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CHAPITRE V : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.1. Des attentes à la réalité

5.1.2. Le passage de l’Europe et/ou des États-Unis au Québec

Dans cette section, au lieu d’aborder globalement la situation de ceux qui sont arrivés plus récemment, nous allons l’aborder ici en faisant la distinction entre ceux qui sont arrivés plus récemment, mais qui, comme les doyens, sont venus directement du Togo et les autres, qui sont arrivés plus récemment et qui avaient eu l’occasion de vivre ailleurs en Occident avant de venir au Québec.

Ainsi, il sera question de voir si les migrants togolais qui sont à leur deuxième immigration s’intègrent mieux que ceux qui sont venus directement du Togo au Québec. Nous verrons si les expériences acquises en Europe et aux États-Unis ont été utiles pour accélérer l’intégration sociale et professionnelle des répondants. Cette section prendra d’abord la forme d’une comparaison des parcours de ceux qui sont venus du Togo et de ceux qui en sont à leur deuxième expérience migratoire. Ensuite, nous comparerons l’intégration des cadets et des doyens pour voir si le passage des uns par l’Europe et les États-Unis fut un avantage par rapport à ceux qui sont venus directement du Togo. Dans l’analyse qui suit, nous avons d’abord pris en compte l’intégration professionnelle et ensuite avons abordé d’autres dimensions de l’intégration. Nous avons considéré la période d’arrivée et la période après leur préparation au marché du travail comme nous l’avions vu précédemment pour les doyens, soit environ 5 ans après leur installation et 5 ans environ après leur formation (universitaire). Cet aspect de notre comparaison concerne bien évidemment seulement ceux qui ont repris leurs études parmi les migrants économiques, car nous savons que ce ne sont pas tous nos répondants (migrants économiques) qui ont repris les études à leur arrivée au Québec.

Le fait qui nous a paru récurrent dans nos données est que tous nos répondants qui sont passés par l’Europe ou les États-Unis, semblent tenir pour acquis que les réalités en terme de stratégies de recherche d’emploi, des rapports employeur-employé, de l’usage des cartes de guichet et de crédit etc., de leur pays de départ seraient plus ou moins les mêmes qu’au Québec. Cela est moins évident pour les migrants venus du Togo qui s’attendaient à trouver au Québec des réalités nouvelles et différentes de celles qu’ils connaissaient. Il faut aussi dire que le Québec a été présenté à tous les migrants, par leurs contacts ou par les médias,

comme une province où coulent le lait et le miel, bref un Eldorado où ils n’auraient pas beaucoup d’effort à fournir pour trouver un emploi intéressant. Leur seul effort serait simplement de se positionner sur le marché de l’emploi. De surcroit, excepté les refugiés, presque tous sont des universitaires et disent avoir été sélectionnés par le programme de travailleurs qualifiés. De fait, ils pensaient que l’intégration sur le marché du travail serait, pour eux, facile et rapide. Un répondant (migrant économique) venu d’Europe, à son arrivée pour la première fois à l’aéroport de Montréal, montrait son admiration en ce sens : « nous voyons partout, on a écrit : « nous embauchons, nous embauchons, sur des magasins» et nous disions que c’est donc une réalité ce qu’on (amis et contacts du Québec) nous disait hein!...» (Penelope, 53, 2000, NM). Cependant, ce répondant, quand nous l’avons rencontré, explique que, cinq ans après son arrivée au Québec, il n’était pas satisfait de son emploi. Il était «comptable» de profession au Togo avant son départ pour le Québec. Il pense que son niveau d’étude dépasse l’emploi et le poste qu’il occupe. Ainsi, il nous a dit avoir repris les études afin de s’orienter dans un autre domaine. Il raconte ses expériences de recherche d’emploi:

J’ai été à un entretien d’embauche […] la personne qui nous a interrogé dans le focus group s’intéressait à mes réponses jusqu’au moment où il a su que je suis un Togolais et il s’est détourné de moi pour faire face à un Québécois jusqu’à la fin […] je n’ai pas été retenu depuis ce temps, j’ai décidé de ne plus jamais mentionner dans mes CV les lieux [au Togo et en Europe] où j’ai eu mes diplômes. (Penelope, 53, 2000, NM).

Ce répondant semble croire qu’il n’a pas été retenu à cause des préjugés que l’examinateur a sur son lieu d’origine et sur ses diplômes. Par contre un autre répondant venu également d’Europe nous a parlé des premiers moments (environs 3 ans) de son installation au Québec. Son expérience semble différente. Au lieu de tenter sa chance sur le marché du travail, il a choisi de retourner aux études pour faire une seconde maitrise, bien qu’il possédait déjà un diplôme (une maitrise complétée en Europe), qui aurait dû lui permettre, selon lui, d’intégrer son ordre professionnel. Au moment où nous l’avons rencontré (après qu’il eut passé environ 9 ans au Québec), il exerçait un emploi lié à sa profession et exprimait, pour sa part, sa satisfaction par rapport à son intégration professionnelle. Il explique sa satisfaction par le fait d’avoir non seulement de meilleures conditions de vie

avec son travail qui lui offre de bonnes assurances, à l’instar de ce dont bénéficient beaucoup de Québécois de souche.

