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Constitution des données

Problématique, objectifs et question de recherche

Chapitre 2. Cadre conceptuel

3.2. Constitution des données

Il est tout d’abord pertinent de souligner qu’il a été question, dans cette recherche, de « constitution » des données et non de « collecte de données », et ce afin de souligner le caractère « construit » du corpus des données (Morange et Schmoll, 2016 : 46). La constitution des données, donc, fut l’étape de la recherche où un corpus toponymique fut établi et où des informations associées à ce corpus ont été colligées à partir de sources diverses, dont beaucoup de sources uniques à cette entreprise, issues de participants volontaires de la Première Nation Apitipi8inni. Les données constituées sont de nature qualitative, en dépit de quelques statistiques glissées ici et là. En effet, la quantification de données toponymiques est ici jugée non nécessaire, sinon futile ; l’objectif étant d’établir le portrait d’une chose langagière et territoriale. Plusieurs sources écrites, la plupart provenant de la CTQ, ont permis de constituer les fondements d’une base de données toponymiques, sur laquelle se greffent les informations obtenues à l’occasion d’entretiens avec des membres de la communauté, principalement effectués à l’occasion séjour de près de deux mois chez les Apitipi8innik.

3.2.1. Enquêtes toponymiques et sources secondaires

La plus grande part de la documentation écrite relative aux noms de lieux apitipi8innik est regroupée dans la BNLQ, sous la supervision de la CTQ. Ces données sont majoritairement issues d’enquêtes toponymiques ayant été menées de pair avec les Apitipi8innik, principalement au cours des années 1980 (voir Tableau 5). Ce corpus toponymique constitue la source écrite principale à partir de laquelle a été établie une base de données de toponymes anicinapek spécifiques à cette recherche, les informations nouvellement recueillies lors des séjours de recherche s’ajoutant ainsi au corpus connu. Afin de consulter et de colliger ces informations, d’apprendre le fonctionnement de la BNLQ et de réfléchir sur la méthodologie entourant la conservation d’informations toponymiques, un stage d’une durée de près de 200 heures fut complété à la CTQ à l’hiver 2018.

À l’occasion du stage et lors de la consultation du corpus de la BNLQ, des considérations d’ordre méthodologique sont apparues. En effet, un certain sens critique vis-à-vis la nature et le contexte de saisie des données permit de constater certaines lacunes ou erreurs dans la BNLQ. Nous avons constaté notamment que des noms étant identifiés comme anicinapek étaient originaires d’autres langues, que certains noms avaient été mal transcrits entre le document de l’enquête et la BNLQ et qu’il était possible de colliger davantage d’informations au sujet de l’origine, de la signification, de l’utilisation et du symbolisme de plusieurs noms. De plus, bien que ces inventaires forment notre base de la recherche, plusieurs toponymes n’y sont pas

encore inventoriés pour diverses raisons, allant de l’oubli involontaire à la non-possibilité de s’entretenir avec un participant, par exemple. Ainsi, les inventaires de la CTQ ne peuvent être considérés comme exhaustifs, préoccupation qui a orienté notre souci de rigueur méthodologique lors du séjour terrain.

Outre les enquêtes toponymiques menées par la CTQ, d’autres sources écrites, ici secondaires, font état de certains noms anicinapek associés à la Première Nation Apitipi8inni. Les sources que nous avons répertoriées sont diverses, allant de la carte ancienne aux panneaux d’interprétation. La communauté, pour sa part, poursuit les recherches toponymiques et cherche toujours à compléter une documentation associée à ce savoir. La présente recherche s’inscrit d’ailleurs en continuité de la volonté d’abord exprimée par la communauté d’accroître leurs connaissances sur leur corpus toponymique. Les informations recueillies par les Apitipi8innik auprès des Apitipi8innik, d’abord en association avec la CTQ, sont désormais colligées par le Bureau du développement social et économique de la Première Nation dans un objectif avoué de compléter les exigences requises du processus canadien de revendication territoriale et d’autonomie gouvernementale.

