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Ontologie et composantes de la toponymie apitipi8inn

Problématique, objectifs et question de recherche

Chapitre 4. Résultats et discussion

4.1. Ontologie et composantes de la toponymie apitipi8inn

Le séjour terrain a permis de constater les particularismes de la toponymie apitipi8inni, mettant la table aux interprétations concernant sa nature, sa portée et son importance pour les Apitipi8innik. Ces particularismes sont dans certains cas mis en relation avec la toponymie promue par l’État, afin de contraster ses éléments distinctifs. Nous aborderons donc la nature de cette toponymie, à commencer par le caractère décrit des noms, puis leur temporalité, avant d’aborder l’exonymie, la plurivocité et pluralité des significations.

Les propos des participants s’accordent sur la théorie en ce qui concerne l’existence même des noms de lieux : ils sont une part incontournable de la culture et de la vie en territoire. Les mots de cet aîné le laissent entendre au sujet du nom d’une pointe :

C’est parce qu’un moment donné quelqu’un qui avait été campé là avait soulevé une roche, il y avait plein de couleuvres. C’est à partir de ce moment-là qu’ils l’ont appelé Kinepiko Matcite8eia. [Les noms], c’est pour identifier [les pointes] un moment donné (Entretien #04, 2018)

Au-delà du « besoin » d’identifier les pointes, quelle est la nature des entités désignées ? D’ores et déjà nous pouvons faire un parallèle entre les statistiques générales de la base de données Topaki et les statistiques concernant spécifiquement les toponymes documentés à partir de sources orales (exclusivement ou non).

Malgré un écart de 14 points de pourcentage, ces données demeurent majoritaires en ce qui touche à la nature des entités désignées : 70 % des toponymes documentés à partir de sources orales désignent directement ou indirectement des entités aquatiques contre 83,2 % pour l’ensemble de la base de données. Cette statistique confirme la nature hydrique du pays vécu par les Apitipi8innik, et rappelle que « le réseau hydrographique constitue un élément déterminant de la géographie culturelle de Pikogan, notamment […] en offrant des points de référence lors des déplacements » (Germain, 2012 : 60). Ces « points de référence » sont nommés de façon particulièrement descriptive et les participants ont soulevé à de nombreuses reprises ce caractère désormais connu des toponymies autochtones, comme l’indique cette explication d’une participante :

Nous, notre langue, quelque chose qu’on va nommer, c’est quelque chose de descriptif. On [ne] donne pas de nom de lieux tu sais comme… […] « Saint-Félix-de-Dalquier », qui est en l’honneur je ne sais pas, d’une personne, qui était dans l’armée française […] Nous, ça va être quelque chose de descriptif, qui se rattache vraiment au lieu physique, géographique. (Entretien

#05, 2018)100

Sans détour, cette affirmation révèle la réalité descriptive de la langue et de la toponymie des Apitipi8innik. En plus de tels commentaires, des exemples de la nature descriptive de la toponymie apitipi8inni ont été saisis via des descriptions que les participants ont fournies concernant des noms d’entités géographiques. L’explication du lac Macamic, Makami Sakaikan, est un exemple ayant été relevé à plusieurs reprises :

Il est tout croche le lac. Étant donné que les Apitipi8innik sont visuels, ils ont tous vu que ce lac- là était mal fait. Alors ils ont dit, maka. Maka qui veut dire infirme. C’est pour ça qu’ils l’ont appelé Makamik. (Entretien #01, 2018)

Dans ces propos, nous pouvons aussi deviner dans la toponymie une forme de personnification de la nature, où des attributs anthropiques (infirmité) sont donnés à une entité hydrique. Toutefois, cette supposition n’est basée que sur l’emploi d’un adjectif et ne prétend pas expliquer l’origine de la dénomination de ce lac, ni ne prétend généraliser cette remarque à l’ensemble de la toponymie apitipi8inni. Nous pouvons cependant soulever le questionnement grâce à des cas d’études chez d’autres Premiers Peuples, comme celui du fleuve Whanganui chez les Maoris, qui reçut le statut de « personne légale » (Hsiao, 2012; Hutchison, 2014; Ruruku

100 « Dalquier » renvoie au nom du canton, qui réfère effectivement à un capitaine de compagnie, Jean D'Alquier de Servian (CTQ, 2019d). En plus de leur propre toponymie, les Apitipi8innik en auront aussi beaucoup appris au chercheur sur les autres corpus toponymiques !

