• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE V : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.1. Des attentes à la réalité

5.1.1. La période d’arrivée : tremplin à l’intégration socioprofessionnel des doyens ?

La période d’arrivée n’a pas pour autant joué en faveur des doyens comme on pouvait le penser. Étant pratiquement les premiers à immigrer, mieux les pionniers de l’immigration togolaise au Québec, ils n’ont pas pu bénéficier du soutien de la CTC comme c’est le cas des cadets aujourd’hui. Il est important de rappeler aussi que la plupart n’ont pas transité par un pays occidental leur permettant de se familiariser avec la culture occidentale, ce qui aurait pu, d’une manière ou d’une autre, contribuer à faciliter leur intégration au Québec Les réseaux informels qu’ils fréquentaient se réduisaient à leur groupe d’amis, tout au plus, aux migrants ayant les mêmes modes de vie qu’eux-mêmes. Trois doyens, par exemple, disent avoir eu recours à d’autres réseaux comme les groupes de migrants qui étaient pratiquement dans les mêmes conditions qu’eux. Ainsi, la faiblesse de leurs réseaux sociaux semble, a priori, avoir nui à leur intégration au moment (période) de leur arrivée. Toutefois, avec le temps, il faut le reconnaître que les doyens ont acquis une certaine expérience sur le plan socioprofessionnel par rapport aux cadets. Il va sans dire que s’ils sont relativement mieux intégrés au moment où nous les avons interrogés, c’est parce qu’ils sont là depuis plus longtemps et connaissent mieux la société québécoise que les cadets. Ce constat sur le temps effectué et l’expérience accumulée par des migrants au Québec comme facteurs qui influencent positivement leur intégration fut déjà souligné dans certaines études (Gagné, 1989; Renaud, et al 2001; Renaud, et al, 2003). En effet, les auteurs de ces études soutiennent que l’intégration s’améliore avec le temps. Dans la même veine, on peut penser aussi qu’ils ont moins de difficultés sur le marché de l’emploi au moment de l’entrevue semi-dirigée, car non seulement ils ont fait toutes leurs études supérieures au Québec et connaissent finalement les procédés de recherche d’emploi, mais aussi parce qu’ils sont arrivés à une époque où le taux de chômage était relativement bas (7.1% en 1975) par rapport à celui qui prévalait à l’époque où sont arrivés certains des cadets, notamment au début de la décennie1980 (13,9% en 1983) (Langlois, 1990:159 et Assogba, 2000 : 30). Nous avons considéré une période d’environ 10 ans relative à leurs premières années d’installation et après leur préparation au marché de l’emploi au Québec (après leur formation universitaire). Nous avons analysé comment leur intégration socioprofessionnelle s’est passée au cours de cette période. Par rapport aux cadets, nous prendrons plus tard, les

mêmes critères par rapport à leur période d’arrivée au Québec. Nous considérons également leur installation et après leur préparation au marché de l’emploi. Ce choix nous semble important pour comprendre le déroulement de l’intégration socioprofessionnelle des deux cohortes et pour voir sur quel plan l’intégration (trouver un premier job, développer un cercle d’amis, se trouver un logement etc.) a été plus ou moins difficile pour chaque cohorte. Autrement dit, nous voulons voir comment l’intégration des doyens à leur arrivée et après leurs études s’est déroulée par rapport à celle des cadets. En considérant les premières années effectuées au Québec par rapport aux deux cohortes, nous pensions au départ que les doyens auraient moins de difficultés, se basant sur le fait, qu’ils étaient boursiers et que tout était organisé pour eux d’avance par l’ACDI. Or, il semble que ce fut plutôt le contraire et que les cadets ont eu le privilège de bénéficier du soutien de la CTC et des expériences des doyens.

On aurait pu croire -répétons le- que l’intégration aurait été plus facile pour ceux qui sont arrivés avant 1980 et qui bénéficiaient au départ d’une bourse pour faire leurs études au Québec. Or, trois doyens, à cause de leur engagement manifeste contre le régime au pouvoir au Togo dans les années 80; se sont fait couper leur bourse d’étude74. Pour survivre et terminer leurs études, ils ont donc dû chercher du travail ou recourir à l’aide de leur réseau d’amis avec qui ils sont venus. De ce fait, on peut croire aussi que la politique du gouvernement togolais de l’époque a eu une forte influence sur l’intégration de certains étudiants et même sur leur décision plus tard, de rester définitivement au Québec.