Année Nom du document Auteur(s) Nombre de toponymes Dans l’enquête Intégrés

1980 26464 Enquête

Pikogan Norman Kistabish 243 240

1981 26454 Enquête

Harricana Agnès McKenzie 55 53

1981 26453 Enquête

Pikogan Agnès McKenzie 161 153

1989 26485 Enquête Lac- Simon Danièle Morisset (Centre culturel Amikwan) 98 1 1993 26480 Enquête Algonquins Dominique Rankin (Société Matciteweia) 62 8

2010 Non-publié Auteur anonymisé 22 87 8

Tableau 5. Enquêtes de la Commission de toponymie du Québec utilisées dans le cadre de cette recherche

87 Nous supposons un plus grand nombre d’informations dans l’enquête originale. Les documents consultés, provenant de deux fournisseurs (Première Nation Apitipi8inni et Commission de toponymie du Québec) semblaient être incomplets.

3.2.2. Séjour-terrain et participants

Un séjour totalisant cinquante jours auprès de la communauté fut complété entre mai et juillet 2018. Après avoir recensé les données disponibles à partir des sources secondaires, ce séjour tenait pour objectifs de compléter le plus méthodiquement possible les connaissances toponymiques anicinapek spécifiques aux Apitipi8innik, ainsi que de développer avec les participants la question de l’utilisation et de la perception de leur toponymie. Le chercheur était basé à Pikogan, où s’est déroulée la majorité des entretiens. De plus, plusieurs visites en territoire furent complétées avec ou sans la participation de membres de la communauté. Les séances enregistrées sont au nombre de 13, soit deux parcours commentés et 11 séances de cartographie participative à Pikogan (ces techniques de constitution de données seront détaillées dans la section suivante). Plusieurs séances ne furent pas enregistrées pour faciliter le contact entre les participants et le chercheur, mais aussi parce que le déroulement de la séance ou la situation personnelle de l’individu ne permettait pas pareille mesure (déplacement continu, malaise avec la caméra, oubli de la part du chercheur, etc.).

Les critères de sélection des participants à la présente recherche se résument essentiellement à la locution de la langue anicinape. Par conséquent, un certain profil sociodémographique se dessinait, mais il s’agit davantage d’une conséquence de la condition de participation principale que d’une volonté méthodologique. Ainsi, la majorité des participants fait partie des classes d’âges les plus avancées de la communauté.

Dans une tentative de refléter les potentielles différences au sein des connaissances et de l’utilisation des toponymes, une parité homme-femme fut envisagée et c’est un total de 15 individus qui furent participants pour la présente étude, à savoir 8 femmes et 7 hommes (voir Figure 9). Pour Desbiens (2007 : 364), « examiner la place des femmes autochtones en tant qu'acteurs dans la création de paysages humains permet d’élargir potentiellement le champ d'analyse de la géographie historique, de remettre en question nos hypothèses méthodologiques, ainsi que d’améliorer les connaissances générales dans la discipline, en plus d'élargir la portée des études autochtones ».88 L’équité de genre dans les entrevues permet d’élargir le champ d’analyse, car les hommes et les femmes pourraient avoir des pratiques territoriales différentes, bien que complémentaires.

88 “Looking at the place of Aboriginal women as agents in the making of human landscapes has the potential to expand historical geographers’ realm of analysis, challenge our methodological assumptions and thus improve overall scholarship in the discipline, in addition to broadening the scope of Aboriginal studies”. Traduction libre.

Figure 9. Nombre de participants à la recherche par territoires familiaux

Il est important de souligner qu’en plus des enquêtes toponymiques déjà effectuées et des informations constituées dans le cadre de cette recherche, la Première Nation Apitipi8inni rassemble des connaissances toponymiques de ses membres, et ceci principalement dans le cadre de l’enquête sur l’occupation et l’utilisation du territoire rattachée au processus de revendications territoriales globales. Notons que beaucoup de communautés ont recours à la cartographie depuis les années 1960, où « en se repositionnement sur les cartes nationales et internationales, ils travaillent à récupérer ou consolider des espaces d'action et d'être »,

ce qui implique indubitablement les noms de lieux (Desbiens et al., 2020).89 Les informations toponymiques produites par la Conseil de bande apitipi8inni n’ont pas été harmonisées avec l’ensemble des informations colligées dans le cadre de cette recherche pour éviter toute forme d’obstruction au processus entamé par la communauté.90 Ainsi, certains noms connus de la communauté et documentés par la Première Nation n’apparaissent pas dans cette recherche. Il va sans dire que l’une des suites de nos travaux pourrait donc concerner l’harmonisation de ces différentes informations. Certains toponymes apitipi8innik sont désormais employés par beaucoup d’autres citoyens de la province.... Ces toponymes, repris par des non-locuteurs de la langue anicinape, sont des exonymes pour lesquels l’origine anicinape est souvent ignorée ou méconnue, victime du passage du temps. Ces noms font désormais partie du paysage linguistique abitibien, et parfois québécois ou canadien, aussi bien que de celui des Abitibi8innik, bien que la charge symbolique associée à ces noms semble diverger. On retrouve de ces noms dans des écrits datant des premières explorations de la région par les Eurocanadiens, puis dans de multiples sources cartographiques et écrites de tout ordre, allant des rapports ministériels aux brochures touristiques. L’Itinéraire toponymique de l’Abitibi-Témiscamingue de Benoit-Beaudry Gourd (1984) est un bon exemple de la portée des noms anicinapek dans le territoire nommé abitibien. L’auteur met la table en introduction :