Whakatupua Te Mana O Te awa Tupua, 2014), ouvrant la voie aux interprétations sur la personnification

d’entités géographiques.

Toujours dans une optique descriptive, d’autres noms associent l’entité désignée à un référent culturel, tel l’exemple de la Ka8in8apiko Matcite8eia :

Ça, ça veut dire la pointe. Y’a une grosse roche blanche. On dirait que c’est un tas de gras qui est là. La pointe où est-ce qu’il y a de la graisse. Tu sais, on voit souvent des pierres blanches comme du sel. Y’a un tas là. (Entretien #04, 2018)

La désignation des lieux de façon descriptive ne sera donc pas indépendante de la nature des activités humaines, puisqu’elle emploie une terminologie associée à divers référents culturels. Dans l’exemple ci- dessus, nous pouvons deviner un élément de référence, le gras animal, qui permet une intelligibilité aux individus partageant la culture associée à ce nom. Ce caractère descriptif et comparatif permet à un étranger du territoire concerné (un lac), dans la mesure où celui-ci est locuteur de la langue anicinape, de connaître, grâce à sa description, l’apparence de l’entité désignée. Ainsi, le prochain étayage de toponymes, par un jeune participant, nous permet d’imager les entités énumérées :

Kickataka Sipi, ça veut dire la rivière qui est au fond d’une crevasse. Omakaki Sipi, la rivière aux grenouilles. Ici, Kanisokamak, les trois lacs. (Entretien #11, 2018)

La nature descriptive de la toponymie apitipi8inni se fait via le prisme de leur relation avec le territoire, via leur territorialité. C’est la nature descriptive quasi systématique des noms qui nous permet de constater l’importance de la fréquentation et la proximité des Apitipi8innik avec leur territoire vécu, là où la toponymie d’État a principalement marqué les cartes par des mentions honorifiques. Nous avançons que la nature descriptive des noms de lieux est ici un témoin de la nature de l’utilisation et de la fréquentation des Apitipi8innik. Ainsi, Omakaki Sipi est fort probablement nommé de la sorte non parce qu’un jour un locuteur de l’anicinape a nommé le cours d’eau de façon spontanée en réaction à la présence d’anoures, mais parce qu’on peut reconnaître le cours d’eau grâce à ses anoures lors des nombreux parcours en territoire. Cet état de fait nous pousse à penser que, dans plus d’un cas en toponymie apitipi8inni, « ce n’est pas le lieu qui est nommé en soi, mais le lieu à travers son utilisation » (Entretien #A-2 avec Marc Richard, 2019). Cela implique que la teneur même d’une entité désignée divergera dans certains cas de celle de la société dominante. Lors de la période de constitution de données, des participants ont souligné que des lieux (ou ensemble de lieux selon la perception…) pouvaient être désignés de façon inclusive par un seul nom, sans distinction pour les

composantes qui constituent ces mêmes entités géographiques dans la vision eurocanadienne de la toponymie. Cette situation de désignation « inclusive » correspondrait au concept de topocomplexes, habituellement associé au concept de « lieu-dit » dans les bases de données gouvernementales. L’exemple du toponyme Mata8anakak, qui désigne ce qu’est aujourd’hui La Sarre et ses environs, permet de constater ce type de description inclusive :

– C’est là, un mata8a, c’est de là que ça vient Mata8anakak. C’est le vrai terme, c’est ça. Mata8anakak.

– C’est pour désigner La Sarre, la ville ? – Toute la région. (Entretien #02, 2018)

Dans cet extrait, le confluent (mata8a) qui est à l’origine du toponyme « Mata8anakak », ne semble aujourd’hui pas désigner spécifiquement la confluence d’une rivière en elle-même comme pour d’autres lieux (ex. : Ka Ki8eikanatik Mata8a, Matanaka8i Sipi Mata8a, etc.), ni la ville de La Sarre qui s’est établie autour, mais plutôt l’ensemble cohérent de ce qui se retrouve autour du confluent en question, incluant la ville.