Aussi, l’exemple de la migrante qui est venue des États-Unis et qui s’est débrouillée toute seule, conforte le fait que l’expérience acquise dans son pays de départ (États-Unis) fut un avantage pour elle dans son intégration sociale et professionnelle.

Nous n’avons contacté personne, nous n’avons rien eu comme difficultés. Pour les dossiers, on l’a fait seul par toutes les informations sur l’internet. Personne n’a été notre intermédiaire. Si on avait des questions, on se référait plus aux forums de discussions sur le site de l’immigration pour savoir comment les choses se passent ici [au Québec], surtout par les forums de discussion. Il est vrai qu’en arrivant avec le «bouche-à-oreille», on a eu une information d’une famille chez qui on pouvait rester. (Lydie, 43, 2006, NM)

Une autre migrante venue également des États-Unis a fait une expérience différente. La répondante a eu beaucoup de difficultés dans sa recherche d’emploi et de logement. En effet, comme nous l’avons déjà présenté, dans le chapitre précédent, il s’agit d’une mère monoparentale, qui voulait retourner aux études, car selon elle, ses diplômes reçus aux États-Unis, n’inspiraient pas la confiance des employeurs québécois. On peut comprendre peut-être que c’est sa situation familiale qui a été un sérieux handicap à la mise en valeur de ses expériences antérieures.

On peut dire que certains ont su tirer profit de leurs expériences acquises en Europe ou États-Unis. D’autres semblent n’avoir pas eu d’expériences malgré leur passage dans un autre pays d’Occident. Les cadets croient eux aussi qu’ils sont victimes de discrimination. Une recherche d’Ézechiel (2006) sur les migrants de l’Afrique de l’Ouest permet de nuancer l’interprétation que font les cadets. Un des répondants d’Ézechiel pense aussi être discriminé sur le marché du travail mais fait une autre lecture du même contexte, soutenant que, durant les périodes de crise,

face à cette ruée immigrante qui concurrence sévèrement les diplômes québécois sur le marché du travail, le patronat peut être tenté d’émettre des critères discutables ou non pour protéger et favoriser les nationaux, [il pense que] c’est la même pratique qu’on peut observer dans le secteur économique, quand par exemple, les marchandises d’origine étrangère font concurrence à la production nationale d’un pays, on ne peut pas toujours laisser au marchand le

pouvoir de régir cette concurrence, c’est pourquoi, les autorités nationales de l’État en question peuvent prendre des mesures visant à établir des barrières douanières pour protéger la production nationale (Ézechiel, :2006 : 102).

Les propos de ce répondant suggèrent un certain fatalisme devant les difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi. Plusieurs pensent même que la majorité des difficultés qu’ils rencontrent dans leur intégration professionnelle auraient pour cause les politiques d’action du gouvernement du Québec par rapport au marché du travail. En effet, certains ordres professionnels imposent plusieurs mesures aux immigrants exerçant dans leur domaine, des mesures qui les découragent parfois.

Sur le plan social, l’analyse de la trajectoire migratoire d’un de nos répondants venus directement d’Europe révèle que les différences entre le Québec et l’Europe sont pour lui une source d’étonnement et de déception par rapport à ces attentes :

En Europe, ma famille et moi bénéficions d’un système social de santé très avancé [...]. Arrivé ici [au Québec], ça a été une grande déception pour ma famille et moi. Savoir qu’il faut faire des pieds et des mains et attendre au moins 10 heures de temps avant d’avoir une petite ordonnance, si quelque chose t’arrive en urgence ou pour avoir un soin élémentaire. J’avoue que nous [moi et ma famille] avons failli retourner en Europe dès les premiers moments. (Jude, 5, 2008, NM)

Ce répondant estime avoir de modestes conditions de vie et affirme que son parcours professionnel n’est pas encore celui qu’il espérait en venant au Québec. Ainsi, au moment de l’entrevue, il travaillait dans une manufacture et était toujours en recherche d’un autre emploi mieux payé.

En analysant les divers parcours, on remarque que certains de ceux qui sont à leur deuxième immigration estiment être satisfaits déjà dès le début de leur installation jusqu’au moment où nous les avons interrogés. Ces répondants estiment que leur rêve s’est réalisé. Pour d’autres migrants venus d’ailleurs que le Togo, leurs discours sur leur trajectoire de vie migratoire indiquent qu’ils ont été plus actifs et entreprenants dans la recherche de logement sur internet, la manière de rechercher des avis de recrutement etc., que certains qui sont venus du Togo. Toutefois, les expériences que la majorité des répondants des deux groupes font par rapport à l’adéquation des diplômes qu’ils ont obtenus ailleurs et de

l’emploi qu’ils occupent est plutôt décevante. Tous nos répondants migrants économiques disent à l’unanimité que leurs diplômes ne sont pas considérés sur le marché de l’emploi au Québec.

Pour la majorité des répondants, les premiers mois au Québec sont l’occasion de découvrir les réalités et les enjeux relatifs au marché de l’emploi, à la recherche de logement, et à d’autres aspects de l’intégration, lesquels s’avèrent souvent différents de ce qu’ils avaient imaginé avant leur arrivée.