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I.8. Quelques questions éducatives actuelles au Cameroun

7. DISCOURS DES POTIERS SUR L’ENSEIGNEMENT ET L’APPRENTISSAGE DE LA POTERIE

7.4. Comment les potiers conçoivent-ils l’apprenant et son développement ?

7.4.2. Le niveau 1 ou niveau débutant

Dans les villages, ce niveau comprend les apprenants dont l’âge varie entre 6 et 10 ans. Cette période coïncide avec celle de la scolarité. Les apprenants vont à l’école primaire qui est obligatoire et s’occupe de l’apprentissage de la poterie en dehors des heures de l’école. Vers 7 ans, l’apprenant est capable de rendre des services. Il participe effectivement aux activités familiales et aide les parents dans le transport et le traitement de l’argile, il recherche du bois pour la cuisson, et participe à d’autres menus services liés à l’activité, notamment la conservation des vases (mettre les pots au soleil, et les remettre à l’abri). Officiellement, il entre dans une période d’apprentissage systématique. Il cumule les opportunités de s’exercer au façonnage. Les interactions entre le potier et le jeune apprenant prennent de l’ampleur. Wallert-Pêtre (1999) décrit l’apprenant à cette période comme faisant de l’observation passive car il ne peut pas fabriquer et finir un objet. Je pense que toute observation est active dans la mesure où l’apprenant agit. Les tâches qu’il réalise en dedans ou en dehors de l’activité contribuent à renforcer sa participation à l’activité. Je me souviens qu’à Tanzé, la potière Mankeu avait envoyé un garçon de 10 ans environ pour tailler une feuille de banane qui servirait à arrondir les lèvres du pot. Plusieurs fois, il a ramené une feuille mal coupée. Après trois tentatives d’échec, c’est Jean (apprenant du niveau 2) qui est allé couper la feuille. Il devait respecter deux choses : la partie à tailler de la feuille devait être la limite dans le sens de la nervure centrale. Le sens était à prendre de la nervure centrale de la feuille vers le sommet puis vers une nervure secondaire. Or le jeune qui échouait donnait un coup de couteau de façon horizontale sur la feuille. Si on les utilisait pour le lissage, elles laisseraient des stries sur la paroi des lèvres. Si on respecte le sens de la coupe, alors, on n’observe pas de stries. Cet apprentissage, qui n’est pas du façonnage, est un élément essentiel dans la fabrication du pot, que l’apprenant doit connaître, bien avant de savoir façonner les pots. Il doit savoir le sens dans lequel on coupe, on tient et on utilise la feuille pour arrondir les lèvres.

Pour Marcus à Nsei, les enfants commencent par apprendre à fabriquer l’assiette (ku to). Elle est définie comme « a round bowl used for serving or warming of the stew which accompanies the maize cake which forms the staple of nearly every day meal in the Grassfields. (…) this bowl, one example of which was recently owned by each man and woman, can be made very simply or with a great deal of iconographic elaboration » (Argenti,

1999, p. 5). Aujourd’hui, l’assiette en argile n’est plus tellement utilisée pour se servir à manger mais, sa représentation continue à se transmettre. Marcus pense que cette transmission tient du caractère très réduit de l’objet qui implique une facilité au niveau du façonnage. J’estime que les choses ne sont pas si simples. Si les apprenants savent initier la base d’une assiette, ils ne savent modeler ni les lèvres, ni l’ouverture, encore moins les annexes tels que l’anse, le bec, les trépieds et les décorations qui font de l’assiette un objet entier. L’encadrement du potier joue alors un rôle très important ici. Le potier guide l’enfant non seulement pour fabriquer l’assiette, mais aussi pour organiser ses journées à cheval entre les activités scolaires et les charges familiales qui lui sont confiées.

La grand-mère Namsétou retouche le pot des apprenants du niveau 1 à Marom

Le potier ou la potière attribue des tâches à l’apprenant. Par exemple, à Marom, Nadidja suggère l’ordre d’exécution des tâches à ses enfants, lorsqu’elle les distribue. Elle propose de transporter de l’eau, les noix de palme et le bois, avant de se mettre au travail de la poterie. Ces activités sont plus faciles d’exécution avant l’apparition du soleil. La fabrication des vases étant une activité plus reposante, il faut d’abord accomplir les tâches lourdes. Par ailleurs, les emplois du temps des apprenants varient en fonction des jours de classe, des jours de vacances, des veilles de marchés, des jours de cérémonies et des jours simples. Par exemple, la fabrication des pots est intense une semaine avant le jour du marché. Les apprenants privilégient quelquefois ces jours de travail intense au détriment de la fréquentation scolaire. Ils aident alors les parents à finir, à cuire, à vernir et à transporter au marché, les pots.

On note une grande différence entre l’assiette fabriquée par les apprenantes de Nsei et celle fabriquée par les apprenantes de Marom ou Tanzé. L’assiette à Nsei

Roger de l’IFA monte la base du pot de Joseph, apprenant du niveau 1, qui n’a pas encore les compétences requises pour élever tout seul les parois.

comporte toutes ses parties annexes et la décoration (couvercle, anse, boutons, etc.) alors qu’à Tanzé et Marom, elle est marquée par sa forme simplifiée. Les parties annexes sont rarement représentées.

A l’IFA, le niveau 1 réunit la troisième et la quatrième année de formation. Les âges des élèves varient entre 13 et 16 ans. Les programmes scolaires concernent l’initiation à la céramique et notamment à la technique de colombin. Les élèves reproduisent des objets et des décorations, à partir de modèles. Pour Roger, cette étape débute par la fabrication d’un pot avec col et à fond rond car

« La maîtrise de la fabrication d’un pot (pour ses formes arrondies) est la base des apprentissages pour la fabrication de toutes les autres formes d’objets. Elle exige le respect de la symétrie, le rapport des proportions et le rapport de masse. Toutes les notions de base y sont appliquées. Les fissures par exemple, l’explosion, le claquage, la forme, la marge de retrait, la récupération sont, en fait, des ratés à maîtriser pour tout façonnage » (Cf. entretien avec Roger, IFA).

Mais, l’utilisation de la tournette n’est pas observée au niveau 1 chez les élèves. En effet, la tournette permet de calculer et de représenter les dimensions sur un espace déjà millimétré. Elle permet aussi de contrôler les centrations, de se mouvoir autour de l’objet, ou de faire pivoter l’objet sans difficulté. L’utilisation de la tournette est plus facile quand l’apprenant a acquis des compétences sur la technique de fabrication du pot. Les apprenants du niveau 1 travaillent sur des planches. Dès le niveau 2, l’utilisation de la tournette est obligatoire.

Façonnage sur une planche, Niveau 1 IFA façonnage sur une tournette, Niveau 2, IFA Assiette fabriquée à Nsei au niveau 1