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La terminologie toponymique

Problématique, objectifs et question de recherche

Chapitre 2. Cadre conceptuel

2.2.2. La terminologie toponymique

Les concepts d’exonymie, d’endonymie et d’allonymie expliquent en partie la pluralité possible des noms qui peuvent exister sur une entité et les concepts d’univocité et de plurivocité expliquent leurs applications par l’État. Dans le Glossary of toponymic terminology, Kadmon (2000) définit ainsi les trois premiers concepts :

38 “This processual approach to critical place-name studies highlights the strategies by which state authorities seek to maintain a monopoly on legitimate forms of toponymic inscription as well as the tactics of symbolic resistance employed by different groups to challenge the state’s authority”. Traduction libre.

39 “Have begun constructing maps that communicate their own territorial claims”. Traduction libre.

40 “As a ritual of revolution, the ‘renaming of the past’ is a demonstrative act of substantial symbolic value and political resonance, introducing the political-ideological shift into ostensibly mundane and even intimate levels of human activities and settings”. Traduction libre.

• Un allonyme est « chacun de deux ou de plusieurs toponymes employés en référence à une seule entité topographique ».41

• Un endonyme est le « nom d’une entité géographique dans l’une des langues pratiquées dans la région où elle est située ».42

• Un exonyme est un « nom utilisé dans une langue donnée pour une entité géographique située en dehors de la zone où cette langue a un statut officiel et qui diffère par sa forme du nom utilisé dans la ou les langues officielles de la zone où l'élément est situé ».43

Les trois notions forment ainsi des teneurs toponymiques potentielles. Des conflits d’ordres culturels et politiques sont attenant à certains noms d’un lieu. Les exemples abondent en la matière : la République de Macédoine du Nord44, dont le nom a longtemps irrité les Grecs, les « communautés autonomes » aux volontés indépendantistes en Espagne (voir Figure 6), la mer du Japon ou mer de Corée, etc. Ces concepts touchent les Premiers Peuples nord-américains d’abord car leurs noms de lieux sont souvent considérés comme l’un des allonymes d’une entité qui ne dispose que rarement d’un nom en langue autochtone. Ensuite, car les noms de lieux des Premiers Peuples ont fréquemment été repris par les « toponymies dominantes », formant des exonymes de tous acabits, correspondant rarement à l’endonyme originel. Par exemple, la rivière Allard est l’exonyme pour Sakack8ia Sipi ; il s’agit du type d’exonyme le plus répandu. Un deuxième type, en relation avec la toponymie apitipi8inni, concerne plusieurs noms d’origine apitipi8inni, mais dont ni la forme originelle ni l’emploi ne sont apitipi8innik. Pour exemple, prenons la circonscription électorale fédérale Abitibi–Baie-James– Nunavik–Eeyou. Ce nom comprend à lui seul un exonyme anicinape, un anglais, un inuktitut et un cri. Ou encore la rivière Harricana, dont le toponyme, un dérivé de « Anikana », sert non seulement à décrire ce fleuve, mais également à identifier un raid sportif, un roman de Bernard Clavel, une brasserie, une boutique de vêtements, une commission scolaire, etc. D’autres types d’exonymes peuvent être trouvés dans la toponymie

41 “Each of two or more toponyms employed in reference to a single topographic feature”. Traduction libre.

42 “Name of a geographical feature in one of the languages occurring in that area where the feature is situated”. Traduction libre.

43 “Name used in a specific language for a geographical feature situated outside the area where that language has official status, and differ-ing in its form from the name used in the official language or languages of the area where the geographical feature is situated”. Traduction libre.

apitipi8inni, soit les traductions littérales.45 Ainsi, Kinepiko Matcite8eia devint la Pointe aux Couleuvres. L’idée n’est pas ici de présenter exhaustivement les types d’allonymes, mais de donner des exemples pour saisir les concepts listés.

La notion de « topocomplexe » permet aussi de comprendre une partie des désignations autochtones. Le topocomplexe est défini par Ross (2017 : 4) comme des « entités géographiques qui sont constitués de plusieurs types d’entités, mais identifiées par un seul toponyme ».46 Au Québec, le concept semble inévitablement associé au concept de « lieu-dit ». L’intégration du concept topocomplexe, assimilé à celui du lieu-dit, a permis de faciliter l’analyse du corpus apitipi8inni.

En toponymie, on discerne la plupart du temps le générique du spécifique, à savoir le terme qui désigne généralement, mais pas assurément, le type d’entité de son nom unique. Avec l’exemple du lac Blanc, il est possible d’identifier le générique « lac », qui ici correspond au type d’entité, au spécifique « Blanc ». Par contre, ce concept ne s’avère pas universel. Déjà en 1966, Dorion et Hamelin (1966 : 197) abordaient le sujet, en mentionnant les langues autochtones, avec un vocabulaire n’ayant pas survécu au passage du temps :

Il arrive par exemple qu'un terme générique soit suffisant, dans le contexte géographique où un nom est employé, pour spécifier un lieu à nommer. […] Ce problème est omniprésent dans la toponymie des régions de peuplades ou de langues dites primitives, d'autant plus qu'en de tels milieux la toponymie fait en général une très large utilisation des éléments descriptifs […] et au contraire utilise peu les emprunts de type dédicatoire. […] Il ne s'agit pas là d'une distinction académique et d'un faux problème. En effet, très différente sera l'application des règles reconnues en toponymie, pour l'adaptation des noms, leur traduction, leur classification, leur comportement grammatical dans le langage, selon qu'il s'agit d'un terme générique ou d'un terme spécifique.

Cette situation des génériques et des spécifiques est essentielle, au même titre que l’univocité et la plurivocité, dans la caractérisation des « conflits » toponymiques potentiels entre la toponymie promue par l’État et les toponymies autochtones.

45 Notons qu’il peut s’avérer ardu de déterminer si un toponyme est issu d’une traduction littérale. Ce procédé ne semble pas avoir été traité en détail dans la littérature traitant de la toponymie chez les Premiers Peuples nord-américains. 46 “Are geographical entities that are made up of more than one distinct feature type, but identified by a single toponym”. Traduction libre.

Enfin, l’univocité est le principe selon lequel un lieu a ou devrait avoir un seul nom. La plurivocité est son contraire, ou plutôt la possibilité de son contraire : un lieu peut/pourrait avoir plusieurs noms. Ces derniers sont des concepts essentiels dans la compréhension du jeu de pouvoir qui se jouent entre les protagonistes toponymiques d’une entité ; d’une part les noms autochtones, endonymes, et d’autre part, les noms allochtones, exonymes, français ou anglais chez les Apitippi8innik. Les conflits entourant l’exonymie et l’endonymie peuvent être expliqués par l’importance symbolique des noms, certes, mais aussi car une univocité est promue par les organisations toponymiques provinciales, nationales et internationales.

Figure 6. Graffiti sur un panneau routier dans un village de Galice, transformant un nom de lieu espagnol – Puentenueva – en un nom de lieu galicien – Pontenova (Crédit : Jimmy Couillard-Després, 2017)