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Les discussions relatives à l’être du so

Une pensée ontologique en question

I. Les discussions relatives à l’être du so

La dixième étude de Soi-même comme un autre pose explicitement la question ontologique : « quelle sorte d’être est le soi ? »3. À cette question, Ricœur offre une réponse

polyphonique explorant l’être du soi selon trois acceptations du mot « être » : l’être-vrai, l’être en tant qu’acte et puissance, et l’être dans la dialectique du Même et de l’Autre. Considéré selon sa forme, ce chapitre serait, parmi tous les écrits ricœuriens, le texte le plus proche d’un traité systématique de l’ontologie, malgré son « caractère exploratoire »4 affiché

par Ricœur. Considéré selon son thème, comme l’indique M. Michel, l’interrogation de l’être du soi joue un rôle crucial dans l’ensemble de la réflexion ontologique ricœurienne. Dans ce chapitre, cependant, le dernier mot ne revient pas à l’examen ontologique, puisqu’il se clôt

1 Voir SCA, p. 345-410.

2 J. Michel, « L’ontologie fragmentée », art.cit., p. 484. 3 SCA, p. 345.

par un aveu d’inachèvement. Il n’en demeure pas moins précieux pour un lecteur soucieux de « systématiser », ou au moins d’« harmoniser » les fragments de la réflexion ontologique dispersés dans le corpus de Ricœur.

1. Le « soi relationnel »

L’article de Marc-Antoine Vallée intitulé « Quelle sorte d’être est le soi ? Les implications ontologiques d’une herméneutique du soi »1 représente un tel essai de

systématisation. En répétant dans son titre la question directrice posée dès le commencement de la dixième étude de Soi-même comme un autre, l’auteur entend sans doute surmonter l’état fragmentaire de cette étude et en proposer un complément permettant de reprendre les implications ontologiques des chapitres précédents.

Il commence par souligner la pertinence limitée des notions que Ricœur a employées pour déterminer la sorte d’être dont relève le soi. La première notion est l’attestation, qui explique la dimension aléthique de l’herméneutique du soi, et la deuxième est l’ontologie de l’acte et

de la puissance impliquée dans l’homme agissant. Ces deux notions, discutées par Ricœur

dans les deux premières sections de la dixième étude, ne semblent pas, selon M.-A. Vallée, réussir « à couvrir l’ensemble des implications ontologiques d’une herméneutique du soi »2,

car toutes deux présupposent en fait une compréhension relationnelle du soi : l’attestation en tant que confiance du soi ne peut pas être fondée ni maîtrisée par le soi, puisque sa source ultime vient en fin du compte de l’autre comme un don3 ; l’ipséité du soi, considérée dans la

perspective du couple acte-puissance, suggère également un décentrement du soi, parce qu’une nouvelle fois « le soi ne domine pas ce qui fonde son être, mais se comprend plutôt

1 Publié dans Études ricœuriennes / Ricœur studies 1/1 (2010), p. 34-44. 2 M.-A. Vallée, « Quelle sorte d’être est le soi ? », art.cit., p. 36.

3 M.-A. Vallée se réfère ici à un passage de l’article « De la métaphysique à la morale » (dans Revue de métaphysique et de

morale 98/4 [1993], p. 455-477, repris dans RF, p. 83-115), un article dans lequel Ricœur reformule les enjeux ontologiques

de Soi-même comme un autre : « de l’intime certitude d’exister sur le mode du soi, l’être humain n’a pas la maîtrise ; elle lui vient, lui advient, à la manière d’un don, d’une grâce, dont le soi ne dispose pas. » (RF, p. 108, cité par M.-A. Vallée dans « Quelle sorte d’être est le soi ? », art.cit., p. 36).

en relation à un fond d’être plus originaire »1.

