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CHAPITRE IV : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE

4.1. Le portrait sociodémographique de nos répondants

Nous avons interrogé 17 répondants, dont 13 hommes et quatre femmes. L’âge de nos répondants varie entre 28 et 70 ans. Parmi eux, huit ont entre 28 et 45 ans, les neuf autres ont entre 45 et 70 ans. Au moment de leur arrivée au Québec, sept avaient entre 18 et 25 ans; cinq avaient entre 25 et 35 ans, quatre avaient entre 35 et 45 ans et trois avaient entre 45 et 60 ans. Au moment où nous faisions l’entrevue, 14 répondants étaient mariés et avaient des enfants. Un répondant était divorcé, une était célibataire sans enfant et une autre était célibataire avec enfant.

Par rapport au domaine de formation et à leur niveau de qualification, 16 répondants détenaient un diplôme universitaire (baccalauréat et études supérieures), sauf un qui a fait une formation professionnelle à son arrivée au Québec. Sept détenaient des diplômes universitaires du Togo et/ou d’Europe avant leur immigration. Cependant tous ont refait des équivalences de leurs diplômes en reprenant des cours de «remise à niveau» pour obtenir des diplômes dans les universités québécoises. Ces derniers estiment que leurs formations n’ont aucun rapport avec l’emploi qu’ils occupent au moment de l’entrevue. Cinq répondants estiment par contre que leurs emplois sont en lien avec leur formation. Parmi eux, deux personnes n’ont pas trouvé nécessaire de prendre des cours complémentaires pour faire valoir leur diplôme obtenu en Europe avant leur arrivée au Québec. Après les

entretiens avec nos répondants, deux grandes catégories se distinguent : ceux qui sont venus avant 1980 et ceux qui sont venu après cette période qui sont essentiellement les migrants économiques et les réfugiés. Nous avons choisi de faire cette distinction car nous pensons qu’il pourrait y avoir un lien ou une particularité concernant le déroulement de l’intégration des membres de ces deux cohortes de migrants au Québec. Cette présentation est importante parce qu’elle nous permet, de façon spécifique et systématique, de comprendre l’expérience de chacun au sein de sa cohorte individuellement et de façon collective.

Outre la cohérence méthodologique que nous visons, ce choix de présentation des répondants basé sur la période d’immigration, nous permettra de voir aussi, dans la mesure du possible, si cette période d’arrivée a influencé leur parcours migratoire. Ce choix a été fait également par rapport à l’histoire socioéconomique qu’a traversée le Québec. Nous trouvons important de le souligner car cette période peut probablement influencer l’intégration socioprofessionnelle de nos répondants.

4.1.1. Les répondants de la première cohorte : les migrants togolais arrivés avant 1980

Nous présentons à partir de cette section, les deux catégories de migrants togolais que nous avons interrogés. Ceux qui sont venus avant 1980 et ceux qui ont immigré plus récemment c'est-à-dire après 1980. Ils étaient essentiellement des étudiants boursiers car seules les bourses d’études du gouvernement québécois permettaient aux étudiants togolais de venir au Canada dans le cadre de leurs études supérieures durant cette époque. Vita (2002) a constaté qu’entre 1971 et 1980, le nombre d’étudiants est très élevé parmi les migrants du Québec, probablement à cause de l’environnement économique florissant du Québec à cette époque.

Il faut rappeler que le Québec avant la crise du pétrole jouissait d’une économie florissante et d’un État providence, au fédéral et au provincial, qui offrait beaucoup d’emplois, tant au public qu’au privé. Après cette période, comme nous le rappelle Tremblay et Duplain68 : « l'État providence est confronté à des problèmes de ressources financières et il adopte une

68http://www.panorama-quebec.com/cgi-cs/cs.waframe.content?topic=27194&lang=1consulté le 10 novembre 2014

stratégie de retrait afin de diminuer son [implication économique dans beaucoup de secteur etc.]», ce qui a eu des répercussions majeures sur le secteur de l’emploi et donc sur les politiques économiques du Québec après 1980.

