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Paragraphe 2 – La pénétration du droit de la consommation lors de l’exécution du contrat de construction

A. L’action collective

221. L’introduction des actions collectives dans la gestion du contentieux, permet de répondre à la problématique de la coordination des plaignants lors d’un litige concernant un certain nombre de consommateurs qui subissent un préjudice similaire ou quasi-similaire, ayant une origine commune. La logique de l’action collective n’est pas celle de l’action individuelle. En effet, une communauté d’intérêt, même lorsqu’elle est évidente pour tous ses membres, ne suffit pas à provoquer l’action commune. Cette théorie294 a été précisément développée par l’auteur M.OLSON, dont la thèse est la suivante : un groupe organisé d’individus rationnels ayant tous un intérêt commun, étant tous conscients de cet intérêt, et pouvant chacun contribuer à la réalisation de cet intérêt, dans la plupart des cas, n’agira pourtant pas dans le sens de cet intérêt commun. L’auteur évoque ici le paradoxe du « passager clandestin » : un acteur rationnel qui a

294 M.OLSON, The Logic of Collective Action, Public Goods and The Theory of Goods, These, Harvard University Press, 1966.

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intérêt à profiter d’une action collective sans y participer. En résumé, l’approche de cet auteur réside dans le fait que, plus un groupe est important, moins il sait défendre ses intérêts car chaque individu membre du groupe compte sur les autres pour le faire, de sorte que rien ne se passe, personne n’agit pour faire valoir ses intérêts295.

222. L’applicabilité des actions collectives en droit immobilier. D’application directe dans

tous les secteurs d’activité, dès lors que les conditions d’application de l’action de groupe sont réunies, rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse être mobilisée en matière immobilière et plus précisément dans le cadre d’un contentieux relevant du droit de la construction.

Il existe deux possibilités de recours collectifs, les deux étant uniquement ouvertes aux consommateurs : l’action en représentation conjointe (1) et l’action de groupe (2).

1) L’action de groupe

223. Conditions d’application. C’est la loi296 du 17 mars 2014 qui a introduit en France l’action de groupe en matière de consommation à l’article L.623-1 du Code de la consommation. Pour quelle puisse être engagée, il faut une pluralité de consommateurs (deux personnes lésées suffisent à engager une procédure), dans une situation similaire (condition qui s’apprécie au regard du manquement reproché au professionnel), dont les préjudices individuels patrimoniaux résultent d’un dommage matériel (si les dommages sont corporels, moraux ou environnementaux il n’est pas possible d’engager une action de groupe).

Enfin, il faut que ces préjudices aient pour cause commune un manquement d’un ou des professionnels à des obligations légales ou contractuelles, à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services, ou encore que ces préjudices résultent d’une pratique anti concurrentielle. Le fait générateur est donc un manquement du professionnel à ses obligations légales ou contractuelles. Néanmoins, seules les associations de consommateurs habilitées pour

295 Ibidem.

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agir à ce titre pourront initier une action de groupe, ce qui réduit considérablement l’effectivité de l’action de groupe telle qu’introduite en droit interne.

224. Les actions de groupe en droit immobilier. Depuis son instauration, plusieurs actions de

groupe ont été initiées en matière immobilière principalement en matière de gestion locative297, mais également en matière de crédit immobilier298. S’il est vrai que le nombre d’actions initiées depuis 2014 est relativement faible, il appartient de ne pas en tirer de conclusion trop hâtive dans la mesure où cette loi vise également à dissuader les professionnels des pratiques illicites. Or, ce phénomène ne peut se quantifier dans la mesure où il résulte d’une omission. Il ne faut donc pas se baser sur l’unique critère du nombre d’actions engagées pour évaluer l’efficacité de cette loi.

2) L’action en représentation conjointe

Il existe deux fondements différents pour l’action en représentation conjointe, un issu du Code de la consommation (a) et un second en droit civil (b).

a- L’action en représentation conjointe du code de la consommation

225. Pour être la plus récente, l’action de groupe instaurée par la loi Hamon n’est pas la première ni l’unique action qui puisse être menée au nom d’un collectif. Ainsi, un second mécanisme existe depuis 1992, il s’agit de l’action en représentation conjointe299. Cette action en réparation a pour objet de mettre en œuvre la responsabilité contractuelle ou délictuelle d’un unique

297 UFC-Que Choisir c/ Foncia ; Confédération Nationale du logement (CNL) c/ Immobilière 3F ; Syndicat du logement et de la consommation et Confédération syndicale des familles c/ PARIS HABITAT- OPH. Selon un rapport de l’INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION, « L’action de groupe « consommation » : 9 actions introduites en deux ans », 29/12/2016 – Droit/justice. Source : http://www.conso.net/content/laction-de-groupe-consommation-9-actions-introduites-en-deux-ans.

298 Consommation, Logement et Cadre de vie (CLCV) c/ BNP Paribas Personal Finance (BNP PPF), Ibidem.

299 L’action en représentation conjointe dont le principe est codifié aux articles L.622-1 à L.622-4 du Code de la consommation, a été instaurée par la loi n°92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs, JO n°170017 du 21 janvier 1992 page 968.

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professionnel qui aurait occasionné auprès de consommateurs, des préjudices dont l’origine est commune. Ces consommateurs, au nombre de deux minimum, devront mandater une association agrée pour agir en défense de leur intérêts individuels.Ce dispositif repose donc sur l’existence d’un mandat, donné à une association, par ceux qu’elle est amenée à représenter. Autrement dit, l’association agit en justice pour les victimes qui bénéficieront elles-mêmes de l’éventuelle indemnisation obtenue.

