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CONCLUSION CHAPITRE 1

Paragraphe 2- L’acquéreur « non-professionnel »

L’esprit protecteur à l’origine de cette notion est largement inspiré du droit de la consommation (I), toutefois, la portée qui lui a été donnée par le droit de la construction en fait une notion distincte de celle définie par le Code de la consommation (II).

I- Une même notion, un esprit commun

389. La protection de l’acquéreur. Le non professionnel en droit de la construction n’est visé

que dans une seule réglementation, très utilisée dans la pratique, et qui fait l’objet d’un très fréquent contentieux quant à ses bénéficiaires, il s’agit du délai de rétractation de l’acquéreur non-professionnel d’un bien à usage d’habitation prévu à l’article L.271-1 du Code de la construction et de l’habitation.

390. Des deux réglementations dont il est question, celle qui est la plus imprégnée de l’esprit consumériste est celle relative à ce texte, en ce qu’il réserve la protection qu’il confère en considération de la qualité d’une partie, ici le non-professionnel.

391. Ce texte trouve son origine dans l’article 20 de la loi472 du 31 décembre 1989 qui instaura au bénéfice du non-professionnel, un délai de rétractation de sept jours avant que l’acte ne devienne définitif, pour toute acquisition ou construction d’un immeuble neuf d’habitation. Pendant ce délai, l’acquéreur non professionnel peut se rétracter de son engagement. Le champ d’application de ce texte a par la suite été étendu à la vente d’immeubles anciens par la loi dite « SRU »473 du 13 décembre 2000.

392. La mise en œuvre d’une technique consumériste. Le mécanisme du délai de rétractation

et de réflexion est une des techniques phares du droit de la consommation, introduite en droit

472 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 dite « loi Neiertz, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, JO n°1 du 2 janvier 1990 page 18.

473 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, JO n°289 du 14 décembre 2000, p.19777, texte 2.

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français en 1972 avec la réglementation sur le démarchage et la vente à domicile474. Or, comme a pu le constater un auteur, « l’extension aux contrats de construction de cette technique

consumériste destinée à protéger le consommateur contre tout engagement irréfléchi démontre une fois encore que la réglementation des contrats de construction est perméable aux techniques du droit de la consommation »475. Cette influence consumériste est telle que certains auteurs sont même allés jusqu’à considérer que ce texte aurait dû être directement codifié dans le Code de la consommation et non pas dans celui de la construction et de l’habitation.

II- Une même notion, deux champs d’application

Malgré l’influence avérée que le droit de la consommation a exercé au moment de l’élaboration de ce texte, il garde cependant ses spécificités propres au droit de la construction (A), et la lecture purement consumériste que peut en avoir la jurisprudence est source de difficulté (B).

A. La protection de l’acquéreur d’un logement

393. Une protection indifférente au rapport de force. Toutefois, si l’esprit consumériste à

l’origine de cette règle est indéniable, la protection conférée ici au non-professionnel, par le droit de la construction, ne s’inscrit pas dans un rapport de force entre contractants, ce n’est pas la protection du faible contre le fort qui est en jeu mais la protection de l’acquéreur contre lui-même. De telle manière que lors des débats parlementaires qui ont eu lieu avant le vote de la loi SRU, il avait été indiqué au Sénat que « c'est contre sa propre fragilité que nous voulons

protéger l'acquéreur... Notre objectif est de protéger l'acquéreur non pas contre tel professionnel mais contre lui-même, tout simplement, parce qu'un certain nombre

474 Loi n°72-1137 du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile, JO du 23 décembre 1972 page 13348.

475 M.POUMAREDE, « Les contrats de constructions et le droit de la consommation », RDI n°1 Janvier 2017, page 8.

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d'engagements de ce type, qui sont excessivement importants sont quelquefois pris un peu rapidement »476.