Au Québec, la toponymie autochtone est « en grande majorité d'origine descriptive » (CTQ, 2020a). La toponymie apitipi8inni ne fait pas exception et dispose d’un caractère descriptif intrinsèquement associé à la configuration physique de l’entité désignée (ex. : Ka Mitcakositc Minaik Pa8itik, Ka Pecik8akokapa8itc Sakaikan, Ka 8akinakani8ak Matcite8eia, etc.)101 ou encore aux pratiques de certaines activités traditionnelles (ex. : Pakita8akani Sipi, Ntaominekana Sipi, Notcise8an Sipi , etc.).102 De plus, certains noms servent à décrire une entité en comparaison avec un élément de la culture apitipi8inni, comme dans l’exemple de Ka8in8apiko Matcite8eia où les roches sont comparées à de la graisse. Cependant, ce n’est pas l’entièreté des toponymes documentés qui réfèrent nécessairement à un phénomène naturel, dans certains cas ils s’avèrent parfois d’origine récente ou sous-entendent des circonstances ou objets s’étant déroulés à un moment particulier au cours des derniers siècles. Cette considération nous amène à nous interroger sur la temporalité de la toponymie apitipi8inni : dans quelle mesure réfère-t-elle à des événements ?

Cette question contraste un peu avec l’idée ordinairement faite des toponymies autochtones, que l’on associe uniquement à des descriptions d’entités naturelles ou encore d’ordre historique. Un premier exemple évoquera pour certains une similitude de caractère entre les Anicinapek et les Innuat, tous deux peuples « rieurs », où

101 «Rapide du grand bouleau », « lac à l’arbre unique », « pointe aux mélèzes » (N. Kistabish, 1980 : 116, 188, 177). 102 « Cours d’eau où l’on étend le filet à poissons », « cours d’eau du chemin pour aller à la cueillette des bleuets », « ruisseau où l’on chasse la perdrix » (N. Kistabish, 1980 : 17, 49, 133).

l’humour joue un rôle social important.103 Le Mo Pa8itik est un rapide, situé sur un cours d’eau nommé Kapanani8i Sipi,104 dont la traduction en français pourrait être « rapide des excréments » … Les informations relatives à ce rapide, tirées d’une étude de la CTQ, nous apprennent que le nom rappelle la présence du premier « Blanc » du secteur, qui allait toujours faire ses besoins au dit rapide (N. Kistabish, 1980 : 54) ! Ce nom est celui d’une anecdote intelligible par ceux qui fréquentent le territoire et surtout, rappelle un fait amusant qui est historiquement près de nous, du moins, plus que ne pourraient l’être d’autres noms décrivant la nature d’une rivière dont l’état n’a probablement pas changé depuis maintes générations. Mo Pa8itik n’est pas la seule entité disposant d’un nom qui réfère à une réalité « récente ». Sans être nécessairement honorifiques, plusieurs noms désignent des individus ayant vécu ou fréquentés activement un territoire donné. C’est le cas de plusieurs noms fournis par des participants dans le cadre de cette étude, parmi les exemples suivants :

• Comis Pa8itik :

Comis c’est un vieux bonhomme là. […] J’avais demandé à mon oncle pourquoi qu’il l’appelait

de même, il disait qu’un vieux monsieur qui tentait là quelque part. Probablement sur le chemin ici. (Entretien #03, 2018)

• Cakanac Matcite8eia :

C’est où ce que la rivière part. Icitte c’est… C’est la première pointe c’est où le vieux Cakanac. 105 (Entretien #04, 2018)

• Acicic Matcite8eia :

Acicicikak. Ça c’est une pointe ça. Y’a eu un vieux bonhomme [nommé] Acicic, qui a demeuré

là. (Entretien #04, 2018)

L’évocation d’un individu non légendaire trahit un aspect contemporain, une localisation temporelle près des locuteurs. La toponymie est dès lors actuelle, au même titre que l’objet auquel elle réfère. D’autres désignations, tout autant organiques, sont encore plus rapprochées temporellement, comme cet exemple :

103 De Le peuple rieur, un ouvrage de Bouchard et Lévesque (2017) au sujet des Innuat. 104 Connu par l’État sous le nom de « rivière Trudelle ».

Ben ça en fait c’est mes parents, ils se promenaient avec mon oncle dont c’était le territoire. Ils ont trouvé un petit… un petit sault, en algonquin on appelle ça un K8apeipan. […] Depuis ce temps-là, mon oncle a toujours appelé ça comme ça ce lac-là. (Entretien #11, 2018)

D’un autre côté, les participants affirment toutefois avec vigueur l’antériorité des noms, allant jusqu’à affirmer que ces derniers sont centenaires, millénaires. Nous pouvons donc avancer l’idée selon laquelle les noms de lieux apitipi8innik peuvent être historiques ou contemporains et désigner des réalités anthropiques ou naturelles, éloignées ou rapprochées des réalités vécues. La toponymie apitpi8inni ne semble donc pas avoir connu une date butoir où elle se serait figée dans le temps, bien qu’une majorité des noms colligés le furent à partir d’études antérieures.

