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CHAPITRE V : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

5.2. Les stratégies d’intégration utilisées par nos répondants

Nous verrons maintenant quelques stratégies auxquelles nos répondants ont eu recours et la manière dont ces stratégies influencent leur intégration au Québec. Étant des acteurs sociaux dans le contexte de l’immigration, nous savons que tous nos répondants sans exception ont des stratégies. Le choix ou la préférence d’une stratégie par rapport à une autre se fait par rapport aux diverses situations qu’ils rencontrent. Dans ce sens, Camillerie et al., (1990) donnent une précision importante en soulignant que : « c’est dans l’interaction avec l’environnement [pays d’accueil] que se négocient et se renégocient constamment les buts et les enjeux de l’action [car] les buts et les enjeux de l’action varieraient d’un individu à l’autre et d’un groupe d’immigrant à l’autre selon les variables de [...] capital social » (Camillerie et al., 1990 : 32). En ce sens nous pensons que tous ont des stratégies qui évoluent et changent par rapport au temps, à leur statut, au contexte et face aux diverses situations devant lesquelles ils se trouvent individuellement ou collectivement. Cependant, nous soulignerons seulement le bénévolat, le travail au rabais, le retour aux études et la création d’entreprise, comme stratégies qui sont récurrentes dans notre enquête. Nous nous limiterons uniquement au moment et à la manière dont ces stratégies influencent leur intégration professionnelle. Nous soulignerons (pour certaines stratégies utilisées), la nature des liens, des relations entre les personnes qui ont influencé le choix de ces diverses stratégies dans leur intégration.

5.2.1. Le bénévolat et le travail au rabais

Il faut dire d’abord que seules des femmes de notre échantillon nous ont dit avoir fait du bénévolat. Sur quatre femmes que nous avons interrogées, trois qui ne faisaient pas partie de la CTC, ont fait du bénévolat et expliquent que cette expérience leur a permis de tisser des liens très utiles. Notre échantillon n’étant pas représentatif, c’est peut-être un hasard de l’échantillonnage si ce sont uniquement des femmes et une majorité de celles que nous avons rencontrées qui ont opté pour cette stratégie, mais il nous semblait tout de même intéressant de le souligner.

Concrètement, nous avons observé auprès de ces trois répondantes qu’elles ont fait le bénévolat dans les trois premières années après leur arrivée au Québec. Selon elles, le bénévolat leur a permis d’acquérir une expérience professionnelle. Ainsi quand l’occasion se présente de se faire embaucher elles démontrent leurs compétences professionnelles. Le bénévolat leur a permis également de rencontrer des gensavec qui elles n’ont pas forcement développé des relations intimes ni de proximité quelconque, mais qui les ont aidé, par leurs conseils, à s’intégrer. Une répondante venue au Québec en tant que réfugiée, il y a 22 ans, nous a expliqué comment, grâce au bénévolat, elle a pu rencontrer des gens qui lui ont fait des propositions d’emploi lui permettant d’obtenir l’emploi qu’elle occupait au moment de l’entrevue. La même répondante nous raconte son expérience dans la recherche d’emploi et explique comment son bénévolat lui a permis de développer des liens qui lui ont été utiles.

J’ai entendu parler d’un organisme qui était le jumeau de là où je travaille maintenant, j’ai été faire du bénévolat : [...], je peux vous dire que le bénévolat, ça marche beaucoup, parce que c’est ça qui m’a donné des contacts. [...] quelqu’un qui était agent d’intégration socio-culturelle a démissionné et le directeur m’a dit est-ce que vous voulez prendre la place si vous vous voulez prendre le poste et j’ai dit oui. Ensuite quelqu’un qui était au conseil d’administration des deux organismes celui-ci présentement et de l’autre où je travaillais, est venu me dire, on cherche une conseillère en emploi est-ce que je suis intéressée, j’ai dit oui et c’est ici où je travaille maintenant (Marthe, 70,1991, M).

Concernant le travail au rabais, il faut dire que, dans le chapitre précédent, il appert que presque tous nos répondants ont accepté des emplois auxquels ils estiment être surqualifiés, surtout dans les cinq premières années passées au Québec. La plupart de nos répondants

affirment avoir accepté de travailler au rabais plus par nécessité et pour survivre, que par choix. Plusieurs nous ont dit que c’est une mesure transitoire pour avoir des contacts et acquérir une expérience de travail afin de trouver un travail moins précaire. Par contre d’autres répondants, après quelques années dans les manufactures, retournent aux études pour avoir un diplôme canadien.