394. Assurément le droit de la consommation est à l’origine de ce mécanisme permettant à une partie de revenir sur son consentement passé un certain délai mais, selon l’approche consumériste, cette faculté oppose nécessairement un professionnel à un profane, donc deux rapports de force différents. En revanche, si le droit de la construction propose également ce mécanisme, il confère cette protection à un contractant alors même que la qualité de son cocontractant est indifférente. Il en résulte que le droit de la construction permet à l’acquéreur immobilier de bénéficier d’une protection vis-à-vis d’un vendeur qui peut lui-même être un particulier ou un professionnel, personne physique ou morale, compétent ou pas. Il s’agit là d’une différence majeure d’approche.

395. En outre, la protection conférée ne s’arrête pas à la qualité de l’acquéreur. Certes, c’est le « non-professionnel » qui est protégé, mais il ne l’est que lorsqu’il acquiert un bien à usage d’habitation, il ne l’est pas lorsqu’il acquiert un bien à usage professionnel ou commercial, alors que l’usage est indifférent au droit de la consommation. En effet, l’acquisition d’un bien à usage commercial ou professionnel n’implique pas nécessairement la qualité de commerçant ou de professionnel, cette personne peut avoir seulement investi dans ce type de bien sans pour autant en faire son activité professionnelle. Elle pourra par exemple le mettre en location pour en tirer un revenu complémentaire. Le critère du profit économique n’étant pas incompatible avec la qualité de consommateur, la restriction du champ d’application à l’usage d’habitation du bien n’est donc pas une condition consumériste, mais un objectif du droit de la construction, dont la vocation est notamment de protéger le logement.

396. Le « non-professionnel » du droit de la construction. Il en ressort que peu importe la

qualité du vendeur, professionnel ou particulier, dès lors que l’acquéreur est non-professionnel, il est protégé. Néanmoins, la question se pose maintenant de savoir ce que recouvre exactement la notion de « non-professionnel », et s’il s’agit du même « non-professionnel » que celui du droit de la consommation.

397. Déterminer qui est le « non-professionnel » tel qu’envisagé en droit de la construction, c’est déterminer quel est le champ d’application de cette règlementation. Et la question a son importance, car dans un souci de cohérence, la portée de ce texte se doit d’être conforme à

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l’esprit de la matière. Il faut alors se méfier de la tentation du raccourci un peu facile qui voudrait assimiler la notion à celle retenue en droit de la consommation.

398. Pour la doctrine, le « non-professionnel » de l’article L271-1du CCH a été défini comme « celui qui conclut un contrat extérieur à son activité professionnelle, sans rapport direct entre

les deux »477. Cette position a été confirmée par la Cour de cassation, qui dans un arrêt478 en date du 24 octobre 2012, appliqua explicitement le critère du « rapport direct » de l’acte avec l’activité professionnelle, pour déterminer si un acquéreur non-professionnel peut ou pas bénéficier du délai de rétractation prévu par le Code de la construction. Cette solution ne tient pas compte du niveau de compétence de l’acquéreur. Se faisant, et malgré les nombreuses critiques dont il faisait l’objet479, elle a fait application du même critère que celui retenu en droit de la consommation pour départager le consommateur et le non-professionnel du professionnel. Nous verrons plus loin dans notre étude que ce choix suscita une vive controverse doctrinale essentiellement en raison de la position de la Cour sur le caractère « professionnel » de certaines sociétés civiles immobilières480.

B. L’immixtion consumériste dans la protection du logement

399. L’assimilation de la notion. Parallèlement, la Cour de cassation applique le même

raisonnement pour déterminer si un contrat de construction entre ou pas dans le champ d’application du droit de la consommation481. Il semble donc qu’elle assimile le « professionnel » de l’article L.271-1 du Code de la construction et de l’habitation au « non-professionnel » du Code de la consommation.

477 N.DAMAS, « sécurisation et rétractation », AJDI 2012, page 809 ou F.COHET-CORDEY, observations sous Cass.3ème civ. du 30 janvier 2008, n° 06-21145, AJDI 2008, page 963.

