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Une ontologie de la liberté en mouvement

La description de la liberté incarnée

III. Une ontologie de la liberté en mouvement

Au terme de ce parcours du Volontaire et l’involontaire, que peut-on conclure quant à

1 Curieusement, ce thème de « déplacement du regard » dans la situation tragique reviendra dans Soi-même comme un

l’être de la liberté ? En effet, au niveau ontologique, le couplage entre la méthode phénoménologique et la philosophie de l’existence est loin d’être évident, car ces deux approches philosophiques possèdent toutes les deux leurs propres présuppositions

ontologiques. Mais si l’on regarde de plus près ces deux approches philosophiques, leur

divergence, notamment au niveau ontologique, devient plus visible. D’elles procèdent deux types distincts de détermination pour la liberté. Selon la première série de détermination, il est possible d’établir, à l’aide de la description eidétique, une définition statique de la liberté. Il s’agit d’élucider la liberté comme une activité réceptrice, comme une capacité d’agir dans le monde en accueillant son corps. Quand on passe à la seconde série qui se meut au plan existentiel, la volonté et l’involontaire restent dans une dualité irréconciliable, tandis que la liberté se montre précisément comme un « bond » existentiel, comme un surgissement pratique, qui effectue la synthèse de l’activité et de la réceptivité. Dans cette seconde perspective, la liberté est l’élan qui réalise pratiquement l’idéal eidétique dégagé dans le premier cercle de définition. Il semble que l’on peut dès lors parler de l’être de la liberté de deux manières bien distinctes : selon la détermination eidétique, la liberté existe en tant qu’un objet qu’il est possible à la pensée d’appréhender ; selon la détermination dynamique ou existentielle, la liberté s’égale à l’existence elle-même, à cette existence qui avance tout en s’incarnant dans son corps. À cet égard, la signification ontologique de la liberté se tient dans une tension que Ricœur ne thématisera qu’ultérieurement1.

1. L’arrière-plan « existentialiste » du questionnement ontologique

Il semble que dans Le volontaire et l’involontaire, Ricœur ne cherche pas à modifier la présupposition « existentialiste » de l’être. D’après cette présupposition, l’être n’est pas un objet que je puis sereinement regarder à distance et examiner, mais c’est par mes expériences les plus vives et les plus intimes que j’ai la certitude de participer à l’être. La tâche du

1 Il reconnaît rétrospectivement que « les implications ontologiques de cette dialectique de l’agir et du pâtir »(RF, p. 24) ne

lui sont apparues qu’au moment de la relecture qu’il a faite de cet ouvrage en 1951, notamment dans « L’unité du volontaire et de l’involontaire comme l’idée-limite (1951) » (dans EC3, p. 95-122) ; cf. également « Méthode et tâches d’une phénoménologie de la volonté (1951) » (dans EPh, p. 59-86).

discours philosophique sur l’être ne consiste donc pas à offrir un système de l’être, mais plutôt d’éclairer le plus possible ces expériences par lesquelles je me sais participer à l’être. L’ontologie, selon la philosophie de l’existence, est justement une récupération de l’intuition que je suis. C’est dans la compréhension de mon existence la plus authentique que se révèle le mystère de l’être, le mystère de l’union ultime de la liberté, la nature et la Transcendance. Cet arrière-plan « existentialiste » du Volontaire et l’involontaire se manifeste éminemment dans le contraste entre l’impossibilité théorique pour cette liberté de participer à un ordre apparemment étranger à elle, et la possibilité pratique ou existentielle pour l’humain d’exister en exerçant la liberté de cette manière. Ce contraste, que nous avons analysé précédemment1, nous paraît être précisément cet élan excédant tout discours rationnel,

marque par excellence de la philosophie de l’existence.

