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La liberté et la Transcendance

dans la ligne de la philosophie de l’existence

III. La liberté et la Transcendance

Cette étape de l’analyse existentielle est peut-être la plus scandaleuse. Il semble qu’ici Ricœur parle indifféremment de l’être et de la Transcendance, de la Transcendance dans le registre de foi et de la Transcendance au sens ontologique. Cela nous rappelle sans doute l’irruption de la faute et de la Transcendance au tout début du premier volume de la

Philosophie de la volonté : une description pure de la volonté est d’emblée orientée – même

s’il en est fait « abstraction » – vers la Transcendance libératrice à l’horizon1. De quel droit

Ricœur invoque-t-il la Transcendance ? De quelle Transcendance s’agit-il ? Pourquoi faut-il l’invoquer ? À ces questions, le long parcours dans Gabriel Marcel et Karl Jaspers pourrait offrir quelques éléments de réponse2.

Demandons-nous d’abord pourquoi la recherche de l’être s’impose à la philosophie de l’existence. Une phrase de Ricœur citée plus haut mérite d’être rappelée ici : « l’intention de la philosophie est donc l’être et non pas l’existence »3. Il convient de préciser que l’être en

question ici n’est pas l’essence figée que stigmatise Sartre, ni l’existence livrée à elle-même, comme l’être-pour-la-mort heideggérien. Aux yeux du jeune Ricœur, ces philosophies « à un

1 Voir VI, p. 23-36.

2 Pour la séparation ultérieure entre la question de la Transcendance et celle de l’être, voir infra, p. 290-307. 3 GMKJ, p. 34.

foyer » ne recherchent rien au-delà de l’existence humaine et, par conséquent, elles ne s’interrogent pas sur l’être1. L’intuition de G. Marcel et de K. Jaspers est tout à fait

différente : l’homme peut ressentir que son existence est touchée par quelque chose de plus profond, de plus sûr, de plus réel ou de plus solennel, surtout dans le surgissement de la liberté par lequel l’homme se sent élevé au-delà du rang de chose. En termes jaspersiens, « Transcender est le mouvement qui, en cherchant l’être, récuse les modes de l’être qui ne sont pas l’être en soi, qui ne sont que l’être comme objet ou l’être comme être-soi »2. L’être

est celui qui transcende l’existant et ce vers quoi l’existant se tourne : tel est le présupposé fondamental commun à ces deux auteurs. Cette intuition originaire se concrétise ensuite dans un motif existentiel et dans un motif épistémologique.

Du côté existentiel, nous avons déjà vu que la liberté livrée à son propre pouvoir présentait une ambiguïté redoutable, de sorte que la possibilité radicale de renier l’être et l’existence serait toujours présente. Ainsi, « la seule question importante de notre existence est de savoir quel ‘recours’ – en langage marcélien –, quelle ‘halte’ – en langage jaspérien [sic] – nous avons à l’encontre d’une philosophie renaissante du néant »3. La recherche de la

Transcendance est à cet égard capitale pour notre existence, car c’est seulement en se rapportant à la Transcendance que la liberté est susceptible de trouver des ressources pour surmonter la tentation du néant. Or cette réplique au désespoir ne signifie point la fuite devant l’existence. L’existence reste toujours le lieu et du combat avec le désespoir et de la visée transcendante.

Cela nous conduit vers le second motif, épistémologique cette fois. Dans la recherche de l’être, ce qui est en jeu c’est notre existence tout entière et non pas quelque intelligence désincarnée qui contemplerait l’être de façon désintéressée. Si l’existence est incontournable dans la recherche de l’être, il n’est donc pas possible de constituer un système de l’être : le

1 À ce moment-là, Ricœur s’en tenait encore à une lecture « existentialiste » de Heidegger, qui était prédominante en France

à cette époque-là, sans doute à cause de l’influence prégnante de Sartre. Ce n’est que quelques années plus tard que Ricœur adopte une attitude plus nuancée à l’égard de l’auteur de Sein und Zeit en se rendant plus attentif à son véritable projet ontologique. Désormais, Ricœur avoue que l’intention philosophique de Heidegger est bel et bien l’être par-delà l’existence, et que c’est plutôt l’aspect éthique de cette pensée qui lui pose problème. Voir G. Marcel, Entretiens, op.cit., p. 83-92 ; P. Ricœur, « Renouveau de l’ontologie », dans Encyclopédie française XIX. Philosophie et religion, Paris, Larousse, 1957, p. 19.16-15 à 19.18-3, ici p. 19.18-1 à 19.18-2 ; cf. infra, p. 253-269.