478 Cass. 3ème civ. du 24 octobre 2012, Bull. civ. III, n°153, n° 11-18774, puis Cass. 3ème civ. du 16 septembre 2014, n°13-20002.

479 Voir supra

480 Nous aborderons ce point ultérieurement, dans la mesure où la discussion porte sur d’éventuelles distinctions à opérer selon la qualité des associés d’une SCI, voir infra

481 Pour des illustrations récentes : en matière de crédit immobilier Cass. 1ère Civ du 14 octobre 2015 n° 14-24915, sur la prescription des actions des professionnels contre les consommateurs Cass. 1ère Civ du 14 octobre 2015, n° 14-24185.

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400. L’influence prétorienne. L’influence que peut exercer une branche du droit sur l’autre

peut se manifester en amont, lorsque le législateur élabore un texte, mais elle peut également s’exercer en aval, en fonction de la grille de lecture que le juge adoptera pour interpréter un texte. En l’espèce, s’agissant du délai de rétractation du Code de la construction, la jurisprudence semble avoir fusionné les deux notions de « non-professionnel ».

401. Si le raisonnement de la Cour peut se défendre au regard de l’influence que le droit de la consommation a exercé sur ce texte, il apparaît désormais à la lecture des nouvelles définitions des sujets du droit de la consommation, que la jurisprudence pourrait être amenée à reconsidérer sa position. En effet, l’article L.271-1 du CCH ne visant que les non-professionnels, il n’est pas envisageable de transposer à la lettre la définition donnée par l’article liminaire du Code de la consommation qui ne concerne que les personnes morales. Cela reviendrait à exclure de ce fait tous les consommateurs du bénéfice de cette disposition. Une telle approche serait aberrante et en toute hypothèse non nécessaire, l’article liminaire ne visant que les sujets du Code de la consommation482.

402. Une nouvelle grille de lecture. La Cour sera donc très certainement amenée à préciser à

nouveau le champ d’application de cette réglementation. Reste désormais à attendre de voir si elle alignera sa position sur les nouvelles définitions des sujets du contrat de consommation pour lesquels le critère « du rapport direct » a été définitivement abandonné au profit de la « finalité professionnelle » de l’acte. Ou si elle fera le choix de se détacher de l’approche du droit de la consommation en prônant un nouveau critère en conformité avec l’esprit de la matière.

403. Dans la première hypothèse, la mise en œuvre d’une grille de lecture commune entre le droit de la consommation et le droit de la construction permettrait de conférer un gain de lisibilité pour les cocontractants. Et même si, comme le relève un auteur, il n’est pas certain que la solution de la Cour évolue à la lecture du nouveau critère de la « finalité professionnelle » de l’acte, l’adoption de ce critère, pour l’application de ce texte du droit de la construction, favoriserait « une unification souhaitable des solutions qui permettrait de briser les frontières

artificielles séparant les réglementations afin de favoriser leur rapprochement »483.

482 Article liminaire du Code de la consommation : « Pour l’application du présent code, on entend par : […] ».

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404. Dans la seconde hypothèse, le juge pourrait privilégier l’autonomie du droit de la construction à l’égard du droit de la consommation et déterminer un critère spécifique permettant de distinguer le non-professionnel, méritant une protection, du professionnel du contrat de construction. Si une telle approche a le mérite de conférer une certaine souplesse quant à la possibilité de s’adapter aux impératifs de la matière, elle ne manquerait pas d’être une source de confusion pour les contractants qui, face à une même dénomination, se trouveraient confrontés à des situations juridiques différentes.

405. Une réécriture de l’article L.271-1 du CCH. Mais quelle que soit l’hypothèse retenue,

dans un souci de cohérence et de meilleure compréhension pour tous, il serait opportun que le législateur propose une nouvelle rédaction de l’article L.271-1 du CCH pour remplacer le terme de « non-professionnel » qui ne vise aujourd’hui que les personnes morales en droit de la consommation, et qui ne peut être désormais que source de confusion pour tous484.