De plus, il a été constaté avant le séjour terrain à partir des données de Topos qu’il est possible pour une entité d’être désignée par plusieurs noms en langue anicinape, qu’il y a donc une plurivocité pour certaines entités. Lors de l’étude, les participants ont permis d’identifier et documenter plusieurs cas, à commencer par un cours d’eau au cœur de l’histoire et du territoire apitipi8inni : Kitci Sipi, aussi appelé Anikana ou encore, Harricana, un exonyme francophone d’Anikana. Cette désignation est celle d’une entité majeure, un fleuve long de plus de 500 kilomètres. La propension d’une entité à avoir plusieurs noms pourrait donc être corrélée à son importance en taille ou en fréquentation, pour les différentes activités qu’on l’y pratique en fonctions du temps de l’année, à sa localisation mitoyenne entre communautés ou territoires familiaux ou encore aux possibles orientations de sa description (physique comme « Kitci Sipi » ou symbolique comme « Anikana »). Malgré plusieurs constatations, cette recherche n’a pas permis d’établir une relation claire entre ces phénomènes aux caractères qui semblent associables dans le corpus toponymique apitipi8inni. Un autre exemple du même ordre est celui de la ville d’Amos, une entité anthropique désignée par les Apitipi8innik sous plusieurs noms. Dans un même groupe de discussion, trois participantes l’appelaient en anicinape de deux façons différentes (le français était fréquent pour désigner les noms de villes et villages) :

– Comment vous appelez la ville. Amos, y’as-tu un nom en anicinape ? – Otenak, en ville. […]

– Oui, c’est où ce qu’on est resté nous autres. C’est 8akosik qu’on appelait ça. […] Quand on partait de La Sarre on s’en allait à 8akosik, ça voulait dire qu’on s’en venait ici [à Amos]. (Entretien #06, 2018)

Alors qu’Otenak (otena) se traduierait par « hameau » ou « village », 8akosik renvoie au nom d’un lieu où la participante campait dans sa jeunesse à Amos, près du 8akik8eci Pa8itik, et qui par extension désigne la ville

pour elle. Un troisième nom pour Amos, 8AKIK8ECIK, a même été mentionné pendant un autre entretien (Entretien #07, 2018). La plurivocité est un fait qui semble répandu chez les Apitipi8innik, fait qui n’empêche pas l’intelligibilité des toponymes. Le cas du fleuve Harricana/Kitci Sipi/Anikana illustre ce propos. Cette pluralité de noms prend aussi une autre forme, celle de l’homonymie. Plusieurs entités sont nommées d’une même façon par les Apitipi8innik. Un premier cas relevé est encore une fois celui du fleuve Harricana :

Je pense qu’il y en a juste deux qui ont cette signification-là. Kitci Sipi : la rivière des Outaouais, pis celle-là [l’Harricana]. (Entretien #02, 2018)

Nous pouvons supposer l’importance (Kitci, grande) des deux cours d’eau comme déterminante dans leur dénomination et soulever la la réflexion à propos de l’univocité, un concept « culturel » où un nom est ou doit être la norme pour désigner une entité géographique. Le questionnement est légitime quant à savoir quel est « le » nom d’une entité comme avec cet exemple de fleuve où « Kitci Sipi » signifie « Grande Rivière/Fleuve). Comme le disent Dorion et Richard (2019 : 130), « le nom de certains lieux se résume à un terme géographique générique sans l’ajout d’un élément spécifique. […] Le plus souvent, ce modèle de désignation s’explique par la proximité d’un accident géographique ». Nous pouvons supposer que l’unicité de l’Harricana dans le paysage de l’Abitibi et de l’Outaouais dans le paysage du Témiscamingue permet une désignation presque générique (« Kitci » étant un spécifique) univoque pour plusieurs participants. Pour clarifier la situation et déterminer si les noms de lieux étaient désignés par leur définition plutôt que par un nom unique, une question supplémentaire a été posée aux participants lors de pareilles situations : quel(s) nom(s) devrai(en)t apparaître sur une carte ? Aucune réponse unanime n’est ressortie pour un petit nombre d’entités géographiques, dont l’Harricana. Dans ce prochain exemple, deux participants d’un groupe de trois interagissent sur le nom Kitci Otenak :

– Kitci Otenak c’est à Montréal. [rires].