Rappelons au passage qu’il y a deux catégories de doyens. D’abord le premier groupe constitué de ceux qui sont placés dans des familles québécoises et ensuite d’autres doyens qui sont logés dans les résidences universitaires à leur arrivée au Québec. Pendant les cinq premières années suivant leur arrivée, ceux qui étaient accueillis dans les familles québécoises évoquent les difficultés d’adaptation liée à la culture et notamment à l’alimentation75 (nouveaux repas québécois qu’ils découvrent par rapport aux repas

74Les bourses d’exemptions aux frais de scolarité aux étudiants étrangers se renouvellent après chaque programme d’étude. Bien que ces bourses soient données par le Québec, c’est le gouvernement togolais qui autorise le renouvellement pour un étudiant. Ainsi, un étudiant peut ne pas avoir son renouvellement, s’il veut entamer un nouveau programme de cycle supérieur par exemple. Généralement ces étudiants dont nous parlons commence par le 1er cycle et ils poursuivent par la maitrise et pour certains le doctorat.

africains dont ils ont toujours la nostalgie) et au climat (le froid par rapport à la chaleur du Togo à laquelle ils sont habitués). Ils disent avoir par contre pu compter sur l’aide de leur entourage (membres des familles d’accueil) pour comprendre certaines réalités québécoises (histoire et coutumes du Québec, etc.). Ils disent que les membres de leur famille d’accueil les ont aidés, en leur offrant par exemple des vêtements adaptés à diverses saisons au Québec et les conseillaient sur d’autres réalités qui leur étaient inconnues.

Ceux qui étaient plutôt logés dans les résidences universitaires expriment leur difficulté à trouver des interlocuteurs, à qui ils pouvaient s’adresser par rapport à leurs besoins. Certains parmi eux, ont apprécié la rencontre des étudiants africains et québécois qui les ont aidés à s’adapter à leur nouveau milieu de vie. Les étudiants africains qui sont venus avant eux (doyens) et qui résident dans les mêmes habitations, leur ont montrés, disent-ils, les lieux d’achat des produits alimentaires africains et des lieux de loisirs.

Après leurs études, c’est-à-dire dans les 5 années après leur diplôme universitaire, l’ensemble des répondants ont été confrontés aux mêmes difficultés dans la recherche d’emploi. Par exemple, un répondant (Isidore, 58, 1983, M) dit avoir envoyé 400 CV pour avoir 2 entrevues qui, selon lui, n’ont pas été favorables. Certains insistent sur le fait qu’ils ont été victimes de la discrimination. D’autres, qui ont pu trouver du travail dans leur domaine de formation, pensent et insistent sur le fait qu’ils doivent travailler «doublement plus que les Québécois ». Certains emploient les expressions telles que « être meilleurs plus que les Québécois » pour avoir la chance de garder leur travail en période de mauvaise conjoncture économique dans leur lieu de travail.

Par ailleurs, sur le plan professionnel, par rapport à la période d’arrivée des doyens qui semble plus favorable au plan économique, on constate plutôt qu’après leurs études ceux-ci ont eu beaucoup de difficultés à s’insérer professionnellement. Une lecture historico- critique de la situation économique du Québec de l’époque nous permet de comprendre que ces difficultés s’expliquent par le fait que, bien qu’ils soient arrivés à une période économique favorable, au moment où ils ont fini leurs études, la crise du pétrole était à son paroxysme. Ainsi beaucoup de réformes socioéconomiques étaient déjà en vigueur et le taux de chômage était élevé (Klein, J-L., et al., 2004). C’est en somme au moment où ils

étaient nouvellement diplômés et donc prêts à jouir de la prospérité économique du Québec que les réformes économiques ont eu lieu. Ainsi, la conjoncture a freiné sérieusement leur intégration professionnelle. Cela explique les difficultés qu’ils ont eues sur le marché de l’emploi en plus de leur perception de la discrimination qu’ils évoquent. Il faut souligner par ailleurs et précisément par rapport à leurs difficultés (rencontrées sur le plan professionnel) qu’ils ne s’étaient pas préparés à rester au Québec définitivement. Comme ils l’ont expliqué, beaucoup voulaient rentrer au Togo pour participer à son développement mais ont dû revoir leur projet à partir de 1980 à cause du contexte politique du Togo. Au même moment, l’environnement socioéconomique du Québec s’est avéré peu favorable à leur désir. Ainsi le choix de rester au Québec devenait plus difficile pour eux par rapport à leur intégration.

Ceux parmi eux, qui disent malgré tout être satisfaits de leur intégration sur le plan professionnel, semblent croire que c’est grâce au fait qu’ils ont changé de secteur d’emploi. Certains ont préféré créer leur propre entreprise et d’autres, (comme notre répondant qui soutient qu’il n’a jamais produit de CV, (Isis, 61, 1971, NM) semblent croire que c’est par rapport à leurs capacités intellectuelles qu’ils ont pu s’insérer sur le marché de l’emploi et obtenir le poste qu’ils occupaient au moment où nous les avons interrogés.

Somme toute, on peut retenir que la période d’arrivée des doyens au Québec n’a pas été favorable outre mesure à leur intégration socioprofessionnelle comme nous le pensions au début, car la majorité était confrontée à de nombreuses difficultés sur le plan socioprofessionnel malgré le fait qu’ils avaient un diplôme québécois. Rappelons que plusieurs bénéficiaient des bourses du gouvernement canadien ou québécois. Précisons aussi que le gouvernement canadien ou québécois octroient ces bourses aux candidats des pays bénéficiaires (Togo dans notre cas), quelques fois, avec l’appui aux candidats. Et donc, on peut croire, en fin de compte, que cette période des trente glorieuses a seulement facilité leurs études, puisque c’est grâce à l’économie québécoise qu’ils ont bénéficié des bourses qui, toute proportion gardée, «couvraient» leurs besoins essentiels selon les estimations des organismes donateurs.