de méthanisation, souvent en s'appuyant sur les équipements de la Cuma pour le transport des matières méthanogènes issues des exploitations et du digestat produit par l'unité. Différents experts préconisent le développement d'unités de méthanisation territoriale impliquant agriculteurs et autres producteurs de coproduits méthanogènes (entreprises agroalimentaires par exemple) pour un meilleur bouclage des cycles biogéochimiques (Couturier et al., 2016). Cependant, nous observons une préférence fréquente d'agriculteurs pour des projets de méthanisation collective entre pairs valorisant les seules matières méthanogènes de leurs exploitations. En effet, leurs expériences de négociation avec d'autres acteurs ne leur apparaissent pas satisfaisantes et leur font craindre une position asymétrique et désavantageuse avec ce genre de partenaires, notamment quand il s'agit d'opérateurs agro-industriels.

3.1.5. Relocalisation de la production de ressources

Les expériences relatées dans cette section et le chapitre précédent autour des ateliers de transformation collectifs, des circuits courts de commercialisation, de la filière bois-énergie montrent que l'outil Cuma est saisi de différentes manières pour organiser des modes de

valorisation de produits agricoles trouvant difficilement des débouchés. De même, du côté

de la production de semences, on trouve des acquisitions collectives d'équipements de

triage et de séchage de semences en Cuma, facilitant ainsi la production fermière de ces

ressources.

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La diffusion de ces initiatives menées par les Cuma a été rendue possible par le rôle joué par le réseau pour en tirer des enseignements et favoriser leur réplication via des études, des évènements techniques et du temps dédié d’agents du réseau.