Une autre manifestation de l’arrière-plan existentialiste consiste dans la réintroduction en quelque sorte « forcée » de la Transcendance vers la fin du Volontaire et l’involontaire. Si ma situation incarnée institue au sein de mon existence une nécessité qui constitue les limites ultimes de ma liberté, si ces limites apparaissent toujours comme une blessure ou même une négation de la liberté, comment, en dernier ressort, le consentement à la nécessité serait-il possible ? Comment puis-je consentir à un non-être au sein de mon être ? À ce stade de la réflexion, Ricœur reconnaît que seules « d e s options métaphysiques »2 peuvent nous

permettre de concevoir la possibilité du consentement de la liberté à la nécessité. Quelles options métaphysiques ? Sur ce point, Ricœur a livré une formule très forte :

C’est ici l’option la plus fondamentale de la philosophie : ou Dieu ou moi. Ou bien la philosophie commence par le contraste fondamental du Cogito et de l’Être en soi, ou bien elle débute par l’auto-position de la conscience, qui a pour corollaire le mépris de l’être empirique3.

Autrement dit, le point de départ d’une philosophie se trouve soit dans la participation à l’être, soit dans la négation de l’être en dehors de la conscience, tandis que seule la première manière de philosopher permet de concevoir un consentement volontaire à l’ordre de la

1 Voir supra, p. 129-132 ; cf. également notre contribution « La signification ontologique de la liberté dans Le volontaire et

l’involontaire », dans La jeunesse d’une pensée. Paul Ricœur à l’Université de Strasbourg (1948-1956), sous la direction de

D. Frey, Strasbourg, PUS, 2015, p. 65-74, notamment p. 70-72.

2 VI, p. 439.

nécessité. Cependant, cette option métaphysique n’est point un choix par raisonnement, mais relève bel et bien de l’ordre de la foi : il faut reconnaître une Transcendance qui dépasse notre existence, il faut faire confiance à cette Transcendance qui nous promet la réconciliation ultime de la liberté et de la nécessité ; sinon, nous ne pourrions pas effectivement philosopher à partir et en vue de cette vision englobante de l’être, auquel participe notre liberté. Rétrospectivement, les deux premiers moments de la volonté, la décision et la motion corporelle, ne sont possibles qu’avec ce dernier moment de consentement. En effet, c’est en consentant à un motif issu de l’obscurité involontaire que peut vraiment surgir un choix ; pareillement, c’est en consentant à mes pouvoirs corporels que je peux reprendre la maîtrise de mon corps. De cette manière, on peut voir comment la présupposition « existentialiste » soutient l’ensemble de l’analyse du Volontaire et de

l’involontaire.

2. Les présuppositions ontologiques de la phénoménologie

Du côté de la phénoménologie husserlienne, Ricœur croit pouvoir isoler de la phénoménologie husserlienne une méthode descriptive qui est ontologiquement neutre et qui peut être ensuite intégrée dans une compréhension existentielle de la liberté incarnée. Dans son article « Phénoménologie existentielle », daté de 1957, Ricœur explicite le statut relativement indépendant de la phénoménologie par rapport à sa présupposition ontologique : en effet, la phénoménologie peut devenir méthode et être « mise au service d’une problématique dominante, la problématique de l’existence »1 ; de plus, selon leurs différentes

manières de concevoir le sens d’exister, les descriptions phénoménologiques que donnent les philosophes de l’existence peuvent se distinguer radicalement l’une de l’autre, de sorte que « autant de sens donnés à l’existence de l’homme, autant de style descriptifs dans la phénoménologie existentielle »2.

Dans cette perspective, la méthode phénoménologique se montre en effet comme un

1 P. Ricœur, « Phénoménologie existentielle », art.cit., p. 19.10-8. 2 Ibid., p. 19.10-10.

outil descriptif qui se met entièrement au service de la clarification des expériences vives qui

révèlent la participation de l’être par la liberté. Un passage dans l’introduction du Volontaire

et l’involontaire trahit cette intention initiale de l’auteur :

La méditation de l’œuvre de Gabriel Marcel est en effet à l’origine des analyses de ce livre ; toutefois nous avons voulu mettre cette pensée à l’épreuve des problèmes précis posés par la psychologie classique (problème du besoin, de l’habitude etc.) ; d’autre part nous avons voulu nous placer à l’intersection de deux exigences : celle d’une pensée alimentée au mystère de mon corps, celle d’une pensée soucieuse des distinctions héritées de la méthode husserlienne de description1.

