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PARTIE I - LA PRESENTATION DES CRITERES DE QUALIFICATION CONSUMERISTES EN DROIT DE LA

Paragraphe 2 De la complémentarité des deux disciplines

297. Des îlots de protection consumériste. Le législateur veille à préserver l’équilibre pour

tous dans les contrats de construction. Si l’on pense toujours aux contrats spéciaux de construction lorsque la problématique de la protection du consommateur est abordée, le droit commun de la construction comporte malgré tout des dispositions directement inspirées du droit de la consommation.

A titre d’illustration, les textes relatifs à la protection des professionnels tels que l’entrepreneur (I) et le sous-traitant (II), aménagent paradoxalement en leur sein des îlots protecteurs à destination d’une catégorie de contractant qui s’assimile de près au consommateur.

I- De la protection de l’entrepreneur à la protection du consommateur

298. L’aménagement de la protection de l’entrepreneur. Il apparaît donc que le droit de la

consommation exerce ainsi une certaine influence sur le droit commun de la construction. Pour reprendre les exemples cités, l’article 1799-1 du Code civil issu de la loi382 du 10 juin 1994 impose au maître de l’ouvrage, dans le cadre d’un marché de travaux privé, de garantir le paiement des sommes dues à l’entrepreneur dès lors que le marché dépasse une certaine somme. Cette garantie passe soit par l’octroi d’un crédit spécifique auprès d’un organisme financier, qui

380 Loi n° 75-13334 du 31 décembre 1975 qui organise notamment la protection du sous-traitant vis-à-vis de l’entrepreneur principal et du maître de l’ouvrage professionnel ou pas.

381 Article 1799-1 du Code civil dans lequel le maître de l’ouvrage doit garantir à l’entrepreneur les sommes dues. En l’espèce peu importe la qualité du maître de l’ouvrage.

382 Loi n°94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, JO n°134 du 11 juin 1994 page 8440.

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ne pourra libérer les sommes qu’entre les mains de l’entrepreneur, soit à défaut par le biais d’un cautionnement solidaire bancaire.

299. Cependant, l’alinéa 4 de ce même texte précise que « les dispositions de l’alinéa précédent

ne s’appliquent pas lorsque le maître de l’ouvrage conclut un marché de travaux pour son propre compte et pour la satisfaction de besoin ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec ce marché »383. Il ressort de cet alinéa, rajouté quelques mois après l’entrée en vigueur du texte initial, qu’un maître d’ouvrage qui ne conclut pas un marché en lien avec son activité professionnelle et qui ne souscrit pas de crédit spécifique, n’a pas à fournir la caution solidaire à l’entrepreneur. Il en résulte que le particulier n’est jamais tenu à cette garantie. En outre, il apparaît à la lecture de cet alinéa que celui qui dispose des compétences techniques en immobilier et construction peut aussi bénéficier de cette dispense s’il conclut ce marché pour satisfaire ses besoins personnels, comme le promoteur, ou encore l’architecte qui fait construire sa propre maison.

300. Un amendement controversé. Lors des travaux parlementaires, cet amendement avait été

vivement critiqué et a donné lieu à un véritable bras de fer entre le gouvernement et le parlement.

En supprimant l’application des dispositions relatives au financement des travaux sans recours au crédit lorsque le maître d’ouvrage est un particulier construisant pour lui-même, le gouvernement poursuivait l’objectif de dispenser les particuliers du recours à un cautionnement susceptible, de par son coût, de les dissuader d’entreprendre des travaux. Mais la commission des Lois384 s’y était opposée dès l’origine lors de l’élaboration du texte en 1994. Pour elle, les arguments défendus alors étaient toujours d’actualité quelques mois plus tard, à savoir que l’esprit du texte était de mettre à l’abri l’entrepreneur de l’impécuniosité du maître d’ouvrage, qu’il soit professionnel ou non-professionnel, ainsi seule la situation de l’entrepreneur importe et non pas le caractère professionnel ou pas de l’ouvrage385.

383 Loi n°95-96 du 1er février 1995 article 12 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial, JO 2 février 1995, modifiant loi du 10 juin 1994.

384 Avis n° 58 (1994-1995) de M. Pierre FAUCHON, fait au nom de la commission des lois, déposé le 9 novembre 1994.

385 La commission rajouta qu’on ne saurait opposer à cet argument le fait que les montants en jeu sont différents alors que, certains professionnels font exécuter des travaux modestes quand des particuliers peuvent engager des travaux très onéreux. En outre, cet amendement résultait pour elle d’une mauvaise interprétation du texte, le maître de l’ouvrage n’étant tenu à fournir ces garanties que dans l’hypothèse où il refuse de payer les travaux au fur et à

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En première lecture, l’amendement controversé fut supprimé par le sénat, pour être à nouveau réintroduit et adopté d’une courte majorité en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale. Dans le même temps, le décret d’application de l’article 1799-1 du code civil fut publié et prévoyait l’inapplication pure et simple du texte aux particuliers. Pour la commission, ce décret vidait de sa substance la loi votée par le Parlement, loi qui consistait à protéger l’entrepreneur des impayés, peu importe le caractère professionnel ou pas des travaux386.

