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Des fonctions régulatrices économiques et sociales différentes

PARTIE I - LA PRESENTATION DES CRITERES DE QUALIFICATION CONSUMERISTES EN DROIT DE LA

Paragraphe 1 - Entre rapprochement et divergence

A. Des fonctions régulatrices économiques et sociales différentes

265. Le droit est un outil de régulation (1), et chaque branche du droit entend réguler un domaine, un secteur en particulier. Le droit de la consommation, comme le droit de la construction sont envisagés comme régulateur social (2) et également comme régulateur économique (3). Toutefois, leurs fonctions régulatrices respectives diffèrent, et incidemment l’esprit qui gouverne chaque matière également.

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Dans l’étude des points de divergence qui existent entre les deux disciplines, l’observation des fonctions régulatrices du droit de la consommation et du droit de la construction nous permettra de mieux appréhender l’origine et la nature des éventuelles influences que peuvent exercer une branche du droit sur l’autre, et quelles sont les conséquences induites par cette influence sur l’esprit social ou économique de l’autre discipline.

1) Le droit comme outil de régulation

266. Pour déterminer le niveau de protection qu’il convient de concéder aux contractants vulnérables, encore faut-il établir quelles sont les causes de cette vulnérabilité pour pouvoir ensuite agir aux sources du problème. S’agissant du droit de la consommation, il apparaît que la vulnérabilité du consommateur trouve son origine dans des causes à la fois intrinsèques et extrinsèques à la relation contractuelle.

267. Ainsi, premier paramètre à prendre en considération, le consommateur ne se comporte pas comme un être rationnel au sens micro-économique du terme, les auteurs considèrent donc qu’il faut tenir compte d’un biais psycho-cognitif dans l’approche du comportement du consommateur, ce dernier pouvant prendre des décisions contraires à son intérêt345. D’autant que lorsqu’il s’agit de défendre le consommateur, il n’est pas toujours aisé de déterminer l’emplacement exact du curseur qu’il convient de positionner, son intérêt pouvant varier selon qu’il s’envisage à court, moyen ou long terme. En effet, il peut tirer avantage d’une situation à court terme qui peut s’avérer préjudiciable pour lui à long terme et inversement346. En outre, deuxième paramètre à considérer, le statut d’infériorité du consommateur à l’égard du

345 A ce propos, voir le rapport du Conseil d’Analyse Economique, X.GABAIS, A.LANDIER, D.THESMAR, P.MOUGIN, J.TIROLE, « La protection du consommateur : rationalité limitée », La documentation française, septembre 2012, 92 pages.

346 En effet, le temps de la satisfaction est variable, et une satisfaction immédiate peut ne plus l’être sur un temps plus long (prenons l’exemple de la dépense impulsive). Dans une autre situation, le consommateur peut être immédiatement mécontent de voir les coûts d’une construction augmenter alors que le prix absorbe le coût d’une garantie qu’il sera pourtant content de pouvoir mobiliser ultérieurement en cas de problème. Ou encore, il sera heureux de bénéficier d’un très bon prix que ne peuvent pratiquer que les plus importants professionnels, affaiblissant de ce fait la concurrence des plus petits. Un phénomène qui, à terme, élimine les concurrents. Il en résulte une diminution de l’offre pour le consommateur, avec l’avènement d’une uniformisation des produits ou services proposés.

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professionnel qui le positionne, de fait, en situation de vulnérabilité tant sur les plans techniques347, qu’économiques et juridiques348.

268. Au cœur de cette problématique se situent les problèmes informationnels, car l’information mise à la disposition des consommateurs n’est ni complète, ni transparente, de plus elle est susceptible de manipulation par les professionnels, qui sont en mesure de stimuler voire créer349 le besoin, et de profiter des faiblesses du consommateur qui manque d’auto discipline, fait preuve d’inattention et d’inaptitude à anticiper les situations.

269. Le droit, outil de régulation économique et sociale. Or, l’auto régulation exercée par les

associations de consommateurs n’est pas suffisante pour répondre aux problématiques spécifiques du consommateur. Le droit commun n’est pas adapté non plus car, comme le rappelle un auteur, telle n’est pas sa vocation350, c’est pourquoi les pouvoirs publics ont été amenés à intervenir et à légiférer dans différents secteurs d’activité.