Autrement dit, pour l’auteur du Volontaire et l’involontaire, l’introduction de la méthode phénoménologique correspond à deux intentions : d’une part, elle permet à la philosophie de l’existence de dialoguer avec les autres disciplines, particulièrement la psychologie ; d’autre part, elle impose à la philosophie de l’existence une exigence de clarté et de rigueur2. Mais ce

moment d’objectivité ou de « problème » est à dépasser dans le mystère de l’incarnation, dans ce niveau qui seul peut être considéré comme « ontologique ».

Mais la description eidétique est-elle vraiment une méthode ontologiquement neutre qui peut s’adjoindre à une philosophie de l’existence ? Il ne nous semble pas. La description eidétique de la volonté cherche à clarifier les essences des vécus volitifs, c’est-à-dire les significations définissables du projet, du désir, du décider, de l’habitude, etc. : voilà la conception que Ricœur croit pouvoir donner de l’eidétique quand il la déploie dans Le

volontaire et l’involontaire. Or comment accède-t-on à ces essences ? La réponse que

Ricœur donne pourrait surprendre un lecteur qui s’est habitué au style « du long détour » de l’auteur : « Les essences du vouloir, c’est ce que je comprends sur un seul exemple, voire sur un exemple imaginaire, quand je dis : projet, motif, besoin, effort, émotion, caractère etc. » ; bref, « c’est cette compréhension directe du sens du volontaire et de l’involontaire que nous avons d’abord voulu élaborer »3. La « compréhension directe » reste proche ici de ce que

1 VI, p. 18.

2 En effet, ces deux intentions ont été déjà anticipées dans Gabriel Marcel et Karl Jaspers, voir GMKJ, p. 369 ; cf. supra,

p. 109-110.

Husserl appelle « l’intuition fictive de l’essence »1.

Ces essences des vécus volitifs, une fois saisies de manière « directe », constituent ensuite chez Ricœur une couche en quelque sorte « normative » de sa compréhension de la dialectique du volontaire et de l’involontaire. Par exemple, dans la description du décider, Ricœur clarifie d’abord l’essence de la motivation comme à la fois détermination active d’une décision et accueil d’un motif comme raison de cette décision2. C’est alors cette

essence qui sert à écarter d’une part toute sorte de mécompréhensions naturalistes et déterministes du choix et, d’autre part, toutes les interprétations qui réduisent le choix à une liberté d’indifférence3. En un certain sens, on peut considérer le réseau de toutes les notions

eidétiques de la volonté comme la mise en place d’une liberté idéale, de ce qu’une liberté humaine doit être.

Derrière une telle « compréhension directe » de l’essence de la liberté se cache une certitude de ce qu’est la liberté. Cette certitude paraît beaucoup plus proche de l’idéalisme husserlien que Ricœur ne l’imagine. Mais c’est précisément cet idéalisme qui a été récusé comme une présupposition ontologique inacceptable. Dès lors, une question s’impose : d’où vient la validité ou la légitimité de la description eidétique chez Ricœur ? Ou, pour le dire autrement, où se trouve l’origine de ces significations ? Répondre à ces questions, ce serait expliciter les modifications que la description eidétique pourrait apporter à la conception « existentialiste » de l’être de la liberté.

3. Les limites de la description eidétique : vers une phénoménologie transcendantale

En effet, la saisie des essences des vécus volitifs est loin d’être évidente chez Ricœur. Comme Don Ihde le montre dans son ouvrage Hermeneutic Phenomenology : the

Philosophy of Paul Ricœur, le souci ricœurien de comprendre les expériences subjectives du

corps propre impose en fait à l’eidétique husserlienne deux limites4. La limite inférieure

1 Voir E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, § 4, op.cit., p. 24-25. 2 VI, p. 64-69.

3 VI, p. 172-180.

consiste dans l’obscurité de l’affectivité qui est précisément l’expérience subjective du corps propre. Si la tâche de l’eidétique vise à comprendre l’involontaire dans son articulation avec le volontaire, cette affectivité opaque ne peut pas pour autant être entièrement réfléchie par la pensée introspective. Puisque le corps est par le fait plus facile à connaître comme objet qu’à appréhender comme un aspect de ma subjectivité, il faut, plaide Ricœur, recourir à un

diagnostic qui nous permet de récupérer les expériences subjectives de notre corps propre à

partir des indications données dans la connaissance objective du corps.