En définitive, après d’âpres discussions, c’est la position initiale du Gouvernement qui fut adoptée, le maître d’ouvrages qui contracte un marché de travaux pour ses besoins personnels n’étant pas totalement exclu du champ d’application du texte, seule la caution bancaire ne leur étant pas imposée387.

301. Une influence consumériste combattue. L’adoption de cet amendement reflète bien les

divergences de vues qui existent entre le droit de la construction et le droit de la consommation, et les points de frictions qui peuvent surgir.

302. Clairement, avec cet amendement c’est la protection du consommateur qui est visée, celui qui ne passe des marchés de travaux que pour son propre compte et pour la satisfaction de besoins non professionnels. On pourrait objecter que le maître de l’ouvrage protégé ici peut également être une personne morale et qu’il ne s’agit donc pas à proprement parlé du consommateur tel qu’entendu aujourd’hui. Néanmoins, en 1995, la conception du consommateur était différente de celle d’aujourd’hui et cette approche est parfaitement conforme à la définition donnée par une circulaire du 19 juillet 1988, du consommateur388: « celui qui emploie (les produits) pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes à

sa charge, et non pour les revendre, les transformer ou les utiliser dans le cadre de sa profession » ou « le bénéficiaire (de prestations de service),au titre de son activité non

mesure. La sanction de l’absence de garantie dans ce cas n’existe qu’en cas de refus de payer et réside dans la possibilité pour l’entrepreneur de surseoir à l’exécution des travaux. Elle en a conclu que la solution résidait dans le seul établissement d’un seuil de travaux en deçà duquel les garanties ne sont pas exigées.

386 Selon l’Avis n° 210, tome I (1994-1995) de MM. Lucien LANIER et Pierre FAUCHON, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 janvier 1995

387 Décret n° 99-658 du 30 juillet 1999 pris pour l'application de l'article 1799-1 du code civil et fixant un seuil de

garantie de paiement aux entrepreneurs de travaux, JO n°175 du 31 juillet 1999 page 11459.

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professionnelle, sous la forme de travaux sur les biens corporels lui appartenant ou de services dont sa personne ou ses intérêts sont l'objet »389.

303. Cet amendement a été combattu tant par la commission des Lois que par les parlementaires, mais le pouvoir exécutif imposa sa vision qui était pourtant contraire à l’esprit du texte et plus globalement l’esprit de la matière, le droit de la construction ne poursuivant pas les mêmes objectifs de protection que le droit de la consommation. Car si ce texte protecteur de l’entrepreneur visait à protéger ce dernier des impayés, d’une manière plus générale le législateur entendait, par la même occasion, éviter les faillites en cascades et les pertes d’emplois qui en découlent. Ces dispositions sont considérées, tant par la jurisprudence390, que par la doctrine391 comme relevant d’un « ordre public mixte, de protection et de direction ». 304. La difficile recherche d’équilibre. Une telle protection des particuliers ajoutée au texte

en réduit le champ d’application et va à l’encontre de l’objectif poursuivi initialement. Toutefois, l’intention est louable et il est vrai que les cautions bancaires sont onéreuses et peuvent constituer un frein sérieux pour le non professionnel. Entrave qui peut conduire soit à une réduction proportionnelle de l’enveloppe de travaux prévue, soit au pire, au renoncement des travaux envisagés. Or un tel phénomène, s’il se généralise, est également préjudiciable pour le secteur de l’immobilier.

305. On pourrait rajouter que le risque pour l’entrepreneur est d’autant plus limité que les particuliers, en règle générale, financent leurs travaux par le biais de prêts bancaires, ce qui constitue tout de même une garantie satisfaisante pour l’entrepreneur. Le juste équilibre n’est donc pas facile à atteindre, et peut se percevoir différemment selon que l’opération s’envisage d’un point de vue ou d’un autre.

389 Circulaire du 19 juillet 1988 portant application des dispositions de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix, JO du 4 août 1988, page 9951.

390 CA Paris du 6 février 2008, n°07-15562, JurisData n°2008-356875 : « les dispositions de l'article 1799-1 du

Code civil sont d'ordre public économique mixte, de protection en ce qu'elles visent à protéger l'entrepreneur titulaire d'un marché de travaux privé du risque d'impayé et de direction, en ce qu'elles visent à éviter les “faillites” répétées... ».