2 GMKJ, p. 34. 3 GMKJ, p. 35.

système relève de la structure du monde d’objet que la pensée peut s’approprier, assimiler et finalement réduire à son immanence. L’être transcendant, par contre, je ne peux le rencontrer que dans mes expériences singulières, personnelles et, dans la plupart des cas, ambiguës. S’il y a encore une pensée possible de l’être, elle ne pourra paraître que comme une réflexion qui cherchera à récupérer le plus possible ces expériences et non pas à les réduire, une réflexion qui, à la limite, avouera son ultime incapacité de penser l’être : « il est pensable qu’il y ait de l’impensable »1, dit Jaspers. Finalement, ce n’est pas la pensée qui détermine l’être mais

c’est plutôt l’être qui soutient la pensée, comme il soutient toutes les expériences existentielles. En revanche, une pensée patiente et sans relâche, qui vise l’être avec à la fois courage et modestie, bref, une pensée libre, serait elle-même un témoignage authentique de l’être. Mais dire ceci serait déjà trop anticiper.

Avant d’arriver à une telle affirmation, il nous reste à parcourir la pensée de la Transcendance chez nos deux auteurs et autour de ces deux motifs : nous examinons dans cette section de quelle façon la compréhension de la liberté peut être approfondie à la lumière des expériences de la Transcendance. Dans la prochaine section, nous nous intéresserons à la façon dont la philosophie de l’existence conçoit la pensée ontologique. C’est seulement après avoir terminé ce long parcours, après avoir saisi la position qu’aurait prise Ricœur à l’égard de la philosophie de l’existence, que nous pourrons mieux percevoir ce que pourrait signifier une ontologie de la liberté chez Ricœur lui-même.

1. Une ontologie de la libération

Pour G. Marcel, si la liberté-choix peut se transformer en liberté-réponse devant un appel libérateur, c’est parce que l’être, en tant que mystère, est avant tout une présence pour moi. Par présence, il faut entendre une réalité absolue que je ne peux ni constater ni posséder, mais seulement reconnaître. Ce qui correspond à cette reconnaissance, c’est en revanche une liberté déjà « désarmée », c’est-à-dire une liberté qui ne s’enferme plus dans son pouvoir

d’alternative, qui n’est plus obsédée par le souci de sa propre existence, mais qui tourne son regard vers l’être en devenant une joyeuse réponse à l’appel de celui-ci. Afin d’approcher cette reconnaissance libératrice, G. Marcel a recouru à trois expériences qu’il qualifie de « spirituelles », à savoir la fidélité, l’espérance et l’amour, évidemment dans une tonalité fortement chrétienne1. Nous nous bornons ici à son analyse de l’espérance afin de montrer la

dimension transcendante des expériences spirituelles et son impact sur la liberté.

L’espérance, dans le langage très fort de G. Marcel, est l’annonce de la libération qui vient à moi dans « un contexte d’épreuve : maladie, guerre, séparation, exil »2. Dans ce