Remarquons, par ailleurs, que nos répondants qui étaient venus au Québec entre les années 1970-80 pensaient retourner au Togo après leurs formations dans les universités québécoises pour travailler. Leur intention était de combler le déficit d’experts dans les divers domaines de formation (gestion, scientifique et industrielle), nécessaires pour amorcer le développement du Togo après son indépendance le 27 avril 1960. Presque tous ces répondants ont évoqué une diversité de raisons expliquant leur choix de rester finalement au Canada après leurs études. On peut signaler, entre autres, le manque de liberté d’expression et de mouvement des travailleurs dans la fonction publique togolaise de l’époque, la résistance aux changements qui semble être observée dans l’administration togolaise dont l’une des raisons évoquées est le conflit entre ceux qui sont formés à l’extérieur du Togo et ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de recevoir une formation à l’extérieur. L’appartenance au «parti unique» semble prendre le dessus parmi les critères de promotion dans la fonction publique malgré les compétences des fonctionnaires. Les propos de ce répondant décrivent bien le climat et l’esprit qui régnaient à cette époque et qui ont influencé sa décision de revenir s’installer finalement au Québec où il avait fait ses études.

[...] Après nos études, quand nous étions repartis au Togo, la situation politique au Togo ne s’améliorant pas, et l’administration togolaise ne donnant pas la facilité de pouvoir exercer notre profession librement sans être du parti au pouvoir. Beaucoup de contraintes sont à noter : en exemple, avant d’aller même au Bénin [pays voisin] pour les vacances, ton passeport était confisqué par ton supérieur hiérarchique [...]. Ainsi [face à cette situation] nous avons été contraints de revenir au Canada pour nous installer, dans un climat beaucoup plus libéral de travail. (Silas, 65, 1970, M69)

69Nous identifierons dans tout le mémoire nos répondants (de la droite vers la gauche) de la sorte : Silas =nom fictif, 65=âge, 1970=année d’immigration, M=membre et NM signifie non membre de la CTC.

4.1.2. Les répondants de la deuxième cohorte : migrants économiques

Contrairement à la cohorte de répondants que nous venons de présenter, les répondants qui appartiennent à la seconde cohorte sont venus grâce au programme de travailleurs qualifiés, initié par la province de Québec et dont l’accès est validé par le certificat de sélection du Québec (CSQ) qui permet d’avoir le statut de résident permanent au Canada. Ces migrants, que le ministère de l’immigration du Québec appelle migrants économiques, se répartissent en deux groupes : (1) ceux qui ont quitté le Togo directement pour le Québec et (2) ceux qui ont effectué un détour plus ou moins long par l’Europe ou/et les États-Unis. Huit parmi nos répondants sont arrivés au Québec à titre de migrants économiques. Parmi eux, cinq étaient à leur seconde immigration et trois sont venus directement du Togo. Une répondante venue directement du Togo raconte :

Quand j’ai terminé une maitrise en gestion à l’Université de Lomé, j’ai eu la chance de trouver un travail dans une banque de la capitale. J’étais sur un projet au service des statistiques sur trois ans. Au cours de ma troisième année [ne sachant pas si j’aurais le renouvellement de mon contrat], j’étais en contact avec un ami Togolais, qui m’a parlé du projet d’immigration au Québec et j’ai été intéressée. Et j’ai fait aussi moi-même des recherches et je me suis finalement lancée dans le projet d’immigrer au Québec pour explorer les opportunités professionnelles qui pourraient s’offrir par rapport à ce que le Togo ne m’offre pas. (Alice, 28, 2003, M)

Contrairement à cette dernière, d’autres répondants étaient à leur deuxième expérience en matière d’immigration. Parmi ce groupe, un répondant venant d’Europe nous raconte les raisons de son choix de venir au Québec.