391 C.YOUEGO, Louage d’ouvrage et d’industrie – Garantie de paiement de l’entrepreneur, Fasc. Unique, JurisClasseur Civil Code, Article 1799-1, 2012, n°10, ou encore le Professeur H. PERINET-MARQUET, « Les aspects économiques du contrat de construction »: RD imm. 2002, p. 1

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II- Du sous-traitant au consommateur

306. L’aménagement de la protection du traitant. La réglementation relative aux

sous-traitant est de vingt ans antérieure à celle de l’entrepreneur, toutefois de la même manière cette réglementation prévoit une disposition spéciale teintée d’influence consumériste. Cette protection n’a pas été prévue à l’origine et fut ajoutée en 1986, certes, quelques années avant la codification du droit de la consommation, mais au moment où la matière était en plein essor, ainsi que les préoccupations qui s’y rattachent.

307. C’est la loi392 du 31 décembre 1975, codifiée dans le Code civil qui aménage la protection du sous-traitant, intervenant à l’acte de construire en position de vulnérabilité à l’égard de l’entrepreneur principal vis-à-vis du maître de l’ouvrage. Sans rentrer dans les détails de ces dispositions, cette règlementation illustre bien le souci du droit de la construction de protéger l’ensemble de ses contractants vulnérables indépendamment de leur qualité professionnelle. Le droit de la construction raisonnant plutôt en termes de vulnérabilité d’un contractant par rapport à un autre, à l’instar du droit de la distribution qui règlemente, par exemple, les relations fournisseurs distributeurs393.

308. Le consommateur, figure d’exception. Cependant, tout en organisant la protection du

sous-traitant, le législateur a également songé au consommateur non averti possiblement lésé par une réglementation trop contraignante visant, pour l’essentiel, les contractants professionnels.

309. La loi de 1975 organise donc un certain nombre d’obligations à la charge du maître de l’ouvrage, elle oblige notamment ce dernier à réagir dès lors qu’il a connaissance de la présence d’un sous-traitant sur son chantier. A cet effet, il est tenu de mettre en demeure l’entrepreneur principal de lui présenter chaque sous-traitant pour acceptation et agrément de ses conditions de paiement394, à défaut de quoi le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité délictuelle envers le sous-traitant.

392 Loi n° 75-13334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, JO du 3 janvier 1976 page 148.

393 En recherche d’équilibre dans les rapports deforce entre grande distribution et petit fournisseurs par exemple.

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310. Néanmoins, en introduisant ces obligations par la loi395 du 6 janvier 1986, à l’article 14-1396, le législateur a dans le même temps prévu que ces dispositions très protectrices du sous-traitant ne s’appliquent pas au maître d’ouvrage « personne physique construisant un logement

pour l’occuper lui-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoints ».

311. Une influence du droit de la consommation avérée. Certains se sont étonnés de « cette

curieuse incitation de la loi à ne pas respecter la loi »397. Mais la rédaction de cet article ne laisse que peu de place au doute s’agissant d’une influence avérée du droit de la consommation, cet alinéa organise la protection du consommateur qui contracte à des fins personnelles. Ce faisant le législateur a tenu compte de la complexité de l’obligation qui échappe à la connaissance et donc à la compétence du « particulier » qui entreprend des travaux pour son logement.

312. A la différence des dispositions introduites à l’article 1799-1 du code civil, cette exception s’adresse ici à la seule personne physique construisant son logement, le non-professionnel personne morale en est exclu, la portée de cette exception est donc plus limitée.

313. Conclusion. Si l’approche pragmatique de ces deux textes permet de conférer différents

degrés de protection à toute sorte de contractants, en revanche la multiplication de protections éparses, noyées dans un flot de règles plus complexes les unes que les autres, rend le droit peu accessible à ses bénéficiaires, ceux pour qui une compréhension aisée du droit est portant nécessaire.

Ces deux règlementations constituent une très bonne illustration de la difficile cohabitation entre le droit de la construction et le droit de la consommation, qui ont à la fois de bonnes raisons de se rapprocher tout en gardant leurs distances respectives. S’agit-il des manifestations de ce que certains auteurs appellent de leurs vœux, c’est à dire une adaptation de chaque branche du droit à ses problématiques propres ? En l’espèce, le législateur a mis des techniques

395 Loi n°86-13 du 6 janvier 1986 relative à diverses simplifications administratives en matière d'urbanisme et à diverses dispositions concernant le bâtiment, JO du 07 janvier 1986 page 330.

396 Article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, Op. cit.

397 J.HUGOT, Sous-traitance – dans le cadre des contrats de construction d’une maison individuelle, Fasc.209 JurisClasseur Construction – Urbanisme, 2014, n°6.

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consuméristes au service du droit de la construction pour tenter de préserver au mieux ses spécificités tout en aménageant des îlots de protection qui, au demeurant servent également sa cause. En effet, protéger le consommateur signifie en outre protéger le marché, en l’espèce le marché du secteur de la construction.