Même si la délimitation administrative et juridique du territoire a concouru à faire disparaître de la toponymie officielle ces amérindianymes, plusieurs importantes entités hydrographiques de l’Abitibi et du Témiscamingue ont conservé leurs noms amérindiens, tels le lac et la rivière Kipawa, le lac et la rivière Kinojévis, le lac et la rivière Waswanipi, les lacs Macamic, Opasatica, Témiscamingue, Matagami, Matchi-Manitou et la rivière Harricana. (Gourd, 1984 : 1)

Les noms qu’il énumère dans cette citation, tantôt anicinapek, tantôt eeyouch, sont tous des exemples de cette exonymie autochtone bien présente au Québec. Il est à noter que beaucoup de ces noms furent documentés dans le cadre d’études toponymiques régionales ou encore historiques.

Le séjour terrain lors de la semaine culturelle printanière de la communauté se déroula près du 8atc8a Pa8itik, un rapide de la 8a8akotik. Des activités avaient été prévues, notamment de la marche sur territoire traditionnel. Cet événement permit au chercheur de rencontrer beaucoup de gens de la communauté, dont

89 “In repositioning themselves on national and world maps, they worked to get back or consolidate spaces of action and being”. Traduction libre.

90 La décision de ne pas utiliser les données du processus de revendications globales pour cette recherche est une décision de la Première Nation. De plus, les données recueillies par la communauté étaient manuscrites, ce qui représentait un défi technique additionnel advenant une intégration des données.

plusieurs devinrent des participants à la recherche. Il a par la suite été possible au chercheur de participer à plusieurs autres événements communautaires, dont la journée sakap8an – une journée destinée à la présentation de la culture anicinape aux élèves de l’école primaire –, puis à la sixième édition du pow-wow de Pikogan, et enfin à des activités qui furent organisées pour la journée nationale des Autochtones. Outre ces événements et les séances enregistrées, plusieurs visites accompagnées et non accompagnées ont permis au chercheur de mieux s’approprier l’objet d’étude, apprenant du même coup un pan non négligeable du territoire nommé apitipi8inni. Parmi les destinations visitées avec des participants, notons le site de l’ancien pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery, le site de l’ancien village minier de Joutel, et quelques territoires familiaux (dans les secteurs de Mackotenikapi, de 8a8akocik et de Cikopi), le site Kina8it (voir Erreur !

Source du renvoi introuvable.).

Enfin, l’auteur de ces lignes a dormi sur les berges du COMIS PA8ITIK, sur la rivière Harricana, au sur le territoire de Pikogan, pendant toute la durée du séjour, rapprochant d’autant le chercheur et l’objet d’étude et, conséquemment, facilitant les contacts.

Numéro Date Lieu Notes Durée d’enregistrement

01 2018.06.08 Pikogan 1 homme 00:16:44

02 2018.06.19 Pikogan 2 hommes 01:27:59

03 2018.06.20 Pikogan 1 homme 00:48:57

04 2018.06.26 Pikogan 1 homme et 1 femme 00:52:05

05 2018.06.27 Pikogan 1 femme 00:43:23

06 2018.07.01 Pikogan 3 femmes 00:34:24

07

2018.07.03 Pikogan 1 femme et 1 homme (déjà participant lors de l’entretien 2)

00:44:56 08 2018.07.04 Pikogan 1 femme 00:31:55 09 2018.07.05 Pikogan 1 femme 00:25:53 10 2018.07.07 Eeyou Istchee Baie-James 1 homme 00:22:16 11 2018.07.18 Pikogan 1 homme 00:13:31 12 2018.07.08 Eeyou Istchee Baie-James

1 homme (même participant qu’à l’entretien 10)

00:00:50