C’est sans doute la dernière section de la dixième étude, « Ipséité et altérité », qui offre à l’auteur les sources les plus appropriées pour une ontologie du soi : si l’altérité fait partie intégrante du sens et de la constitution ontologique de l’ipséité, si l’identité du soi se constitue toujours dans la dialectique avec l’altérité, l’être du soi n’est-il pas foncièrement un

être relationnel ? L’ontologie qu’implique l’ensemble de l’herméneutique du soi n’est-elle

pas une « ontologie de la relation »2 ? À l’aide de cette notion, il devient possible, plaide

Vallée, de faire une relecture plus cohérente du dernier chapitre de Soi-même comme un

autre, puis de l’herméneutique du soi tout entière, dans la mesure où « il est caractéristique

de l’herméneutique du soi qu’elle ne repose pas sur un moi isolé ou une totalité égologique, mais sur une ipséité d’emblée habitée par la relation à l’autre »3. La tâche qu’assume Vallée

dans ce texte est donc de montrer que « tous les grands thèmes de cette herméneutique présupposent une définition du soi comme étant un être fondamentalement relationnel »4.

Après avoir repris ces grands thèmes – l’identité, les institutions, la reconnaissance, la triple altérité de la chair, de l’autre et de la voix de la conscience – à la lumière de la notion de l’être relationnel, l’auteur en arrive à conclure qu’« une ontologie de la relation permet de rassembler les différentes facettes de l’existence du soi dans ses rapports au monde, à autrui et à soi. En cela, le soi décrit par Ricœur est non seulement un être capable, mais aussi un être relationnel »5.

Deux raisons principales nous poussent à écarter l’approche proposée par l’auteur dans cette étude. Ce qui apparaît surtout étranger à notre démarche, c’est avant tout la tentative de trouver une notion capitale susceptible de « couvrir » ou de « rassembler » toutes les implications ontologiques d’une herméneutique du soi. Au lieu de la systématisation des

1 M.-A. Vallée, « Quelle sorte d’être est le soi ? », art.cit., p. 36. On peut déjà se demander si cette « relation » de l’être du

soi à un fond d’être pourrait être abordée de la même façon que l’on thématise les relations du soi au monde, à autrui et à soi-même au niveau phénoménologique. La première « relation » ne relève-t-elle pas plutôt du «discours de second degré » destiné à articuler l’être du soi à l’être en général, tandis que les relations dans la seconde catégorie demeurent encore dans le cadre du discours de premier degré ? (Voir SCA, p. 346). En ce sens, tout ramener à la notion de « l’être relationnel », n’est-ce pas une confusion entre les différents degrés du discours ?

2 M.-A. Vallée, « Quelle sorte d’être est le soi ? », art.cit., p. 37. 3 Ibid., p. 37.

4 Ibid.

éléments dispersés de la réflexion ontologique de Ricœur, nous optons plutôt pour une interrogation quant aux raisons profondes de cet état fragmentaire – lequel a d’ailleurs été voulu par Ricœur lui-même –, parce que ce serait là, croyons-nous, que se situerait le véritable enjeu de sa pensée ontologique. Les limites des notions ontologiques engagées dans le dernier chapitre de Soi-même comme un autre, que M.-A. Vallée s’est efforcé de dépasser, nous paraissent bien au contraire être un trait positif qui s’offre à une interprétation plus poussée.

Notre deuxième réserve porte sur la compréhension du terme « ontologie » chez l’auteur. « ‘Ontologie’ veut dire : doctrine ou théorie de l’être » : voilà la définition la plus simple que Ricœur ait donnée dans son article encyclopédique1. Or comme nous l’apprend Ricœur dans

son cours sur les ontologies platonicienne et aristotélicienne, il existe deux façons d’interroger l’être. On peut interroger l’être de tel ou tel étant en demandant : « Qu’est-ce ceci ? Qu’est-ce cela ? ». Mais on peut aussi aller plus loin en interrogeant le sens du mot « être » évoqué dans la question précédente : « qu’est l’être attribué à ceci ou à cela ? ». C’est alors dans le passage du premier questionnement au second questionnement que se forme la question ontologique proprement dite2. Dans le cas de Soi-même comme un autre,

les neuf premières études, en donnant une description phénoménologico-herméneutique du soi, ont offert une réponse à la question « qu’est-ce le soi ? ». Or le soi dégagé de cette herméneutique se révèle comme un étant tout à fait insolite : il n’est ni une substance donnée, ni une pure illusion forgée par un élan vital ; il n’est ni une entité enfermée sur elle-même, ni une simple agrégation des relations. C’est pourquoi il paraît nécessaire de poser une autre question que celle que M.-A. Vallée a relevée – exclusivement – chez Ricœur en imitant la question posée dans l’article « Liberté » : « comment la réalité dans son ensemble doit-elle être constituée pour qu’il y ait dans son sein quelque chose comme le soi ? »3 Bien que les

