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La mutation de la phénoménologie de la volonté

L’ontologie de la liberté faillible

I. La mutation de la phénoménologie de la volonté

Nous avons montré, dans le chapitre précédent, une transition dans l’interrogation ricœurienne sur l’être de la liberté, transition envisagée par la démarche du Volontaire et

l’involontaire, et thématisée dans les deux relectures que Ricœur fait de sa thèse doctorale1 :

l’objet de l’interrogation n’est plus la liberté en tant qu’élan existentiel, mais l’être humain

qui opère la synthèse entre la volonté et l’involontaire corporel ; en effet, c’est en opérant cette synthèse que l’homme montre sa liberté de s’affirmer à travers son corps et dans le monde. Maintenant, comment procéder à une compréhension ontologique de cet homme libre ?

Dans les années 50, Ricœur commence à prendre de plus en plus au sérieux les implications ontologiques de la phénoménologie husserlienne en explorant leur pertinence et leur limite. De cette manière, il cherche à accorder à la thèse « existentialiste » de la liberté une rigueur philosophique en la situant au sein de la perspective de la phénoménologie. Ricœur ne se contente plus de faire simplement la distinction entre la méthode descriptive

1 « L’unité du volontaire et de l’involontaire comme l’idée-limite (1951) » (dans EC3, p. 95-122) ; « Méthode et tâches

que Husserl a opérée et la thèse idéaliste de sa phénoménologie, mais essaie de comprendre pourquoi la phénoménologie husserlienne conduit inévitablement à une « égologie sans ontologie » et comment cette tendance peut être réorientée vers une ontologie possible, cette fois non plus par la philosophie de l’existence, mais par la philosophie critique du style kantien. Dans plusieurs articles recueillis dans À l’école de la phénoménologie, notamment « Kant et Husserl »1, Ricœur examine ce problème avec grand soin et jette ainsi une lumière

sur la méthode employée dans L’homme faillible. Un va-et-vient entre la phénoménologie husserlienne et la philosophie critique de Kant permet à notre philosophe de mettre en relief les enjeux ontologiques de la méthode phénoménologique.

1. L’enjeu ontologique de la réduction transcendantale

Dans Le volontaire et l’involontaire, Ricœur affichait explicitement son attachement à la réduction eidétique de Husserl, sans adopter pour autant la réduction transcendantale qui se situe au centre de sa phénoménologie2. Autrement dit, l’auteur du Volontaire et

l’involontaire cherchait à comprendre le sens idéal des vécus volitifs sans le ramener à sa

constitution transcendantale dans la conscience. Mais, comme nous l’avons vu, Ricœur a commencé à s’intéresser à la dimension transcendantale de la phénoménologie husserlienne dans l’article « Méthode et tâches d’une phénoménologie de la volonté »3. La constitution

transcendantale devait constituer effectivement une couche de la phénoménologie de la volonté, seulement elle était arrachée au modèle perceptif chez Husserl – trop restreint, aux yeux de Ricœur –, et remise dans une perspective pratique et existentielle4. C’est finalement

dans « Kant et Husserl » que Ricœur accorde à la réduction transcendantale une importance considérable pour l’interrogation ontologique en général.

Selon Husserl, la réduction transcendantale est le passage d’une « attitude naturelle » à l’attitude transcendantale. Dans l’attitude naturelle, nous posons naïvement l’existence du

1 Daté de 1954-1955, repris dans EPh, p. 227-250. 2 Voir VI, p. 7-8.

3 EPh, p. 59-86. 4 Voir EPh, p. 69-72.

monde et de tout ce qui nous entoure, sans être conscients de cette position ; nous croyons naïvement que ce qui nous apparaît existe comme tel ; nous sommes ainsi enchantés par ce monde vu, senti, etc., sans savoir qu’il existe une relation entre le moi et le monde. Par la réduction transcendantale, la position naïve de l’existence du monde est mise entre parenthèses : l’intentionnalité est ainsi mise au jour, c’est-à-dire le fait que la conscience et le monde se retrouvent dans une relativité originaire entre le cogito et le cogitatum. En réduisant le monde à son apparaître pour moi, le phénoménologue peut désormais se tourner vers la conscience dans laquelle se constitue le sens du monde. En quoi cette réduction n’est pas une omission de l’être mais, bien au contraire, une ouverture à l’interrogation ontologique ? Dans un style sans doute heideggérien, Ricœur répond à cette question par le déplacement de l’ontique à l’ontologique, impliqué par la réduction :

