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PARTIE I - LA PRESENTATION DES CRITERES DE QUALIFICATION CONSUMERISTES EN DROIT DE LA

Paragraphe 1 - Entre rapprochement et divergence

B. Des objectifs de protection différents

Ainsi, tant en droit spécial qu’en droit commun de la construction, s’agissant même de ce qui semble les rapprocher, c’est-à-dire, leur volonté de protéger un contractant en particulier, leurs conceptions divergent (1). Les dispositions relatives au maître de l’ouvrage en droit commun de la construction en constituent une bonne illustration (2).

1) Une conception finaliste de la protection des contractants

287. Ainsi, lorsque le droit de la consommation cherche à rééquilibrer la relation contractuelle en fonction du critère subjectif de la qualité des cocontractants, le droit spécial de la construction, quant à lui, privilégie, pour atteindre cet équilibre, le critère objectif de la destination de l’immeuble374. Toutefois il est vrai que le droit de la construction protège également certains contractants en raison de leur dépendance à l’égard de l’autre partie au contrat, mais le critère de détermination de cette protection varie en fonction des situations que le droit entend réguler.

288. Ainsi, le droit de la construction, dans son approche protectrice, suit sa logique propre, indépendamment de celle du droit de la consommation. Car si ce dernier tend à pallier un déséquilibre contractuel toujours en faveur d’une même partie présumée faible : le consommateur, le droit de la construction quant à lui, n’envisagera pas les protections qu’il confère sous le même angle et tiendra compte, dans une certaine mesure, de la qualité des contractants, mais surtout de l’usage réservé à l’immeuble faisant l’objet du contrat, ou encore du contexte économique de l’opération de construction envisagée.

Il ne faut donc pas tirer de conclusions trop hâtives, et si de nombreuses règles du droit de la construction viennent en effet renforcer la protection du « consommateur » comme par exemple celles relatives au secteur protégé, tel n’est pas l’unique objectif de la matière.

374 A ce propos l’analyse de M.POUMAREDE, « Les contrats de constructions et le droit de la consommation »,

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2) La protection du maître de l’ouvrage

289. Pour que le droit de la consommation protège le maître de l’ouvrage, encore faut-il que

l’opération oppose un particulier n’agissant pas à des fins professionnelles, à un entrepreneur professionnel qui serait susceptible d’abuser de sa position de force.

290. L’indifférence tenant à l’usage du bien et à la qualité du maître de l’ouvrage. Le droit

de la construction quant à lui ne raisonne pas sous cet angle, et ne tient pas compte de la qualité du maître de l’ouvrage, ainsi, il peut tout aussi bien s’agir d’une personne physique, comme dans l’exemple qui vient d’être cité, que d’un promoteur immobilier personne morale faisant édifier un immeuble de dix étages comportant des logements et des commerces. Quelle que soit sa situation le maître de l’ouvrage bénéficiera de prérogatives à l’égard des entrepreneurs, non pas du fait de sa qualité mais compte tenu de son titre de propriété.

Et si le droit spécial de la construction prend en considération l’usage réservé au bien, le droit commun quant à lui n’en tient pas compte.

291. Les prérogatives du maître de l’ouvrage. Ainsi, prenons l’exemple de l’article 1794 du

Code civil375 aux termes duquel, le maître de l’ouvrage dispose notamment du pouvoir de rompre unilatéralement le marché sans même avoir à démontrer une faute de l’entrepreneur. Cette disposition déroge au principe de la force obligatoire des conventions et trouve son fondement dans la nature même de la maîtrise d’ouvrage qui est un « contrat de commandement »376, donc au bénéfice d’une seule partie : le « maître »377. L’auteur FENET justifiait cette prise de position de la manière suivante : « Il a pu me subvenir depuis la

conclusion de notre marché, de bonne raisons pour ne pas bâtir, dont je ne suis pas obligé de rendre compte, il a pu me subvenir des pertes dans mes biens, qui me mettent hors d’état de

375 « Le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en

dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise ».

376 Le contrat de commandement qui est celui par lequel les intérêts de l'une des parties seraient soumis aux intérêts de l'autre partie, selon l’analyse de R. DEMOGUE, « Des modifications aux contrats par volonté unilatérale »,

RTD civ. 1907, p. 245

377 En ce sens M.MACHART, « Contrat d’entreprise : le pouvoir de résiliation unilatérale du maître de l’ouvrage (article 1794 du Code civil) », Village-justice.com, mars 2017.

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faire la dépense que je m’étais proposé »378. Cette disposition s’appliquera indifféremment de la qualité du contractant qui peut donc être un professionnel.

292. La recherche de l’équilibre. En outre, si le droit commun de la construction confère des

protections très spécifiques au maître de l’ouvrage, il a également à cœur de ne pas créer de nouveaux déséquilibres. Et dans cet exemple, pour que le maître d’ouvrage n’abuse pas de son pouvoir de rompre le contrat au détriment de l’entrepreneur, il a prévu que ce dernier soit dédommagé.

293. Réside là l’une des différences majeures avec le droit de la consommation qui n’organise pas de contrepartie à destination du professionnel, laissant le soin aux autres branches du droit, éventuellement concernées par le domaine d’activité de ce professionnel, de s’en charger. 294. L’exemple des dispositions de l’article 1794, qui datent de 1806, permet de se rendre compte que l’esprit originel du droit de la construction diffère beaucoup de celui du droit de la consommation. Et malgré son ancienneté et l’avènement ces cinquante dernières années du droit spécial de la construction, qui a pris le relais en ce qui concerne la protection « du bon père de famille qui se loge », ce texte reste d’actualité en ce qu’il organise un rééquilibrage réciproque toujours nécessaire entre les parties. En effet, le contractant en position de force n’est pas nécessairement l’entrepreneur comme le souligne le Professeur H.PERINET-MARQUET, qui constate que désormais « dans la plupart des cas, au moins depuis les années

80, le pouvoir économique appartient davantage au maître d'ouvrage qu'au constructeur. Le déséquilibre est donc, souvent, imposé par le premier au second »379.

295. Dans ce contexte, le droit de la construction n’entend pas protéger qu’une seule catégorie de contractant comme c’est le cas en droit de la consommation. C’est la raison pour laquelle de nombreux textes viennent encadrer diverses relations contractuelles dans lesquelles un des contractants pourrait se trouver fragilisé par rapport à l’autre, l’objectif poursuivi étant de sécuriser, équilibrer et donc pérenniser les relations contractuelles.

296. Mais ce n’est pas parce que le Code de la construction et de l’habitation accorde des droits et protections à certains contractants, que ces derniers se transforment nécessairement en

378 Issu des travaux préparatoires du Code civil, PA.FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code

civil, 1836.

379 Selon l’analyse de H.PERINET-MARQUET, « Les aspects économiques du contrat de construction », RDI 2002, page 1.

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consommateurs. A titre d’exemple, il organise entre autres la protection du maître de l’ouvrage, du sous-traitant380, ou encore de l’entrepreneur381, car le droit de la construction a une vision bilatérale du contrat et envisage deux types de situations de déséquilibre, celle du maître de l’ouvrage et celle de l’entrepreneur, tandis que le droit de la consommation n’envisage la protection qu’il confère que de manière unilatérale.