écrits de Ricœur n’élaborent le plus souvent que des ontologies régionales, celles-ci nous semblent impliquer néanmoins une réflexion sur l’être en tant qu’être, sur le fond d’être

1 P. Ricœur, « Ontologie », art.cit., ici p. 94.

2 Voir P. Ricœur, Être, essence et substance chez Platon et Aristote. Cours professé à l’Université de Strasbourg en 1953-

1954, Paris, Seuil, 2011, p. 107-108.

3 On lit dans l’article « Liberté » : « comment la réalité dans son ensemble doit-elle être constituée pour qu’il y ait dans son

duquel peut se détacher tel ou tel étant.

Considérés sous cet angle, tous les arguments de M.-A. Vallée semblent encore demeurer au niveau descriptif et phénoménologique, se bornant à répéter le fait que le soi ne se tient que dans les relations avec son autre hors de lui et en lui, le fait que le soi est relationnel. Mais quel est le sens de « l’être relationnel » au niveau ontologique ? M.-A. Vallée ne pose pas cette question, mais évoque seulement très succinctement une tradition théologique centrée sur les thèmes de la Trinité et de l’homme en tant qu’image de Dieu1. En

somme, il nous semble que la notion de « l’être relationnel » ne saurait prétendre au même statut ontologique que les conceptions mobilisées dans la dixième étude de Soi-même comme

un autre, ni les remplacer.

2. Le « soi substantiel »

Curieusement, lorsque M.-A. Vallée plaide pour une lecture qui valorise davantage la relation, une autre commentatrice, bien au contraire, se sent plus ou moins inquiétée par le rôle éminent accordé à l’autre dans la constitution du soi chez Ricœur. Gaëlle Fiasse, dans son ouvrage L’autre et l’amitié chez Aristote et Paul Ricœur : analyses éthiques et

ontologiques, propose en effet une étude du rôle de l’autre pour la compréhension du soi, en

faisant dialoguer Ricœur et Aristote autour du thème de l’amitié2. La problématique de cette

étude est indissociablement éthique et ontologique. Au niveau éthique, il « s’agit de savoir qui est cet autre et quelle est notre responsabilité à son égard »3. Une telle discussion éthique

entraîne nécessairement une interrogation sur son fondement ontologique : comment l’autre s’implique dans la constitution ontologique du soi ? « Est-il vrai que l’autre me constitue ? Corrélativement, est-il vrai que je constitue l’autre ? ». En d’autres termes, il s’agit « de préciser jusqu’où l’autre s’avère nécessaire au soi, et par ailleurs comment éviter que la place accordée à autrui n’avalise une négation métaphysique de l’être du soi »4.

1 Voir M.-A. Vallée, « Quelle sorte d’être est le soi ? », art.cit., p. 37.

2 G. Fiasse, L’autre et l’amitié chez Aristote et Paul Ricœur. Analyses éthiques et ontologiques, Louvain-la-Neuve, Éditions

de l’Institut Supérieur de Philosophie / Louvain-Paris-Dudley (MA), Peeters, 2006.

3 Ibid., p. 9. 4 Ibid.

Afin de mieux focaliser ses discussions, Fiasse estime que l’amitié constitue le lieu par excellence pour creuser sa problématique, parce que d’un côté l’ami me paraît bel et bien une

autre personne indépendante de moi mais, de l’autre côté, il s’engage dans ma vie

quotidienne de telle manière qu’il peut orienter mes actions et même participer au sens de ma propre vie. En termes plus abstraits, la relation de l’amitié cristallise un idéal de l’équilibre entre l’altérité et la communion, entre le maintien du soi et l’ouverture à l’autre. C’est alors dans ce cadre précis que G. Fiasse met en scène un va-et-vient entre l’éthique et l’ontologie, entre un penseur de l’Antiquité et un philosophe contemporain.