Toutefois, ce rapport de diagnostic est loin d’un rapport de coïncidence qui puisse établir une corrélation a priori entre le corps-objet et le corps propre, mais il est « formé lentement par un apprentissage des signes »1. C’est dans cet « apprentissage des signes » que D. Ihde a

repéré une « herméneutique latente »2 dont la portée épistémologique et ontologique reste

encore non explicitée à l’époque du Volontaire et l’involontaire. Si une description eidétique du besoin, du pouvoir corporel et de la nécessité biologique suppose une herméneutique latente pour interpréter leurs signes objectifs, comment peut-on encore parler de la « compréhension directe » de ces essences ?

La limite supérieure que D. Ihde a repérée est l’idéalité de la réciprocité du volontaire et de l’involontaire. Bien que la phénoménologie puisse établir une série de notions eidétiques qui révèlent la liberté comme une activité réceptrice, comme une indépendance dépendante, ce sens idéal demeure une idée-limite pour la liberté humaine. En fait, une ombre accompagne chaque étape de l’analyse de cet ouvrage : l’ombre de la faute. Quand bien même la faute est mise entre parenthèses dès le début du Volontaire et l’involontaire, quand bien même il s’agit de chercher davantage la définition intelligible de la liberté à travers la réciprocité du volontaire et de l’involontaire, Ricœur ne manque pas, au cours de son analyse, de relever les lieux possibles de la faute. De cette manière, l’auteur suggère que la possibilité de faute s’enracine en quelque sorte dans la définition de la liberté elle-même.

Par exemple, à la fin de son analyse de la décision, Ricœur mentionne très succinctement la fragilité de la compréhension de la liberté comme à la fois le surgissement du choix et la

1 VI, p. 16.

2 C’est le thème central de ce chapitre qui s’intitule « Structural Phenomenology : The Latent Hermeneutics of Freedom and

légitimation du motif. Cette fragilité vient du fait qu’une description eidétique de la liberté requiert de la part du sujet une « attitude » correspondante : il faut que je m’appréhende comme un sujet libre pour comprendre la liberté, puisque « l’expérience de la liberté est en effet elle-même une expérience évanouissante qui doit être sans cesse reconquise par l’action de soi sur soi »1. Or l’autre possibilité reste toujours présente : « je peux me dissimuler ma

liberté et me mentir à moi-même »2 et, ce faisant, je me tiens pour une chose parmi d’autres

et assimile ma décision à la causalité naturelle. Lorsque je retombe dans cette « attitude naturelle », la liberté s’évanouit de même. Cette possibilité de nous dissimuler à nous-mêmes l’essence de notre propre liberté montre bien que l’eidétique du volontaire et de l’involontaire exige avant tout la reconquête d’une attitude pertinente ou d’une certaine précompréhension de la liberté et de l’existence.

En somme, avec cette double limitation de la description eidétique, le caractère apparemment immédiat de cette compréhension va être radicalement modifié : la signification idéale de la liberté comme l’activité réceptrice ou l’indépendance dépendante demeure une compréhension à reconquérir3.

Si cette double limitation que D. Ihde a relevée s’impose du dehors de la phénoménologie, David-Le-Duc Tiaha propose une critique de la description eidétique employée dans Le volontaire et l’involontaire du dedans de la phénoménologie, en se concentrant sur le problème du transcendantal4. Dans sa thèse non publiée, qui s’intitule

L’Altérité intime du soi. Sur la phénoménologie de l’agir et du pâtir de Paul Ricœur, D.-L.-

D. Tiaha a remarqué avec justesse que, alors que dans Le volontaire et l’involontaire Ricœur croit possible de se débarrasser de la philosophie idéaliste husserlienne en isolant simplement

1 VI, p. 186. 2 VI, p. 186.

3 C’est pourquoi dans ses écrits ultérieurs, Ricœur n’invoquera plus la « compréhension directe » des essences, mais mettra

en avant leur statut épistémologique en tant que signification. On peut comparer le début du Volontaire et l’involontaire (p. 8) avec l’article « Méthode et tâches d’une phénoménologie de la volonté (1951) » (EPh, p. 62-63). Il faudra attendre 1975 pour que Ricœur proclame explicitement que toute saisie « intuitive » du sens, telle que Husserl la conçoit, doit nécessairement passer par la médiation de l’interprétation (voir « Phénoménologie et herméneutique : en venant de Husserl… (1975) », repris dans TA, p. 43-81, ici p. 51).