270. L’idée d’une protection raisonnée. Toutefois la politique de protection mise en œuvre

doit être raisonnée au regard de différents enjeux économiques et sociaux, à défaut de quoi les répercussions sur l’économie seraient trop lourdes. En effet, si les intérêts du consommateur et du professionnel peuvent converger (un consommateur satisfait consommera à nouveau), en revanche leurs intérêts peuvent aussi diverger à court, moyen ou même long termes. Ainsi, certaines obligations mises à la charge des professionnels peuvent constituer une entrave au développement de son activité en terme de coûts, et incidemment sur sa position concurrentielle, créant parfois un véritable droit d’entrée sur le marché351 qui lèse les plus « petits » d’entre eux. A terme, c’est le secteur tout entier qui peut être impacté par la lourdeur des réglementations et, in fine, c’est le consommateur qui en pâtira car, un secteur qui souffre engendre des faillites en cascade, donc moins de concurrence, et incidemment l’offre de choix

347 Du fait de la complexification des biens et services consécutive à l’innovation et aux progrès technologiques.

348 A titre d’illustration, l’accès à l’information juridique est complexe pour le profane en cas de litige. De plus, le consommateur se retrouve rapidement désarmé face à la généralisation des contrats d’adhésion qui lui sont soumis tant lors de la fourniture de biens que de services.

349 Grâce aux techniques du démarchage à domicile et de la publicité par exemple.

350 A ce propos, voir l’analyse détaillée de G.PAISANT, qui démontre que le droit commun n’est pas adapté à répondre aux besoins des consommateurs car sa portée générale, l’esprit qui l’anime et les protections qu’il offre ne sont pas nécessairement compatibles avec les problématiques spécifiques du consommateur. G.PAISANT,

Défense et illustration du droit de la consommation, LexisNexis, 2015, n°32.

351 A titre d’exemple, l’obligation faite aux constructeurs d’assurer leur activité et de fournir diverses garanties qui s’avèrent très coûteuses et qui peuvent constituer un droit d’entrée sur le marché.

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diminue tandis que les coûts augmentent pour compenser les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’activité.

271. Le sort du consommateur est donc intrinsèquement lié à celui du professionnel, la recherche du juste équilibre entre les intérêts des uns et des autres, sur court, moyen et long termes, est donc essentielle. L’économiste Adam SMITH disait à ce sujet que la consommation « est l’unique but de toute production ; et on ne devrait s’occuper de l’intérêt du producteur

que dans la mesure où il peut être nécessaire pour favoriser celui du consommateur »352. 272. L’idée d’une protection adaptée. D’autant plus que le consommateur n’est pas un

incapable et tout l’enjeu se situe dans l’arbitrage à opérer entre protection du consommateur et préservation du droit au choix en toute responsabilité. Ainsi, la protection qu’il convient de concéder doit être adaptée à la cible et à la pratique qu’elle entend encadrer, il faut donc tenir compte du niveau de complexité du produit ou du service, ainsi que des spécificités du domaine dans lequel s’appliquera la protection concédée. En effet, « les lois sont faites pour les hommes,

et non les hommes pour les lois ; elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites… »353. Plus de deux siècles se sont écoulées

sans que cette célèbre formule de PORTALIS ne perde de son actualité.

273. Dès lors que l’on admet que le droit est un régulateur, que la régulation est nécessaire, mais qu’elle doit être adaptée, on peut s’interroger sur sa place exacte en tant que régulateur social et économique.

2) Les dimensions sociales du droit de la consommation et du droit de la construction

274. Le droit de la consommation, régulateur social. Pour le sociologue Emile DURKHEIM,

« Le droit est la contrainte sociale spécialement organisée ». Certains auteurs se questionnent sur la place du droit et s’il ne s’agirait pas d’une science sociale, notamment le droit de la consommation qui aurait une véritable dimension sociale et même collective. C’est en tout cas

352 A.SMITH, « Enquêtes sur la nature et les causes de la richesse des nations », Livre IV 1776, traduction par. P. Taieb, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, page 753.

353 J.PORTALIS, Discours préliminaires, in P.A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Tome 1, 1827, page 466

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la thèse soutenue par le Professeur G.PAISANT qui qualifie la matière de « droit social du marché »354, tendance qui se dessine depuis le début des années 1970.

