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CHAPITRE V : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.3. Expériences associatives

5.3.3. Facteurs déterminants la non-fréquentation de la CTC

Les motifs évoqués par au moins trois des répondants de notre échantillon pour expliquer le choix de ne pas fréquenter la CTC ou de la quitter tournent autour des raisons géographiques, professionnelles et aussi pour des actions que l’exécutif de l’association semble poser au nom des membres sans pour autant être, selon ce répondant, un meilleur

76Rappelons que cette association est essentiellement ethnique. Elle fait partie de la grande association des Éwé en Amérique du Nord. Ils se regroupent annuellement dans une ville du Canada ou des Etats-Unis.

choix par rapport à des actions à mener vers le Togo ou au Canada envers un membre ou un non-membre de la CTC.

Comme nous le disions plus tôt, le déménagement d’un membre vers la ville de Québec par exemple, où l’association n’avait pas de section (siège), fut le motif principal qui l’a conduit à réduire sa fréquentation de la CTC. Deux autres répondants évoquent aussi la même raison en ajoutant le fait qu’ils étaient occupés par leur profession et donc n’avait pas de la disponibilité pour se rendre aux activités de la CTC. Un autre a simplement évoqué des raisons personnelles. Mais en poussant plus loin l’analyse et en considérant sa trajectoire migratoire,(surtout ce dernier répondant), nous comprenons qu’ il a vécu une expérience qu’il estime peu édifiante, d’incompréhension par rapport à une opinion, à un point de vue émis et qui a été critiqué ou non reçu, etc. Généralement, lors des réunions, chacun intervient et il arrive souvent que l’assemblée ne puisse pas toujours s’entendre sur un sujet donné, sur une proposition de solution à un problème exposé aux membres en plénière. Ainsi, le CA, bénéficiant d’un pouvoir discrétionnaire, peut trancher et prendre une décision. Celle-ci peut consister à octroyer de l’aide à un membre en particulier, à organiser une activité ou à définir la position officielle de la CTC par rapport à une situation donnée concernant les membres ou les non-membres. Tels sont les points de mésentente ordinaires qui peuvent des distances, qui conduisent certaines personnes à réduire tout contact avec la CTC.

Un répondant non-membre reprochait par exemple aux membres de la CTC d’avoir fait des choix partiaux lors des funérailles des parents de deux membres différents. Selon lui, un membre est toujours défavorisé par rapport à un autre. Ce qui constitue pour lui un motif «sérieux» de ne pas s’engager dans la CTC. On peut croire également à la recherche d’une vie plus discrète sans trop de contacts avec les Togolais au Québec, les prérogatives données à l’emploi et aux études qui laissent peu de temps pour la fréquentation d’une association, l’âge avancé de certains membres77 et l’intégration que certains pensent pouvoir réaliser en dehors de la CTC.

77Il y a trois catégories de membres au sein de la CTC. D’abord les membres actifs, les membres d’honneur et les membres sympathisant. En parlant de l’âge relativement avancé de certains, nous faisons allusions à ces personnes qui sont des membres d’honneur qui constituent le conseil des sages.

Parmi les autres facteurs qui expliquent que certains migrants ne souhaitent pas participer aux activités de la CTC, nous retenons l’histoire récente de l’engagement politique de la CTC, qui a engendré un antagonisme politico-ethnique chez les personnes appartenant à différents partis politiques ou groupes ethniques du Togo, à l’époque de la lutte pour la démocratisation du pays. Cette attitude de réserve ou de méfiance semble persistante chez certains. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre de mise en contexte et de présentation des résultats, certains ont immigré comme réfugiés politiques parce qu’ils étaient persécutés à cause de leur opinion critique envers le pouvoir politique togolais. Ajoutons que, selon un de nos répondants, entre les années 1990 et 2000, le gouvernement togolais aurait envoyé des gens pour espionner les membres les plus zélés de l’association et qui dénonçaient la dictature du pouvoir togolais au Canada. L’objectif aurait été d’inquiéter ces migrants à l’aéroport du Togo au moment de leurs éventuelles visites au pays.

Par ailleurs, on peut souligner que le processus d’immigration au Québec étant long et coûteux, les parents qui envoient leurs enfants dans les universités québécoises et les proches de ceux qui immigrent au Québec leur suggèrent de se concentrer sur leurs études et sur l’atteinte de leurs objectifs d’abord, avant de s’impliquer dans les associations togolaises. Ainsi, la recherche de la réussite de leur projet migratoire et leur stabilité financière au Québec est ce qui occupe le plus certains migrants togolais et c’est la raison pour laquelle ils disent n’avoir jamais jugé utile de prendre le temps de fréquenter la CTC. D’autres estiment qu’il y a toujours des problèmes dans les associations et préfèrent donc ne pas les fréquenter. C’est le cas de ce répondant vivant au Québec depuis 14 ans et qui explique : « depuis que je suis arrivé ici, j’ai trois amis : un Guinéen, un Malien et un Togolais. Je pense que cela me suffit comme cela. » (Zeus, 40, 1999, NM).

Enfin, nous retenons aussi que la fréquentation de la CTC donne parfois lieu à des liens temporaires, voire ponctuels. Un responsable de la CTC souligne qu’

«

il arrive des fois que c’est quand les compatriotes ont des problèmes qu’ils ont recours à la CTC » (Séraphin, 61, 1978, M)

.

Certains réduisent leur fréquentation une fois qu’ils ont obtenu ce pour quoi ils cherchaient de l’aide. Souvent les réfugiés qui rencontrent des difficultés avec la régulation

des papiers d’immigration au Québec ou dans la recherche d’un emploi, se rapprochent de la CTC. Une fois ces difficultés résolues, leur intérêt pour les activités de la CTC diminue manifestement, comme l’a aussi constaté Weber (2006) par rapport aux dynamiques des associations de migrants que nous avons soulignés plus haut. Aussi faut-il ajouter que plus les membres de la CTC sont âgés, moins ils participent à ses activités. Au cours de l’enquête, nous avons rencontré un couple de migrants togolais qui nous ont mentionné que c’est à cause de leur âge qu’ils ne sont plus très actifs dans les activités de la CTC. Toutefois, à quelques reprises dans l’année, la CTC témoigne des marques de reconnaissance aux personnes âgées de la communauté. Par exemple, au cours de la fête de l’indépendance, organisée le 27 avril 2014, un hommage fut rendu aux anciens membres âgés de plus de 65 ans qui ne fréquentaient plus la CTC78. Si certains migrants ont des raisons de ne pas fréquenter la CTC ou de cesser de le faire, d’autres ont, à l’inverse, des raisons qu’ils estiment «bonnes» de continuer à fréquenter l’association.