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I.8. Quelques questions éducatives actuelles au Cameroun

7. DISCOURS DES POTIERS SUR L’ENSEIGNEMENT ET L’APPRENTISSAGE DE LA POTERIE

7.3. Objectifs et origine des pratiques de transmission

L’enseignement de la poterie semble répondre à trois objectifs majeurs :

- faciliter la vie des personnes par la fabrication d’instruments et d’outils qui protègent le corps des calamités physiques, ce en intégrant les opportunités et les contraintes du milieu local ;

- former l’enfant par l’éducation et le travail ; - asseoir les bases de son intégration sociale.

C’est une obligation morale pour chaque parent, enseignant et éducateur d’imprimer une ligne de conduite à ses enfants. Le terme parent doit être compris au sens large du terme et inclut toutes les personnes qui assurent ce rôle et à qui la communauté reconnaît la qualité d’éducateur pour un apprenant précis. Cette ligne de conduite peut être liée à une culture familiale, scolaire ou institutionnelle spécialisée. Au-delà de l’obligation morale, il s’agit d’une obligation officielle que les parents ont d’assurer et d’assumer le bon développement de leurs enfants en contribuant à réunir les conditions nécessaires.

Pour Marcus à Nsei,

« C’est pour pérenniser notre culture et la faire comprendre que nous enseignons ces arts à nos enfants. Par exemple, l’enfant doit savoir comment se fabriquent les poteries. Mais il doit aussi connaître l’origine de cet art et les raisons de son existence. Si le travail de la poterie est un moyen de subsistance aujourd’hui, je dirais pour ma part un moyen de vie, n’oublions pas qu’il s’agit au départ d’objets d’usage courant, et d’objets pour les cérémonies traditionnelles.

Ils portent des significations » Marcus, Nsei.

Autrement dit, les activités artisanales sont porteuses d’informations éducatives, historiques, religieuses, techniques, etc. d’une communauté donnée.

L’enfant est considéré sur deux plans : un plan collectif où il est complètement à la charge de ses parents et des éducateurs et un plan individuel où il va lui-même participer à sa prise en charge. D’où la nécessité de lui offrir très vite les moyens de son développement. L’activité de poterie ne permet pas seulement de transmettre l’identité d’une culture, elle est aussi ancrée dans le système économique des familles. Chaque enfant, à un certain âge, peut contribuer à rehausser le niveau

« Chaque enfant doit être capable, au sortir de l’école primaire – (qui correspond au stade final de l’apprentissage de la poterie en famille) – de fabriquer lui-même ses poteries et de pouvoir les vendre au marché, à raison de 3000 francs cfa la semaine. De sorte que, s’il veut continuer ses études secondaires, qu’il soit capable de prendre en charge une partie de sa scolarité. Et surtout, il peut avoir ses propres revenus chaque année et plus tard. S’il ne peut pas continuer ses études secondaires, il devra s’installer à son propre compte comme potier. C’est l’entrée dans ce métier qui lui assure son indépendance» (Cf. entretien avec Marcus, Nsei).

La pratique de la poterie ne jouit pas d’une bonne réputation à Tanzé. Pour les habitants du village, l’activité ne rapporte rien. Par rapport à cette vision, « ( …) Les femmes amènent les pots au marché quand elles n’ont pas de produits vivriers. Les pots sont utilisés beaucoup plus pour les cérémonies rituelles. C’est ce qui fait que l’activité se meurt.

Moi j’ai de la chance de recevoir les commandes et c’est ça qui me rapporte un peu d’argent.

Dans le village, les gens trouvent ridicule le travail de la poterie parce que ça ne rapporte rien.

En fait, si le marché des pots de chez nous pouvait aussi s’agrandir comme celui des autres villes, je crois que ça irait mieux». (Cf. entretiens avec Mankeu, Tanzé).

Concernant la transmission de la poterie, Mankeu a une attitude ambiguë : Pour elle, aucun de ses enfants ne doit s’investir dans cette activité. Elle préfère qu’ils « se forment à tout autre activité rémunératrice sauf celle de la poterie ». De plus, une personne qui s’intéresse à cette activité est traitée de stupide. D’ailleurs Mathilde à Tanzé se moquait de moi quand je lui ai demandé de m’enseigner la fabrication du pot. Son sentiment était la surprise :

« mais pourquoi tu t’intéresses à apprendre un travail qui ne rapporte rien et auquel personne n’accorde grande importance? Je fabrique les pots pour me faire quelques sous quand je n’ai pas de produits agricoles à vendre au marché». Mathilde, Tanze

D’autre part la réussite de Mankeu lui donne l’espoir que les choses peuvent changer. Mankeu est l’une des rares potières qui pense pourtant que la pratique de la poterie peut s’améliorer si tout le monde décide d’y participer.

« Je pense qu’il faut ouvrir l’activité à tout le monde. Il y a un jeune garçon qui a appris la poterie auprès de sa grand-mère dans ce village et qui est devenu un très grand potier. Il fabriquait des masques et plusieurs autres objets. (..). Il a quitté le village parce que les gens trouvaient cela méprisant. Il s’est installé d’abord au bord d’un grand axe routier pour vendre ses produits aux touristes. Ca lui rapportait vraiment de l’argent. Ensuite, il est parti vivre à Foumban. Là-bas, les hommes travaillent avec de l’argile. L’interdiction de l’activité aux hommes n’a pas de sens. C’est la tradition qui a voulu séparer le travail des femmes de celui des hommes. Les hommes font les travaux des champs et fabriquent le mobilier domestique.