– Là tu es rendu à Rouyn, loin, toi ! (Entretien #06, 2018)

Pour ces participants, Kitci Otenak renvoie aux villes de Rouyn-Noranda ou de Montréal, selon le cadre de référence de l’individu ou du groupe d’individus. Une même entité peut disposer de plusieurs noms, mais un même nom peut induire une polysémie, peut-être explicable par des cas d’agglutinement dans la langue anicinape. Le cas le mieux documenté dans cette recherche est celui d’un lac, Makamik.

Le lac Macamic… Ben c’est juste que ça l’a commencé un moment donné, il y avait des… de la publicité sur la ville de Macamic. Pis, qu’un moment donné, ils ont dit que Macamic, ça voulait

dire « castor boiteux ». Pis mon père m’a expliqué que [ce n’] est pas ça du tout la signification de Macamic. Ce qu’il disait, c’est que le lac avait un contour irrégulier, qu’il y avait beaucoup de baies, qu’il y avait beaucoup de pointes, vu que ça faisait comme Macamic… c’est ça, c’est plein… le lac est, tout le tour du lac est rempli de pointes et de baies. (Entretien #05, 2018)

Le suffixe en « k » renvoi à un lieu dont on a agglutiné ou l’où on substitue le générique comme dans le nom Cikopitik (une rivière affluente de la rive gauche de l’Harricana) ou Matakamik (Matagami). Il est à noter que la vérification linguistique anicinape a suggéré la forme « Makami » Sakaikan et Sipi pour respectivement le lac et la rivière Macamic. Le même processus s’applique pour des noms comme Otakopi8atci (une montagne au nord-est de Joutel ; -8atci renvoi au générique montagne), Ka Ki8eikinitikocici (un ruisseau, affluent de la rive droite de l’Harricana ; -cici renvoi au générique ruisseau), etc. Un autre exemple pour illustrer le phénomène de polysémie est celui de Ka Tesakotek Matcite8eia, une pointe que l’on dit « suspendue » :

Quand on la regardait à l’autre bout du lac là, mettons ici là, quand on était, quand on restait là, quand c’était ben calme, y’avait un[e] espèce de mirage qu’on dirait que la pointe se soulève. […] D’un mirage. Pis y’en a deux définitions. Parce qu’il y avait ben des aulnes là-bas, y’a longtemps, y’avait – comment ils s’appellent les gros oiseaux là ? Les hérons. […] Ils nichaient en haut, tout ensemble, y’avait un[e] espèce de nichoir de héron… […] Pis on dirait que c’était, quand on regardait on dirait que l’île était dans les airs. La pointe était dans les airs. Y’a deux définitions. […] C’est ça, y’a deux versions. Pis deux versions qui sont vraies ! Parce que quand, moi je l’ai déjà vu. Quand on restait à l’autre bout, mettons au printemps, l’eau était ben calme. On voit très bien la pointe. [Elle se] soulevait, avec le mirage. (Entretien #04, 2018)

Ainsi, en toponymie apitipi8inni, un seul nom peut avoir plusieurs significations. Dans la toponymie promue par l’État, un principe veut qu’un nom dispose d’un générique, à savoir d’un nom qualifiant la catégorie de l’entité. Dans « fleuve Saint-Laurent », « fleuve » serait le générique et « Saint-Laurent » le spécifique. En français, le Tigre, la Seine, le Pain de Sucre et bien d’autres formes du territoire sont nommées sans générique. Il en va de même pour beaucoup de langues, comme en atikamekw (ex. : Ka Kinikwantciwak106, etc.) ou en anglais (ex. : the Ob, the Mississippi, etc.), par exemple. Par conséquent, la règle d’un générique accompagnant un spécifique ne semble pas être une norme appliquée dans la toponymie de plusieurs cultures.

Chez les Apitipi8innik, une première constatation de cette non-conformité au modèle générique spécifique vise plusieurs noms de lieux, que l’on pourrait qualifier de spécifiques, qui ne sont pas employés avec un