contexte où la condition corporelle me devient hostile, la liberté semble inévitablement en proie au désespoir : dans les moments douloureux, combien il est facile de déclarer que l’existence ne fait que du mal, que la liberté ne peut rien, que l’être n’a rien de bon ! À ce désespoir, seule l’espérance peut offrir un remède, lequel ne se situe plus au plan de l’existence, mais offre à la liberté une certitude ontologique par l’irruption de l’être ou de la Transcendance. Cette irruption d’en haut, la liberté ne peut ni la posséder ni la manipuler, mais seulement la reconnaître et la recueillir. L’espérance n’est donc pas une guérison qui prolonge la vie corporelle, ni une prévision intellectuelle qui sache par avance ce qui se situera au terme de l’épreuve, ni encore une force miraculeuse qui transforme le cours de ce monde. Son véritable visage est la patience, qui consiste à transcender l’épreuve en l’assumant intérieurement. Espérer, c’est rester patient dans l’épreuve, c’est être sûr que la situation hostile actuelle peut bel et bien faire partie de l’être, mais qu’elle n’en peut pas être le tout ; c’est « une non-acceptation qui est en même temps une détente par laquelle j’adopte le rythme de l’épreuve et la traite comme partie intégrante de moi-même »3.

Il reste à préciser en quel sens l’espérance est une libération et non pas une élimination de la liberté, en quel sens la patience est une persévérance dans l’être plutôt qu’un rejet de la vie. On saisira peut-être mieux la signification ontologique de l’espérance en considérant son contraire – le désespoir. Ce dernier, comme nous l’avons indiqué, est déjà impliqué dans la réflexion centrée sur la liberté. Si je suis capable de renier mon existence comme de

1 Voir GMKJ, p. 292-322. La teneur religieuse de la philosophie de l’existence sera discutée dans la prochaine section. 2 GMKJ, p. 304.

l’assumer, ne faut-il pas dire alors que je dispose de mon existence comme je disposerai d’une œuvre ? Or c’est précisément cette possession du soi – c’est-à-dire que tout mon être est sous mon pouvoir, et que c’est mon existence seule qui compte pour moi – qui est gravement mise en question dans les épreuves, dans ces situations où je ne suis plus capable de gérer mon existence, où je perds mon contrôle sur elle. À cet égard, le désespoir peut surgir comme le dernier moyen, quoique pervers, d’assurer mon règne : j’annonce ma propre fin et je me traite comme si je n’étais plus là. Désespérer, pour G. Marcel, c’est mettre un arrêt devant moi ; bien plus, « c’est se défaire en présence de cet arrêt, de cet inévitable ; c’est au fond renoncer à rester soi-même, c’est être fasciné par l’idée de sa propre destruction au point d’anticiper sur cette destruction même »1. En effet, c’est dans le désespoir que je

rejette l’être, non seulement parce qu’en désespérant, je récuse toute souplesse, toute fluidité, et toute possibilité créatrice de l’être, mais aussi parce qu’en me traitant comme celui qui a capitulé, je collabore activement à la dégradation de ma propre existence. Par le même geste, j’ai éliminé aussi ma liberté, dans la mesure où il n’y a plus de possibilité d’évaluer quand tout a déjà été déterminé – bien qu’en anticipation – pour moi.

Dans l’espérance, par contre, la liberté ne se considère plus comme auto-fondatrice, mais elle met une confiance absolue en l’être en disant : je reconnais que je suis dans l’être, par l’être, et pour l’être, et je collabore volontiers à son cours, même si je n’en ai aucun savoir. Par là, la liberté s’engage bel et bien dans une active participation à l’être comme une « non- acceptation » – nous avons déjà évoqué le mot –, c’est-à-dire comme un refus de supputer les possibilités ou de poser les conditions de l’espérance : j’espère en dépit de mon sort final. En ce sens, l’espérance est un véritable élan par lequel la liberté se maintient dans l’ouverture à l’être2.

Celle-ci renvoie du même coup à la fidélité et à l’amour, l’une et l’autre insistant sur la disponibilité pour autrui, sur le consentement à ce qui viendra dans le temps, et sur « une certaine perméabilité aux puissances de renouvellement que l’attachement à l’être libère »3.

1 G. Marcel, Homo Viator. Prolégomènes à une métaphysique de l’espérance, Paris, Aubier-Montaigne, 1944, p. 51. 2 À bien des égards, l’analyse que Ricœur donnera dans Le volontaire et l’involontaire du lien entre le consentement et

l’espérance restera dans le ligne de G. Marcel, voir VI, p. 451-452.