Il faut dire, tout d’abord, que c’est la lecture que Ricœur a faite de l’amitié aristotélicienne qui affranchit cette dernière des caricatures scolaires et en revivifie les enjeux éthiques et ontologiques. À l’aide de la notion aristotélicienne de l’amitié, Ricœur parvient à expliquer la nécessité d’autrui pour notre propre identité. L’identité personnelle chez Ricœur, d’après Fiasse, refuse tout recours à une notion substantielle, et s’avère être foncièrement une identité attestée ou « voulue » : « Son rejet de l’ousia a pour but de valoriser une identité éthique et dynamique où le soi se découvre comme un ‘Me voici’, grâce à une promesse à l’égard d’un autre. […] Pour Ricœur, le je suis est fondamentalement un je peux et un je fais »1.

Dans cette économie, l’ami occupe une place éminente. L’ami est mon semblable, et je l’aime comme j’aime la meilleure part de moi ; en revanche, je ne peux estimer moi-même qu’en l’estimant et qu’en attendant d’être estimé par lui de la même façon que je l’estime. « Deviennent ainsi, résume Ricœur, fondamentalement équivalentes l’estime de l’autre

comme un soi-même et l’estime de soi-même comme un autre »2. Autrui, dont l’ami est ici

une figure, est à cet égard constitutif de l’horizon de mes capacités de bien agir.

Cette valorisation de l’autre au niveau éthique est lourde de conséquences pour l’ontologie ricœurienne. En fait, G. Fiasse discerne une teneur « volontariste » dans la notion ricœurienne de l’être du soi : le soi ne peut être dit « être » qu’en voulant être dans son acte d’exister. Bien plus, l’être du soi ou cet acte d’exister qui se pose comme une tâche et non

1 Ibid., p. 282. 2 SCA, p. 226.

comme une donnée doit s’attester dans l’agir avec et pour autrui : c’est en montrant ma capacité d’être appelé par autrui et pour autrui que je peux dire que « je suis ». Mais jusqu’où puis-je dire que je suis ? Dans l’échec de mon action, dans le manque d’estime de la part d’autrui, dans la perte d’un ami, puis-je encore affirmer que je suis ? Cette ontologie du soi, fondée uniquement sur ses capacités d’agir, ne recèle-t-elle pas un risque de « dissolution ontologique de l’identité »1 ?

L’absence d’une réelle assise ontologique de l’identité personnelle peut aboutir en retour à l’ambiguïté sur le plan éthique. Une de ses manifestations est le fait que chez Ricœur, la catégorie de l’autre peut s’étendre jusqu’à n’importe qui – à chacun –, de sorte que la responsabilité éthique devient sans limite, jusqu’à porter finalement « la marque de la conception chrétienne de l’amour-agapê »2. En d’autres termes, G. Fiasse se demande si une

telle notion d’altérité n’est pas excessive ; il est même permis de se demander, en renforçant le propos de G. Fiasse, si l’attestation de l’identité du soi n’est pas, de facto, impossible.

C’est à ce stade de la réflexion qu’un retour à Aristote apparaît à G. Fiasse comme un grand secours. À la différence de Ricœur, l’auteur propose une lecture du penseur ancien en renouant le pacte de l’être-substance, de l’être en tant qu’acte et puissance et du thème de l’amitié. L’ousia, loin d’être une substance morte et donnée, doit se comprendre comme « principe d’être et source d’unité ontologique »3. Autrement dit, ma substance est ce qui me

fait exister en tant que moi. Sur ce point, l’auteur prend explicitement une position contre l’ontologie ricœurienne du soi :

En prenant en considération l’ousia, on rappelle que tout homme, quelles que soient ses relations, ses capacités, possède une unicité spéciale de par son être, avant même la reconnaissance du fait qu’il est « un homme capable de parler, d’agir, de se raconter, de viser

un accomplissement personnel…»4.