5.2.2. Le retour aux études et la création d’entreprise

Le retour aux études fut une autre stratégie développée par la majorité des migrants économiques. On constate, comme nous l’avons dit précédemment que nos répondants insistent sur le fait que leur diplôme n’est pas pris en compte sur le marché de l’emploi québécois. Ainsi, le retour aux études semble être une alternative pour ceux (parmi eux) qui pensent plus tard travailler dans le domaine de leur formation initiale. Un répondant raconte :

[...].Je pensais que la réinsertion devrait se faire d’un seul coup [...], mais l’ordre des travailleurs sociaux me demande d’autres formalités avant mon insertion dans l’ordre. En face de cette difficulté, j’ai [finalement] compris alors [qu’] avec les [partages] d’amis que je dois tout recommencer à zéro dans mon domaine d’études [...]. En 2012, je suis retourné aux études, pour avoir la maitrise dans mon domaine. (Jude, 5, 2008, NM)

Une répondante qui possédait une maitrise en gestion au Togo, avant de venir au Québec nous a expliqué qu’elle était déjà en contact avec un ami togolais deux années avant de venir à Montréal et même après son arrivée. Selon elle, c’est grâce à cet ami et aussi à des séances d’intégration culturelle, organisées par le gouvernement canadien au Québec qu’elle a su d’abord certaines réalités inhérentes au monde du travail. Par exemple, elle a découvert qu’elle devrait retourner aux études et envisager de compléter un certificat à l’université pour accroitre ses chances d’être embauchée: « cela revenait dans les discussions que les employeurs sont en confiance quand ils voient que tu as un diplôme d’ici (du Canada) », soutient-elle. Nous pouvons penser que les services publics mis à la disposition de cette répondante et aussi son réseau d’amis lui ont permis d’obtenir des conseils et informations qui ont influencé son choix de retourner aux études.

Un autre répondant venu d’Europe raconte comment il était en contact avec ses amis Togolais résidant au Québec depuis qu’il a commencé son projet d’immigration au Québec. Il insiste sur le fait que ce sont ses compatriotes qui l’ont accueilli à l’aéroport et l’ont aidé le plus. Il semble attacher de l’importance à cet accueil de ses amis. Il soutient que les conseils de ses amis ont été déterminants non seulement dans son choix de retourner aux études, mais aussi dans le choix de son programme d’étude du deuxième cycle, plutôt qu’un programme du troisième cycle, qui selon lui ne l’aurait pas avantagé dans son emploi actuel. Il dit qu’il a eu de la chance et que c’était de bons conseils qu’il a reçus.

Par ailleurs, un constat se dégage de l’ensemble de nos entrevues par rapport à nos répondants qui sont retournés aux études: les migrants diplômés venus du Togo ou de l’Europe, une fois leurs études complétées, ont tendance au départ à vouloir travailler exclusivement dans leur domaine de formation. Pour leur part, les doyens que nous avons interrogés, ont souvent exercé un emploi plus ou moins éloigné de leur domaine de formation. Un répondant appartenant à la première cohorte, «les doyens», explique qu’il encourage ses compatriotes qu’il héberge à essayer d’autres emplois qui ne sont pas liés à leur formation d’origine. En effet, lui même avait suivi des formations autant de fois qu’il souhaitait changer de travail ou de poste, afin de bénéficier des offres d’emploi disponibles. Nous pouvons dire que les stratégies des uns et des autres ont été influencées par leur environnement et les personnes qu’ils ont côtoyées. Ces stratégies demeurent toutefois personnelles et propres à la situation et aux difficultés auxquelles chacun est confronté. Concernant la création d’entreprise, deux de nos répondants ont choisi de travailler à leur propre compte au Québec après avoir obtenu leur diplôme. Ils expliquent leur choix par le fait qu’ils ont été plusieurs fois victimes de discrimination sur le marché de l’emploi. En entrevue, tous deux ont affirmé que la création de leur entreprise est pour eux une source d’accomplissement, une réalisation de soi qui les rend très satisfaits de leur intégration au Québec. Il faut souligner que pour le premier, cette décision a été prise après qu’il ait obtenu deux maitrises, faites dans deux universités différentes du Québec et après environ 15 ans d’expérience de travail dans une entreprise. Pour le second répondant, par contre, cette décision est intervenue à la fin de son baccalauréat au Québec après avoir travaillé durant 5 ans. Juteau et Paré (1996) dans une enquête sur les facteurs prédisposant à la

création d’entreprise dans les pays d’accueil des migrants, mentionnent que l’une des raisons de faire ce choix, réside dans «leur plus grande difficulté à se trouver un emploi et leur propension à subir deux fois la discrimination que les membres de la majorité» Juteau et Paré (1996 : 51). En se référant à Boyd (1996), Robichaud (2001) dans sa thèse de doctorat intitulée la création d’entreprises par les immigrants. Le cas des Québécois d’origine portugaise de la région métropolitaine de recensement de Montréal, mentionne «que les minorités désavantagées se concentrent dans des occupations entrepreneuriales pour améliorer leurs conditions et évoluer dans la hiérarchie sociale»(Robichaud, 2001 : 38). On peut conclure dans les deux cas que la perception de la discrimination et le désir d’épanouissement et de réalisation de soi ont été des motifs déterminants de leur stratégie.