Les idées, typiquement marcéliennes, de « réponse, appartenance, disponibilité, perméabilité, consentement, […] convergent vers le même mystère dont l’énoncé reste paradoxal, selon qu’on l’éclaire comme don ou comme volonté de se maintenir dans la grâce reçue »1, comme

le note Ricœur. Autrement dit, toutes ces idées servent à désigner une liberté qui n’est authentique qu’en tant que dépendante de l’être.

Cependant, l’espérance reste toujours troublée par « une tension invincible entre l’existence ou la condition humaine et l’être transcendant qui est son recours »2. La liberté

n’échappe donc jamais à l’ambiguïté qui lui est inhérente. C’est pourquoi selon Ricœur, la pensée marcélienne de la liberté est tendue entre deux registres3. D’une part, la pensée

s’oriente vers la fidélité de la liberté à la Transcendance, vers le repos de l’âme au sein de l’être : c’est le registre lyrique de cette pensée. D’autre part, puisque le corps reste le lieu où la liberté existe et exerce son pouvoir, elle est toujours confrontée à la tentation de désespoir impliquée dans des situations sombres : il y a donc un registre dramatique dans la pensée de G. Marcel. Finalement, l’on ne parvient pas à déterminer si c’est le registre lyrique qui s’étend jusqu’à la vie terrestre en devenant « une philosophie de la fidélité à la Terre, à la vie, aux hommes », ou si l’espérance attend une réconciliation hors du temps,

eschatologique. Cette indétermination, insurmontable pour la pensée philosophique, serait

par contre la vérité de l’être à laquelle le philosophe ne pourrait toucher qu’en s’engageant entièrement dans l’existence, bref, la vérité que l’on vit plutôt qu’on la dit.

2. Une ontologie du paradoxe

Tandis que l’être ou la Transcendance chez G. Marcel se rapproche davantage du Dieu personnel du christianisme, K. Jaspers puise ses expériences de la Transcendance plutôt dans les « traditions gnostiques, panthéistes, orientales, romantiques »4 qui insistent moins sur la

réconciliation de la liberté avec l’être que sur la puissance en quelque sorte ténébreuse de la

1 GMKJ, p. 227-228. 2 GMKJ, p. 311.

3 Voir GMKJ, p. 403-408. 4 GMKJ, p. 41.

liberté ainsi que de l’être. La confiance, tout comme le sentiment contraire d’un dieu éloigné ou hostile, n’est qu’une manifestation parmi d’autres de notre rapport à l’être. L’être en tant qu’être, selon Jaspers, est la Transcendance au sens absolu, c’est-à-dire qu’elle échappe à toute saisie, y compris une sorte de relation personnelle et spirituelle que privilégie G. Marcel. Toutefois, je peux avoir conscience d’être lors de mon libre surgissement qui est en même temps un don reçu de l’être. C’est donc dans la conscience que « je suis » – entendu ici au sens existentiel que nous avons clarifié autour de la liberté – que la Transcendance se révèle à moi. Il s’ensuit qu’une métaphysique, c’est-à-dire une pensée de la Transcendance, doit d’abord recourir à toutes sortes d’expériences existentielles par lesquelles je deviens moi-même.

Puisque la liberté se trouve toujours tiraillée entre les tensions avec le monde empirique et avec le fond d’être, ces expériences sont forcément éclatées ou même paradoxales. Il est remarquable qu’elles soient étudiées par Jaspers selon les couples de contraires : « ‘défi et abandon’, ‘loi du jour et passion de la nuit’, ‘chute et élévation’, ‘richesse du multiple et Un’ »1. Aux yeux de Jaspers, ce sont précisément ces antinomies, et non pas les expériences

existentielles en tant que telles, qui nous renvoient à la Transcendance, comme il écrit dans la

Philosophie : « Seule la tension des antinomies est la vraie traduction phénoménale de

l’existence se rapportant à sa transcendance »2.