l’attitude naturelle est à la fois la dissimulation de l’apparaître pour moi du monde et la dissimulation de l’être de l’apparaître. Si l’attitude naturelle me perd au monde, m’englue dans le monde vu, senti, agi, son en soi est le faux en soi d’une existence sans moi ; cet en soi n’est que l’absolutisation de l’ontique, des « ceci », des « étant » ; « la nature est », voilà la thèse naturelle ; en mettant fin à cette omission du sujet, en découvrant le pour moi du monde, la « réduction » m’a ouvert et non point fermé la problématique véritable de l’être ; car cette problématique suppose la conquête d’une subjectivité ; elle implique la reconquête du sujet, cet

être à qui l’être s’ouvre1.

En d’autres termes, poser la question ontologique de l’étant, c’est précisément interroger la constitution transcendantale de cet étant en tant que corrélat de la conscience, bref, c’est interroger la manière d’être de cet étant. La réduction du monde au phénomène d’un côté, et l’exploration du champ transcendantal de l’autre : ces deux traits de la phénoménologie husserlienne ouvrent une immense possibilité pour l’interrogation ontologique. Dans l’article « Kant et Husserl », c’est d’abord la possibilité qu’ils ouvrent pour une relecture phénoménologique de la philosophie transcendantale de Kant qui intéresse Ricœur.

La philosophie transcendantale kantienne, surtout celle de la Critique de la raison pure, n’est pas à proprement parler une phénoménologie, parce que Kant est trop préoccupé par le

souci épistémologique : « il importe moins, remarque Ricœur, de décrire comment l’esprit connaît que de justifier l’universalité du savoir par la fonction de synthèse des catégories et finalement par la fonction de l’aperception transcendantale »1. Toutefois, certaines analyses

de Kant dans son œuvre dépassent en réalité cette entreprise épistémologique et s’orientent vers une véritable description de l’expérience transcendantale. C’est donc en prenant les deux traits de la phénoménologie husserlienne comme guide que Ricœur discerne dans la philosophie transcendantale de Kant les indices d’une phénoménologie latente.

Premièrement, Ricœur estime qu’il existe bel et bien une réduction transcendantale chez Kant ; en effet, « la révolution copernicienne, dégagée de l’hypothèse épistémologique, n’est pas autre chose que l’ἐποχή phénoménologique »2. La révolution copernicienne que réalise

la philosophie critique consiste dans le renversement de la relation de l’objet et du sujet3.

Dans les théories classiques de la connaissance, c’est le sujet qui doit s’accorder avec l’objet, et il faut, pour que cette coïncidence soit concevable, supposer une harmonie préalable entre les deux. Cela revient à supposer naïvement deux étants, la conscience d’une part et un objet d’autre part, sans clarifier préalablement leurs significations ontologiques. La philosophie critique, par contre, proclame que l’objet doit se soumettre nécessairement à la législation du sujet ; une théorie de la connaissance ne traite plus du problème de la coïncidence entre l’objet et le sujet, mais de cette législation nécessaire et universelle – que Kant appelle a

priori – qu’opère le sujet. Corrélativement, l’objet est en fait connu comme phénomène,

tandis que la chose en soi, souligne Kant, est hors d’atteinte de la connaissance objective. N’est-ce pas là un geste d’allure phénoménologique, consistant à affranchir la conscience de l’enchantement de l’attitude naturelle en mettant en suspens l’existence de l’objet ?