La poterie servant le plus souvent à fabriquer les ustensiles de cuisine, c’est peut-être la

raison pour laquelle on l’a réservée aux femmes. Ce n’est pas que l’activité soit interdite aux hommes, mais ils refusent de s’y intéresser et ça se passe comme ça depuis mon enfance» (Cf.

entretiens avec Mankeu).

Mais, les vraies raisons de l’image négative de la poterie sont ailleurs. Elles seraient liées à la mauvaise qualité de l’argile. Mankeu m’a raconté sa participation à des missions archéologiques conduites dans le village. Ces recherches ont découvert que la bonne argile se trouve à des profondeurs de 10 mètres sous la terre (Delneuf, Essomba & Froment, 1998). Il faut bien que les potières la creusent. Cela demande de l’investissement en termes d’énergie. Ce que plusieurs potières pourtant sensibilisées n’ont pas réussi à faire en dehors de quelques-unes comme Mankeu.

L’idée positive de l’activité commence par la bonne qualité de l’argile. Mankeu a exposé ses objets lors des comices agro-pastoraux au cours desquels il lui a été décerné des prix de meilleure potière. Mais, ses efforts de réussite sont interprétés par ses collègues comme relevant du mysticisme et non des retombées du travail bien fait.

Interrogés sur le métier d’avenir, Olivier, un jeune de 15 ans à Tanzé dévoile avec fierté sa pensée. A la question de savoir pourquoi il n’apprend pas l’activité de poterie, il répond:

« c’est le travail des femmes. Est-ce que j’ai perdu la tête? Quand tu fais les champs, la chasse ou la pêche, ça te rapporte gros. En plus, moi je veux faire autre chose. Jouer au foot, être une star, c’est moi. Et puis, il y a l’école. Je fais les études. L’argile, on essaye mais ça reste au niveau du jeu. C’est le bambou que les hommes travaillent ici ». (Cf. entretien avec Olivier).

De toutes façons tout le monde est fasciné par l’école. Les activités artistiques locales sont en pertes de vitesse. Et pourtant, l’école n’apporte pas le succès attendu. Très peu de jeunes des villages réussissent à atteindre la classe de terminale et à trouver une formation de leur rêve ou un métier adapté à leur formation. Pour les potiers de Marom et Nsei, du fait que l’activité jouit d’une bonne image, les enfants ont le choix de suivre une formation autre que celle de leurs parents. Dans ce cas, le métier familial c’est-à-dire la poterie n’est qu’un second choix, une alternative ou un complément au premier choix professionnel.

« J’aimerais que mon premier fils soit conducteur de gros engin ou commerçant d’objets d’art » dit Nji Oumarou, le mari de la potière Hadidja à Marom. Marcus à Nsei, pense que ses enfants « peuvent faire un autre métier bien rémunéré ou alors, ils peuvent être commerçants d’objets d’art ».

Du côté des apprenantes, Ariane, 13 ans, Tanzé dit : « Je souhaite devenir une maîtresse comme ma tante». Les deux apprenantes interrogées à Nsei et à Marom souhaitent devenir respectivement médecin et enseignante. Pour Hadidjatou à Marom, l’école primaire qui est tout à côté de sa maison ne dispose pas suffisamment d’enseignants. Les recrutements d’enseignants se raréfient. Yvette à Nsei est fascinée par le travail à l’hôpital qui consiste à sauver des vies. L’école et l’hôpital sont deux institutions très proches des populations. Les apprenants ont l’occasion d’y aller et de vivre leurs réalités. Cela expliquerait peut-être les raisons de leur choix. Les apprenants bien que participant aux activités quotidiennes, aspirent tous à des apprentissages et à des métiers formels.

Jean-Jacques de L’IFA rêve de faire une carrière d’enseignement ou d’intégrer des entreprises ou de s’installer à son propre compte. « J’aimerais ouvrir mon propre atelier.

Pour les quelques contrats déjà signés, je pense que je ne peux pas toujours exécuter les ordres venant d’un patron parce j’ai mes idées de créativité et je n’aime pas subir la pression des patrons. De cette façon, je dispose du temps à consacrer à mes propres productions» (Cf.

entretiens avec Jean-Jacques).

En effet, les apprentissages formels jouissent de nombreux avantages qui ne sont pas reconnus aux potiers en famille notamment la compétitivité sur le marché du travail. Par exemple la formation à l’IFA assure une large gamme d’opportunités fournies par le diplôme et l’expérience créative. Reste donc à décrocher un poste de travail !

Pour Roger (IFA) par exemple, l’objectif commun à toutes ces formations est la créativité.

« Nous cultivons la créativité. Il s’agit de partir du quotidien c’est-à-dire d’un objet, d’une forme, d’une couleur, d’une matière pour faire des adaptations à la réalité. Par exemple, nous sommes partis de cette ligne de couverts faite d’un assemblage de formes géométriques (pyramides et cônes) et nous avons créé de nouvelles formes géométriques mais avec une particularité humaine cette fois-ci. (…). Les motifs (…) que nous utilisons sont tirés des documents écrits par des archéologues et ethnologues. (…). Chacun de nous s’inspire aussi de sa culture ou d’autres cultures. Parfois, nous utilisons ces motifs en prenant en compte leur signification. D’autres fois, nous en faisons juste des ornements, détachés du contexte ».

(Entretiens avec Roger, IFA)

La formation englobe non seulement la qualification, par l’acquisition des compétences, elle assure aussi une identité sociale. Cependant, l’intégration à la vie sociale et professionnelle, objectif final poursuivi par les deux institutions, n’est pas aisée. Le manque d’entreprises et d’emploi fait que la formation dans l’une ou

l’autre institutions n’induit pas la productivité. La formation à l’école offrant davantage de sécurité morale, celle de respecter la norme publique.