Mes raisons sont aussi bien socioéconomiques que personnelles. Socioéconomiques parce que d’origine togolaise, la situation socioéconomique de mon pays ne me permettait plus de m’épanouir. J’estime que j’étais en train de me niveler [perdre mon temps sans utiliser mes compétences intellectuelles]. J’ai fait des études universitaires et mon pays le Togo, en tout cas c’est mon opinion, ne me permettait pas de faire valoir mes compétences. À ce moment- là, il devenait urgent d’aller faire valoir mes compétences sous d’autres cieux. Fort heureusement, j’ai obtenu une bourse pour aller faire des études dans un pays d’Europe et j’ai fait mes études dans ce pays pendant une année. Et cette opportunité m’a permis d’accélérer le processus d’immigration que j’avais déjà commencé quelques années plutôt au Togo. Ce qui était long. Mes raisons personnelles sont que j’ai un ami, qui lui, il a immigré au Canada, au Québec, six ans plus tôt. Il est parti en 2000. Donc, lui [il] m’a vanté les opportunités

qu’on pourrait avoir au Québec. Lui, il m’a dit [nom du répondant]: postule au dossier, fais le dossier ! Il trouvait que je pourrais m’intégrer à cette société facilement. Voilà les deux raisons. Le Québec parce qu’on y parle français, on a grandi dans un milieu francophone, on parle français, on a fait nos études en français. Ce sont des raisons sociales qui font que le Québec nous paraissait comme une destination évidente pour nous. (Barnabé, 39, 2008, M)

Une répondante, mère de famille, venue en 2007, a fait une autre expérience de l’immigration aux États-Unis avant de venir au Québec. Ayant déjà les papiers de résidence des États-Unis, elle voulait tenter une autre aventure qui était pour elle un rêve d’enfant. Elle avait l’assurance que si cela ne marchait pas, elle retournerait aux États-Unis avec sa famille. Nous avons rencontré aussi quatre migrants togolais de la deuxième cohorte qui sont venus avec un statut de réfugiés. Ils n’ont pas choisi le Canada. Ils ont été contraints, à cause de leurs opinions, de quitter le pays suite aux crises sociopolitiques du Togo de 1990. Parmi ce groupe, une femme qui avait fait de la prison raconte son expérience :

Je pense que je n’ai rien décidé du tout. Je n’ai pas choisi de venir au Canada. J’ai eu des problèmes politiques avec le dictateur Eyadema (Président de la République du Togo d’alors). J’ai fait des mois de prison, et j’ai dû sortir du pays, aidée par la Croix rouge. Le Canada m’a accepté et je suis arrivée au Canada dans ces circonstances-là avec mes enfants. Ce n’est pas délibérément que je suis venue au Québec. (Homer, 40, 2006, NM)

Une autre répondante, qui a fait une expérience différente de la précédente explique son parcours migratoire:

Il faut dire que bon euh, j’ai vécu d’abord cinq ans aux États-Unis avant de venir ici. Le Canada parce que j’étais demandeuse d’asile politique aux États- Unis et cela n’a pas marché. Et puis bon [...], j’avais un avocat, il y avait un avocat d’Amnistie internationale qui m’a donné des informations qui m’a dit que je pouvais venir au Canada. Le Québec parce que c’est le français. Il y aura moins de barrières linguistiques, plus que, ce que j’ai vécu aux États-Unis. (Jude, 5, 2008, NM)

Un autre répondant après avoir fait ses études d’ingénieur en Russie était retourné au Togo. C’est au cours des années de violence, suite aux crises sociopolitiques du Togo, qu’il a décidé de protéger sa famille en se rendant dans un pays limitrophe du Togo. C’est dans ce pays, dit-il, qu’il a découvert cette possibilité de se rendre au Canada par le HCR (Haut conseil pour les réfugiés). Chez ces réfugiés, qui sont venus directement du Togo ou en

passant d’abord par l’Europe ou les États-Unis, le point commun qui se dégage de leur décision d’immigration est la quête de liberté. Mais leurs parcours diffèrent selon leur situation familiale et selon ce qu’était leur premier projet migratoire, qui n’était pas nécessairement de s’installer au Québec.