226. Cette action, très difficile à mettre en œuvre a été très peu utilisée depuis son instauration, moins d’une dizaine d’actions en représentation conjointe ont été exercées depuis 1992. Rien de surprenant au regard du mécanisme proposé. Ainsi, ce processus repose sur un mandat d’agir explicite donné à une association de consommateurs, alors que la publicité de cette action est interdite aussi bien à la télévision, qu’à la radio300, de sorte que l’action demeure ignorée de la plupart des victimes. En 1991, lors de l’élaboration de ce texte de loi, les travaux parlementaires incitait à la plus grande prudence, estimant que devait « être prohibée la pratique qui

consisterait pour une association de consommateurs à mettre en cause de manière ciblée une entreprise, notamment par la voie d'une campagne de presse appelant des consommateurs à lui confier un mandat pour les représenter en justice »301. En effet, sans réel recul sur l’initiative des associations, les parlementaires craignaient à l’époque une multiplication des contentieux initiés par les associations des consommateurs, surchargeant les tribunaux et constituant un facteur de très grande insécurité des contrats.

227. C’est dans ces conditions que l’initiative de l’action fut réservée aux seules associations de consommateurs agréées, qui disposent donc, de fait, d’un véritable monopole de l’action collective, tout en limitant leur action par l’interdiction de la publicité. Ce qui apparaît comme parfaitement absurde compte tenu de l’objet de cette action qui est de rassembler le plus grand nombre de victimes éparses. D’autant qu’il s’est avéré à l’usage que les associations de consommateurs n’ont ni les moyens ni l’expertise pour mener à bien ces actions collectives, qu’il s’agisse de l’action de groupe comme de l’action en représentation conjointe.

300 Alinéa 1er de l’article L.622-2 du Code de la consommation : « le mandat mentionné à l’article L622-1 ne peut

être sollicité par voie d’appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d’affichage, de tract, ou de lettre personnalisés »

301 Travaux parlementaires, Avis n°328 du Sénat présenté par le Sénateur Monsieur Lucien LANIER, sur le projet de loi, adopté par l’assemblée nationale renforçant la protection des consommateurs, annexé au procès-verbal de la séance du 15 mai 1991.

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228. Selon une partie de la doctrine, on peut encore y voir une certaine frilosité de la part du législateur français, probablement motivé par la peur des dérives de la class action américaine qui ont conduit à une inflation des contentieux et à des faillites d’entreprises, et qui est devenue, en outre, un relais de croissance majeur pour certains cabinets d’avocats. Tant la première loi sur la représentation conjointe, que celle sur l’action de groupe, témoignent d’une défiance manifeste vis-à-vis de la profession d’avocat, l’échec de la loi de 1992 n’ayant pas suscité de changement de cap sur cette question.

b- L’action conjointe ou le co-mandat d’agir en droit civil

229. Toutefois, le mécanisme de l’action conjointe connaît un regain d’attractivité depuis l’évolution récente de la loi qui permet aux avocats de faire de la sollicitation personnalisée, couplée au développement des technologies numériques.

230. Cette action conjointe, aussi dénommée co-mandat d’agir, permet à des victimes d’un même fait dommageable de se regrouper, chacune d’entre elles donne un mandat d’assistance à un avocat qui va les représenter. Il s’agit d’un mécanisme qui repose sur les dispositions du code civil relatives au mandat de droit commun et sur celles de la loi302 31 décembre 1971 portant sur le mandant ad litem de l’avocat. Cette procédure offre aux victimes présentant un intérêt économique commun, la possibilité de mutualiser les frais d’avocat, et de peser davantage face aux professionnels lors d’éventuelles négociations.

231. Nouvelle opportunité d’action. Cette action ne relevant pas du code de la consommation,

elle n’est pas réservée aux consommateurs, la qualité des parties étant indifférente dès lors que les victimes subissent un préjudice commun. Dans un communiqué du 12 novembre 2015, l’Ordre des avocats de Paris lançait un site internet dédié aux actions conjointes, ouvert à tous les justiciables de France. Ce site leur propose de rejoindre des actions de groupe pilotées par des avocats.

302 Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, JORF du 5 janvier 1972 page 131.

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Lancée par le Bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier SUR, cette initiative permet selon lui de constituer « une première réponse de notre profession à « l’uberisation » du droit. Avec cet

outil, nous donnons aux avocats une nouvelle chance grâce au numérique et proposons aux justiciables un nouveau mode d’accès au droit 303». Lors du lancement de cette plateforme internet, sur les trois actions proposées, deux concernaient la matière immobilière et plus précisément des opérations de défiscalisation. Une première action vise « les personnes ayant

investi dans des résidences de tourisme soumises à des dispositifs de défiscalisation et dont le gestionnaire a significativement et brutalement réduit les loyers ou ne paye plus les loyers ou se trouve placé en procédure collective »304. Une seconde action vise la « réparation des

préjudices causés par des dols et manquements au devoir de conseil dans des opérations de défiscalisation immobilière sous les lois Girardin, Scellier, de Robien »305.

232. En matière de construction, une action conjointe est actuellement menée contre le groupe

AST et son garant CGI BAT, portant sur les travaux non chiffrés dans le cadre de construction de maisons individuelles. En effet, l'article L.231-2 du CCH dispose que le constructeur doit prévoir tous les travaux nécessaires à l'utilisation de la maison qu'il propose de construire. Il doit donc chiffrer exactement, parmi ces prestations, également celles que le maître de l'ouvrage se réserve.

L’action collective, outil de régulation « ex post », constitue en ce sens une parfaite illustration de la dimension sociale et même collective qu’endosse aujourd’hui le droit de la consommation. L’objectif poursuivi étant de résoudre une difficulté sociale par l’outil du droit.