Avec cette réduction, le « dessein justificatif » de la première Critique recèle inévitablement des descriptions embryonnaires de l’expérience transcendantale, « car l’a

priori qui constitue les déterminations formelles de tout savoir s’enracine lui-même dans des

actes, des opérations, des fonctions dont la description déborde largement le domaine strict

1 EPh, p. 230. 2 EPh, p. 231.

3 Voir E. Kant, Critique de la raison pure, trad. J. Barni, revue par A. J.-L. Delamarre et F. Marty, dans Œuvres

philosophiques. Tome I. Des premiers écrits à la Critique de la raison pure, sous la direction de F. Alquié, Paris, Gallimard,

des sciences »1 : voilà le second trait de la phénoménologie transcendantale. Selon Ricœur, le

point culminant de la description de l’expérience transcendantale chez Kant se trouve dans les deux premiers chapitres de l’Analytique des principes, le premier consacré au schématisme, et le deuxième aux principes synthétiques de l’entendement pur. Les Principes offrent « une admirable description de la constitution de la Dinglichkeit »2, c’est-à-dire de la

choséité de chose, tandis que le Schématisme aborde le corrélat noétique de cette constitution, la face subjective de la Dinglichkeit. C’est précisément cette constitution de la choséité que Ricœur reprendra dans la première partie de L’homme faillible, quand il traitera la disproportion au niveau de la synthèse transcendantale. Nous reviendrons sur cette réinterprétation de la philosophie kantienne ultérieurement, nous contentant ici de signaler que cette réinterprétation, qui est foncièrement phénoménologique, n’est possible qu’à la lumière de la phénoménologie husserlienne, comme Ricœur le montre dans « Kant et Husserl ».

2. L’ambiguïté ontologique de la phénoménologie transcendantale

Si c’est bien la phénoménologie husserlienne qui nous permet de dégager une phénoménologie latente de la philosophie critique kantienne, qu’apporte cette dernière à la phénoménologie husserlienne, et particulièrement au questionnement ontologique ? Sur ce point, Ricœur met en relief la distinction opérée par Kant entre l’entendement et la raison, entre connaître et penser, distinction kantienne la plus chère à Ricœur.

La connaissance humaine se produit par la synthèse de l’intuition sensible et des catégories de l’entendement ; or « toute notre intuition n’est que la représentation du phénomène ; les choses que nous intuitionnons ne sont pas en elles-mêmes telles que nous les intuitionnons »3. Cela veut dire que, selon Kant, la connaissance est essentiellement celle

du phénomène, et jamais celle de la chose en soi, tandis que « le manque d’être du

1 EPh, p. 231. 2 EPh, p. 234. 3 EPh, p. 238.

phénomène, résume Ricœur, lui est en quelque sorte incorporé »1. Or c’est précisément cette

déception, à savoir l’impossibilité de connaître la chose en soi, qui révèle la particularité du kantisme, dans la mesure où cette impossibilité se montre comme l’envers d’« un acte positif de limitation »2 par la raison. La fonction de la raison, selon la lecture de Kant que propose

Ricœur, est de viser la chose en soi ; puisque la chose en soi est révélée par la raison comme hétérogène des représentations que la conscience en fait, la raison peut ainsi limiter la prétention de la sensibilité à prendre la place de l’être.

Il convient de signaler ici que cette visée de la chose en soi n’est pas un retour à l’attitude naturelle, une position d’un objet tenu pour absolument extérieur à la conscience. Bien au contraire, il s’agit d’une auto-limitation de la phénoménologie qui joue un rôle essentiel dans l’appréhension de l’apparaître. En fait, la conscience ne pourrait constituer la connaissance de l’objet à partir des représentations diverses sans les ramener à un objet unique et réel, projeté en face de la conscience, bien que cet objet en soi soit seulement

pensé, sans être jamais connu.

Il existe donc une réciprocité entre cette double intention : « L’objectivité issue de l’objectivation et l’objectivité préalable à cette objectivation renvoient donc l’une à l’autre ; l’idéalité transcendantale de l’objet renvoie au réalisme de la chose en soi et celui-ci à celle- là »3. Cette réciprocité anticipe déjà les formules de L’homme faillible, selon lesquelles la

perceptibilité seule n’épuise pas le sens de l’être de la chose, mais c’est la synthèse de la perceptibilité et de la dicibilité qui constitue la choséité.