275. Chacune des deux disciplines qui nous occupent ont leur fonction de régulateur social, et lorsque les contrats spéciaux de construction protègent le droit de se loger en protégeant les accédants à la propriété, le droit de la consommation quant à lui a été «pensé comme un droit animé par un esprit social, qui s’inscrit dans un rapport de forces et se traduit par l’impératif de protection du contractant faible qui lui est assigné » 355.

276. Pour l’auteur D.MAZEAUD, « les règles sociales du droit de la consommation ont pour

raison d’être la dépendance du contractant plus que son seul statut de consommateur, ce qui justifie sans doute que les règles qui incarnent cet esprit se propagent au-delà de son cadre strict, à l’ensemble des contrats d’adhésion et de sujétion »356. C’est d’ailleurs dans sa dimension sociale que le droit de la consommation rayonne le plus hors de son champ d’application dans d’autres disciplines du droit.

277. Le droit de la construction, régulateur social. En revanche, parce que le logement

correspond à un besoin vital de première nécessité, protéger l’accédant à la propriété d’un logement, « c’est d’abord une obligation sociale »357, le droit de se loger étant un droit fondamental358 et un objectif à valeur constitutionnelle359.

278. Le droit spécial de la construction entend donc réguler le secteur du logement en ce qu’il oppose une partie en situation de vulnérabilité du fait de son besoin de logement, à une partie forte qui est le professionnel de la construction, promoteur, vendeur ou entrepreneur. Mais à cette fin, le législateur a choisi de bâtir l’essentiel de la matière en considération de l’objet du contrat plutôt que de ses contractants360. Cet objet étant l’immeuble envisagé à titre de

354 Gilles PAISANT, « Défense et illustration du droit de la consommation », Editions LexisNexis, 2015, page 54 n°38.

355 D.MAZEAUD, « Le Droit de la consommation est-il un droit social ou économique », in Cycle de conférence de la Cour de cassation, Revue Lamy de la concurrence n°9, Octobre /Décembre 2006, page 136.

356 Ibidem.

357 En ce sens E. GAVIN-MILLAN, Essai d’une théorie générale des contrats spéciaux de la promotion immobilière, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 2003, n°7.

358 Ibidem.

359 Décision n° 94-359 Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995, JO du 21 janvier 1995, p.1166, recueil p. 176.

360 En ce sens, M.POUMAREDE, « Les contrats de constructions et le droit de la consommation », RDI n°1 Janvier 2017, page 17.

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« logement » pour le droit spécial et en tant que « propriété » pour le droit commun de la construction.

279. En effet, le droit commun de la construction, pour sa part, avec notamment les dispositions relatives au marché à forfait361, ou celles portant sur la possibilité pour le maître de l’ouvrage de rompre unilatéralement le marché de travaux362, ou encore celles relative au régime de responsabilité légale des constructeurs363, protège essentiellement le maître de l’ouvrage en tant que propriétaire de l’immeuble, sans tenir compte ni de la qualité des contractants, ni de l’usage de l’immeuble.

280. Ainsi si dans sa fonction sociale, le droit spécial de la construction est plus proche du droit de la consommation, ce qui explique notamment les nombreuses similitudes d’approche entre les deux ensembles, en revanche le droit commun de la construction s’en éloigne davantage. Toutefois, l’analyse ne serait pas complète s’il ne fallait envisager chacune de ces deux branches sous le prisme de leur fonction régulatrice économique.

3) Les dimensions économiques du droit de la consommation et du droit de la construction

281. Le droit de la consommation, régulateur économique. Lorsque sur le plan

micro-économique le droit de la consommation protège le consommateur partie faible et intrinsèquement incompétente, en situation défavorable dans la négociation contractuelle, en revanche sur le plan macro-économique, celui-ci entend avoir « une fonction de police

économique »364. Il en résulte que protéger le consommateur c’est protéger le marché en

361 Article 1793 du Code civil : « Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait

d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ».

362 Voir infra

363 Loi n°78-12 du 04 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, JO du 05 janvier 1978 page 188.

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organisant les relations entre producteur et acheteur final365. Il s’agit là de la vocation économique du droit de la consommation à laquelle la Cour de justice de l’Union Européenne est très attachée. C’est donc un droit à portée générale qui, en protégeant le consommateur, « organise la protection d'un acteur économique dont il faut s'assurer qu'il joue pleinement son

rôle », afin de stimuler le jeu de la concurrence, et incidemment la croissance366.