Ricœur conclut par là que l’intention de K. Jaspers est moins d’écarter le désespoir que d’intégrer la passion dévastatrice de la liberté dans sa quête de la Transcendance. En effet, si la préoccupation de G. Marcel réside dans le salut que pourrait trouver la liberté, il semble que K. Jaspers est davantage hanté par l’authenticité de la pensée et de l’existence. Pour le philosophe du paradoxe, l’irruption de la Transcendance dans le plan de l’existence ne saurait limiter le pouvoir de la liberté, mais il s’agit plutôt de conférer par là le sens authentique à la liberté.

1 GMKJ, p. 323 ; les titres originels allemands sont : « Trotz une Hingabe », « Abfall une Aufstieg », « Das Gesetz des

Tages une die Leidenschaft zur Nacht », « Der Reichtum des Vielen une das Eine » (voir K. Jaspers, Philosophie. Dritten Band. Metaphysik, Berlin, J. Springer, 1932, 68-127). J. Hersch les traduit comme : « Rébellion ou don de soi », « Chute et

essor », « La loi du jour et la passion pour la nuit », « La richesse du multiple et de l’un » (voir K. Jaspers, Philosophie,

op.cit., p. 667-710). Nous citons le plus possible la traduction donnée par Ricœur.

Un exemple nous permet d’expliquer cette démarche jaspersienne. Nous avons rencontré un paradoxe vers la fin de l’analyse existentielle de la liberté, à savoir la tension indissoluble entre la liberté et la nature : je ne peux devenir libre qu’en existant dans le monde empirique ; mais ce dernier, où règne le déterminisme, paraît précisément être le contraire de la liberté ; c’est pourquoi j’ai également envie de m’en affranchir afin de devenir libre. À la lumière de la Transcendance, ce paradoxe est revivifié sous la forme de la couple défi-abandon (Trotz-

Hingabe).

Le défi exprime avant tout l’attitude de déchirure lorsque l’homme fait face à la réalité empirique : je suis Job qui refuse de se consoler à la vue du monde plein de misère et qui maudit le jour de sa naissance. Par la liberté révoltante, je m’arrache du monde comme un vouloir-propre. Mais cet arrachement ne devient un moment authentique de la liberté que dans la perspective de la Transcendance : le défi est « le moment prométhéen de la liberté »1

seulement dans la mesure où il est une revendication au divin sous forme de révolte. Il cherche la Transcendance avec une telle fermeté qu’il récuse toute réponse qu’il peut trouver dans ce monde. En ce sens, le défi est le moindre désespoir, car celui-ci consiste précisément dans un arrêt dans la poursuite de la Transcendance, dans la satisfaction morbide devant une réponse qui se fait absolue : il n’y a pas d’être.

La quête inlassable de la Transcendance a déjà préparé le défi pour le oui de l’abandon : le refus de toute réponse à bon marché ne recèle-t-il pas déjà une confiance en la Transcendance qui réclame que « je crois que l’être serait plus que ceci et cela » ? De cette manière, comme l’indique Ricœur, « l’être-soi aspire à s’unir avec ce contre quoi il semble se dresser »2. À cause d’une telle confiance qui se cache dans le défi le plus résolu, ce dernier

se prépare déjà à un auto-abandon, donc à une réconciliation avec l’être : « la transcendance en effet veut que je me donne dans la réalité empirique »3. Ce faisant, l’abandon de soi

accorde à la conciliation une authenticité qui la distingue de la concession passive à la vie vitale : en abandonnant ma propre revendication, je prends en revanche ma vie en charge parce que je crois que ma réalité empirique pourrait éventuellement avoir sa place dans

1 GMKJ, p. 338. 2 GMKJ, p. 339.

l’être.

Tout comme l’espérance chez G. Marcel, l’abandon ne signifie point la passivité dans laquelle se supprime la liberté. Pour Jaspers, la liberté se maintient dans la tension entre le défi et l’abandon même au niveau métaphysique. L’abandon revendique le défi pour se garder de tomber dans l’illusion et dans la faiblesse, tandis que le défi retrouve sa profondeur ontologique dans sa visée de l’abandon. À cet égard, la liberté entretient une relation paradoxale à la Transcendance autant qu’à la réalité empirique. Par le défi, par le premier