Pourquoi, selon Ricœur, cette double structure de l’objectivité se serait-elle perdue dans la phénoménologie husserlienne ? Comment, par conséquent, Husserl a-t-il oublié la dimension de l’être ? Comme Kant, Husserl est un philosophe qui tâche de fonder une science universelle et rigoureuse. Mais alors que Kant fonde la validité de connaissance sur la législation de l’entendement, Husserl cherche par contre dans la perception, dans l’intuition de la présence en chair et en os du monde à la conscience, l’évidence du vécu, et c’est celle-ci qui lui offre le fondement ultime de la scientificité. De plus, l’obsession pour le

1 EPh, p. 238. 2 EPh, p. 237. 3 EPh, p. 240.

fondement et pour l’absolu pousse Husserl à retourner toujours à l’évidence plus originaire qui se constitue dans la conscience, jusqu’à « l’enracinement de tout sens dans le vécu évident actuel »1. De cette manière, la dimension de l’être est à proprement parler « réduite »

chez Husserl, c’est-à-dire que ce problème ne peut plus être soulevé dans cette philosophie qui ne s’occupe que du sens de l’apparaître.

Ricœur voit dans cette réduction le danger de glisser « d’un acte d’abstention à un acte de négation »2 : si le sens de l’être du monde n’apparaît que pour moi, combien il est facile

de croire que la validité de ce sens serait tirée de moi ! Par conséquent, une égologie prendrait la place de l’ontologie :

Dès lors aussi, résume Ricœur, l’ἐποχή est la mesure de l’être et ne peut être mesurée par rien ; elle peut seulement radicaliser elle-même ; mais elle ne peut être traversée par aucune position absolue qui, à la façon du Bien chez Platon, donnerait au sujet de voir et donnerait un quelque chose absolu à voir3.

D’après « Kant et Husserl », c’est dans la constitution d’autrui que cet oubli de l’être prend toute son acuité et que la limitation kantienne du phénomène montre sa pertinence. La tâche écrasante que Husserl s’impose à lui-même dans la cinquième Méditation cartésienne est de comprendre le sens d’autrui à partir de mon ego. L’énigme d’autrui, c’est qu’il m’apparaît non pas simplement comme un corps, comme une chose du monde que je peux saisir dans l’unité des silhouettes ; mais en ce corps s’annonce aussi une personne, un autre

ego qui possède ses propres vécus, ses propres expériences, lesquels excèdent définitivement

ma sphère de vécus. La grandeur de la pensée husserlienne est de tenir cette double exigence jusqu’au bout : réserver d’une part la particularité de « l’apparaître » de cette existence autre et d’autre part la comprendre à partir de ma sphère égologique primordiale. Pourtant, sans une mesure ontologique qui encadre le phénomène, la philosophie de la réduction n’est pas en mesure de mettre en avant une profonde différence ontologique « entre la personne qui ‘s’annonce’ et la chose qui ‘apparaît’ »4 mais, bien au contraire, elle la minimise en les

1 EPh, p. 244. 2 EPh, p. 241. 3 EPh, p. 241. 4 EPh, p. 248.

ramenant toutes deux à la même constitution dans mon vécu.

Aux yeux de Ricœur, seule une philosophie qui s’affranchit du prestige de la perception et qui vise l’être à vide est susceptible de rendre manifeste le sens de l’existence d’autrui qui s’annonce dans cet apparaître mais ne s’y réduit pas. Selon la philosophie pratique de Kant, le sens de l’existence d’autrui se détermine entièrement en dehors de son apparaître ; autrui est d’emblée posé comme une fin en soi par une disposition pratique, le respect. Ce qui n’est pensé dans la philosophie de connaissance que négativement comme chose en soi trouve ainsi sa détermination positive dans la philosophie pratique. Autrement dit, cette détermination de l’existence d’autrui par le respect comme fin en soi ne relève pas de l’ordre théorique, mais de l’ordre pratique : je pose autrui comme une limite de mon agir ; en revanche, c’est seulement en agissant avec respect qu’autrui reçoit son existence comme fin en soi. Ricœur conclut par là que la philosophie critique a « montré non seulement des prétentions du phénomène, mais les limites de la phénoménologie elle-même »1, dans la

mesure où le sens de l’existence d’autrui transcende radicalement mon appréhension de son apparaître pour moi, et que son être, pratiquement posé, est précisément ce qui m’interdit de fonder le sens de son existence sur son apparition. C’est en ce sens que « Husserl fait la phénoménologie. Mais Kant la limite et la fonde »2.