282. Le droit de la construction, régulateur économique. Le droit de la construction quant à

lui, sur le plan économique, entend globalement réguler le secteur de la construction. Plus précisément, avec le droit des contrats spéciaux, il encadre le marché de la construction de logement. Dans cette optique, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse ces cinquante dernières années de légiférer pour garantir un certain niveau de qualité des constructions et de l’habitabilité des logements367. Car si les premiers textes en droit de la construction visait à relancer la construction et résorber la crise du logement, née des conséquences de la seconde guerre mondiale, le droit de la construction poursuit aujourd’hui l’objectif de maintenir l’activité immobilière dans un secteur parvenu à maturité368.

283. En effet, il ne faut pas perdre de vue que le droit de la construction vient organiser le secteur du bâtiment, qui est un secteur économique aux lourds enjeux sociétaux : premier employeur du pays, il tient également une part considérable dans la création de richesse nationale369. Il est donc primordial de veiller à assurer sa stabilité car il reste malgré tout un secteur d’activité fragile qui peut très rapidement être déstabilisé par une politique de protection trop importante ou maladroite, qui ralentirait son essor et ferait fuir les capitaux de ce secteur370.

365 M. LUBY, « Trop ne vaut rien ! (ou quand la CJCE ébranle le régime juridique des clauses abusives », Contrats

Concurrence Consommation n°1, Janvier 2004, chron.1.

366 En ce sens J.ROHEFELD, « Reconduction des contrats – Crédits », RTD civ. 2005, 478.

367 J.L BERGEL, « Bilan et perspectives des Livres I et II du code de la construction et de l'habitation », RDI 2004, page 501.

368 E. GAVIN-MILLAN, Essai d’une théorie générale des contrats spéciaux de la promotion immobilière, Op.

Cit.

369 Le secteur de la construction constitue un des piliers de l'économie française. Il emploie environ 1,5 million de personnes et dégage une valeur ajoutée d'environ 280 milliards d'euros chaque année, représente 126 milliards d'euros HT de travaux, soit 10 % du PIB (source : « immobilier le secteur du bâtiment reste un des moteurs les

plus puissants de l’économie », les échos du 22 juin 2016 et « Le bâtiment en chiffres 2016 », FFB (Fédération

Française du Bâtiment) juin 2017.

370 Selon l’analyse d’Elodie GAVIN-MILLAN, Essai d’une théorie générale des contrats spéciaux de la

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284. En définitive, la protection du consommateur ou de l’accédant est synonyme de réglementations restrictives de liberté, tandis que la protection du marché et plus précisément celui de l’immobilier nécessite des textes plus libéraux371. Ainsi, pour chacune de ces deux branches du droit, les objectifs sociaux et économiques semblent intrinsèquement contradictoires : opposition entre la protection de l’accédant et celle du secteur de la construction d’un côté et, opposition entre la protection du consommateur et celle du marché économique de l’autre. Il n’en reste pas moins qu’il faut pouvoir trouver le juste équilibre au sein même de chaque branche du droit, et c’est toute la difficulté pour le législateur ou le juge qui doivent garder à l’esprit de ne pas dénaturer l’esprit de chacune d’elle.

285. En effet, en droit de la construction, ces deux impératifs, de protection de l’accédant et du maintien du marché économique immobilier, qui apparaissent à la première lecture comme étant contraires sont en réalité complémentaires. Car c’est parce que les accédants sont protégés qu’ils « peuvent avoir confiance dans les contrats qu’ils concluent, ce qui est capital pour la

sauvegarde du marché immobilier »372.

286. Il en résulte que le droit de la consommation ne se confond pas avec le droit de la construction en ce que le premier à une portée beaucoup plus générale que l’autre, qu’il a été pensé à l’origine pour des actes portant sur des biens consomptibles, ce que n’est pas l’immeuble, et c’est la raison pour laquelle certains rejettent son acception comme objet du contrat de consommation373. Sans adopter une approche d’exclusion aussi catégorique, il est apparaît donc que l’immeuble n’est pas un objet de consommation comme les autres. Or leurs similitudes d’approche sont telles sur certains points, que l’amalgame est tentant, mais c’est une source de points de frictions à différents niveaux car là où le droit spécial de la construction c’est bâti autour d’un objet : le logement, le droit de la consommation s’est bâti sur la qualité des parties.

371 Ibidem.

372 Elodie GAVIN-MILLAN, Essai d’une théorie générale des contrats spéciaux de la promotion immobilière,

Op. Cit, n°523.

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