4 Voir D.-L.-D. Tiaha, L’Altérité intime du soi. Sur la phénoménologie de l’agir et du pâtir de Paul Ricœur , thèse citée, le

chapitre « Délimitations méthodologiques des problèmes du transcendantal et de la transcendance (phénoménologie et recherche métaphysique », p. 32-127.

la réduction eidétique de la réduction transcendantale, le jeune philosophe prendra de plus en plus au sérieux le pôle du transcendantal dans ses textes ultérieurs, notamment dans l’article « Méthode et tâches d’une phénoménologie de la volonté »1. Ce retour au transcendantal est

d’un côté nécessaire : comme nous l’avons indiqué plus haut, quand on procède à une description des significations des vécus volitifs sans clarifier leur origine dans la conscience transcendantale constituante, la validité de cette description reste problématique. C’est pourquoi une description eidétique ne saurait se séparer de la clarification de son pôle constituant. De l’autre côté, ce retour devient possible pour Ricœur quand il se rend compte du fait que le transcendantal ne signifie pas forcément un ego transcendantal sur lequel se fonde toute validité ontologique du monde2 ; autrement dit, le transcendantal peut être

compris comme donateur du sens sans en être fondateur3.

En fait, ce retour au pôle constituant des essences n’est pas tout à fait absent dans Le

volontaire et l’involontaire : chaque fois que Ricœur s’élève du niveau purement descriptif à

celui de l’existence, c’est-à-dire de la décision à son histoire, de la motion corporelle à l’effort, du consentement eidétique au consentement existentiel, c’est toujours le surgissement réel de la liberté incarnée qui réalise les essences décrites précédemment. Mais ce n’est que dans l’article « Méthode et tâches d’une phénoménologie de la volonté » que Ricœur identifie explicitement le transcendantal avec l’existence4. En arrachant la

phénoménologie au modèle de perception que privilégie Husserl, en soulignant l’originalité des vécus affectifs et volitifs par rapport aux vécus théoriques, Ricœur parvient à dire que « le vouloir a une manière de donner sens au monde, en ouvrant du possible pratique, en perçant le réel des œuvres humaines, en colorant de sa patience ou de ses révoltes les résistances même du réel ; il faut donc restituer toute son envergure à cette ‘donation de sens’ qu’est la conscience sous toutes ses formes »5. Ce transcendantal pratique, qui donne

sens aux vécus pratiques en œuvrant réellement dans ce monde, s’éloigne définitivement de

1 Dans EPh, p. 59-86.

2 Voir D.-L.-D. Tiaha, L’Altérité intime du soi. Sur la phénoménologie de l’agir et du pâtir de Paul Ricœur, thèse citée, p.

33.

3 Voir ibid., p. 38-39. 4 Voir EPh, p. 69-72. 5 EPh, p. 70.

l’ego transcendantal, parce qu’il n’est ni créateur ni fondateur du sens ; une passivité y est déjà instituée par le corps et le monde1.

Pour nous, cette identification de l’existence au transcendantal est cruciale, dans la mesure où elle peut apporter des modifications importantes dans la manière dont Ricœur s’approprie de la philosophie de l’existence. Premièrement, avec cette identification, la phénoménologie et l’existence ne sont plus traitées comme étant issues des deux méthodes philosophiques distinctives. À l’époque du Volontaire et l’involontaire, la description phénoménologique demeurait au niveau d’objectivité – bien qu’idéale et non pas naturelle – et restait ainsi toujours à dépasser par l’existence, dont la visée ultime était le mystère de l’incarnation. La méthode phénoménologique était ainsi mise au service d’une