3. Vers une phénoménologie de la synthèse

Nous avons choisi de présenter un peu longuement ce dialogue que Ricœur établit entre Kant et Husserl, parce qu’il nous semble qu’il s’y amorce une nouvelle phénoménologie que Ricœur mettra en œuvre, précisément, dans L’homme faillible. En effet, la constitution ontologique de l’homme faillible se déploie tout à fait dans un nouveau cadre phénoménologique, dont les deux grands traits sont toutefois ceux déjà envisagés dans « Kant et Husserl ».

Selon la première ligne de lecture qui vient de Husserl vers Kant, c’est à travers une

1 EPh, p. 250. 2 EPh, p. 250.

déduction transcendantale que la question ontologique de l’étant peut se poser proprement.

Après Kant et surtout en passant par Husserl, il n’est plus possible d’interroger l’être – que ce soit l’être de l’objet, l’être de la personne ou l’être de la liberté – sans se référer à la constitution transcendantale de son sens, sans se référer à la subjectivité à laquelle il apparaît comme corrélat. C’est pourquoi Ricœur signale au début de L’homme faillible que la question de l’être de l’homme libre ne pourra être posée philosophiquement que par « le moyen d’une réflexion de style ‘transcendantal’ »1.

Selon la seconde lecture où la philosophie critique kantienne l’emporte, si la phénoménologie veut poser la question ontologique correctement, elle ne saurait se perdre dans la constitution de l’apparaître ; une limite – à savoir une visée de l’être – jamais remplie par l’apparaître, doit s’imposer à cette phénoménologie, pour qu’elle ne fasse pas cercle avec elle-même et qu’elle s’ouvre véritablement vers l’être.

Cependant, tout en thématisant ces deux traits d’une phénoménologie susceptible d’interroger l’être, « Kant et Husserl » nous laisse en même temps dans une insatisfaction, car il nous est encore difficile de concevoir ce qu’une telle phénoménologie pourrait être.

Concernant le premier trait, il semble que, selon cet article, la possibilité de poser la question ontologique à travers la constitution transcendantale se limite uniquement au domaine de l’objet. En effet, c’est seulement à ce niveau que Ricœur voit la réciprocité possible entre la limitation kantienne de la visée de l’être et la constitution transcendantale de l’objet comme phénomène2. Lorsqu’il s’agit de l’être de la personne, la visée de l’être et le

sens de l’apparaître ne s’accordent plus ; ils s’opposent bien plutôt l’un à l’autre. Quand Ricœur conclut que la philosophie pratique de Kant pose les limites à la phénoménologie elle-même, ne suggère-t-il pas là qu’au niveau de l’existence d’autrui, il n’y aurait plus de phénoménologie possible, et qu’il faudrait choisir entre une ontologie sans phénomène et une

phénoménologie sans être ?

1 HF, p. 25.

2 Du côté de Husserl, l’objectivité n’est pas, bien entendu, le seul domaine où Husserl applique son génie de description. En

fait, dans sa lecture détaillée des Ideen II, Ricœur apprécie beaucoup l’effort que Husserl a fait pour décrire les différentes manières par lesquelles se constituent l’objet, l’âme et l’esprit. Mais ce qui manque à ces descriptions, selon Ricœur, c’est encore une fois la mesure de l’être, de manière que Husserl cherchait toujours à ramener le sens de ces étants à l’ego pur. C’est pourquoi cette manière de procéder à la description transcendantale de ces étants n’est pas davantage adoptée par Ricœur. Voir EPh, p. 87-140.

Ce premier problème est étroitement lié au second : en fin de compte, la visée de l’être est-elle une limitation imposée à la phénoménologie du dehors ou, comme nous l’avons suggéré à diverses reprises, une dimension auto-limitative de la phénoménologie elle-même ?