Toutefois, G. Fiasse n’a pas récusé pour autant l’accent que Ricœur a mis sur le fait que l’être du soi est plutôt une tâche qu’une donnée. En fait, l’ousia pose à chacun une fin à

1 G. Fiasse, L’autre et l’amitié chez Aristote et Paul Ricœur, op.cit., p. 125. 2 Ibid., p. 123.

3 Ibid., p. 246. 4 Ibid., p. 249.

réaliser à travers toutes les actions avec et pour l’autre ; c’est là que l’ami intervient, et son

rôle crucial se joue dans le cadre de la réalisation de la fin de ma vie.

Pour conclure cette réactualisation de la notion de la substance, G. Fiasse écrit :

Le soi a une substance qui ne se dissout pas face à la place qu’il accorde à l’ami dans l’amitié. Il y a en lui d’une part quelque chose qui demeure au niveau substantiel, et d’autre part un devenir, une croissance de son être qui sont invités à grandir du côté de la fin. On peut toujours se perfectionner, aimer l’ami davantage. L’autre en tant qu’ami ne constitue pas ce que je suis ontologiquement, mais au niveau éthique, par la cause finale, j’agis avec et pour lui1.

De cette manière, l’auteur réussit à assurer à la fois la constitution ontologique autonome du soi et de l’autre – notamment celle de l’ami – et la nécessité de l’autre sur le plan éthique.

Malgré la grande admiration que nous éprouvons devant cet essai qui parvient à maintenir vivantes les pensées de deux grands penseurs sans se dispenser d’une lecture minutieuse des textes, l’intention profonde de l’auteur nous fait nous éloigner de son approche, à savoir son intention de fonder l’éthique sur l’ontologie. G. Fiasse a tout à fait raison de souligner l’interdépendance de l’éthique et de l’ontologie chez Ricœur et d’y discerner « le risque d’une dissolution ontologique du soi au profit de l’altérité »2. En

rapprochant Ricœur de Levinas, elle va jusqu’à suggérer un potentiel sacrifice de l’ontologie au nom de l’éthique chez Ricœur. Par conséquent, la démarche qui en découle – répliquer à cette tendance ricœurienne en mobilisant la notion aristotélicienne de la substance – est conduite de part en part par la tentative de trouver une assise ontologique bien assurée pour le soi, une assise qui serait en même temps compatible avec une éthique valorisant l’altérité. N’est-ce pas, comme le suppose M. Daniel Frey, une tentative pour en « revenir à l’ontologie directe »3 ?

C’est ce projet lui-même, assumé par G. Fiasse spontanément, qui nous semble devoir être soumis à discussion et à critique : existe-t-il vraiment une affirmation ontologique antérieure à toute affirmation éthique ? Existe-t-il vraiment une assertion ontologique

1 Ibid., p. 255. 2 Ibid., p. 282.

3 D. Frey, « Recension de Gaëlle Fiasse, L’autre et l’amitié chez Aristote et Paul Ricœur. Analyses éthiques et

dépouillée de toute connotation éthique ? La tentative de retourner à l’ontologie directe ne comporte-t-elle pas elle-même des implications éthiques ? En tout cas, dans notre propre lecture, nous ne rêvons ni de sortir de l’enchevêtrement de l’éthique et de l’ontologie typique de la pensée de Ricœur, ni d’écarter le risque d’une ontologie non fondatrice.

Au terme de ce premier temps de notre parcours des commentaires dits « ontologiques », nous sommes amenée à un constat général : il paraît difficile de bien saisir les enjeux ontologiques de la pensée ricœurienne en se basant exclusivement sur Soi-même comme un

autre, et encore moins sur sa dixième étude seule. En ne se concentrant que sur un ouvrage –

même s’il s’agit d’un ouvrage de synthèse par excellence –, l’on risque tantôt de sous- estimer la contribution ricœurienne à l’ontologie – c’est le cas de M.-A. Vallée, pour qui l’être du soi n’est qu’une notion récapitulative pour l’herméneutique du soi dans son entier –, tantôt de perdre de vue la couche plus profonde de l’exploration ontologique menée par Ricœur, à savoir la réflexion sur la possibilité et les méthodes de faire une ontologie – c’est le cas de G. Fiasse qui, tenant d’une conception relativement « naïve » d’ontologie, n’interroge que l’usage de certaines notions particulières chez Ricœur et chez Aristote. Afin