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I.7. La place des trois formes d’éducation dans le système éducatif camerounais

I.7.1. L’éducation formelle

Tout comme Poizat (2004), j’attire l’attention sur la complexité de l’utilisation des expressions formelle, informelle et non formelle. La description de ces trois formes d’éducation propose une terminologie ambiguë qui mélange les systèmes d’éducation, d’apprentissage et les secteurs de l’économie. Ces trois domaines sont différents même si les termes formel, informel et non formel ont leur essence unique. Pour ce qui est de l’éducation, le secteur formel correspond au secteur scolaire depuis l’école maternelle jusqu’à l’université. L’éducation non formelle concerne le secteur éducatif organisé, avec une volonté d’enseigner, mais, en dehors du cadre scolaire. L’éducation informelle concernerait tout ce qui de près ou de loin pourrait nous éduquer sans que nous ayons nous même la conscience d’éduquer ou d’être éduqués.

Concernant le secteur économique, l’économie formelle qui a un espace bien légiféré est opposé aux activités connues comme les petits métiers, liés à l’économie informelle et qui ont leur propre système de formation et de fonctionnement.

L’éducation formelle au Cameroun est organisée sur le plan national et relève du ressort de l’Etat qui définit le cadre législatif, les programmes scolaires et assure la formation des enseignants. Cette forme d’enseignement se renforce ces dernières années avec le paradigme de la gratuité, de la démocratie, de l’égalité et de la globalité d’une part, mais aussi de la laïcité, du bilinguisme et de l’obligation d’autre part (Cf. Loi d’Orientation de l’Education).

J’ai déjà signalé le paradoxe du concept de la gratuité de l’éducation. Il mérite des expérimentations pour être appliqué. La démission massive de l’Etat au profit de la société civile, des associations des parents d’élèves lorsqu’il s’agit de la gestion financière des écoles est un problème sérieux. C’est aussi le cas de la gestion des manuels scolaires dont les coûts ne sont pas à la portée des parents d’élèves.

Un autre point intéressant à souligner est l’opposition de l’enseignement général à l’enseignement technique et professionnel. Par exemple, les concours d’entrée en première année de l’enseignement général sont réservés aux candidats de moins de 14 ans alors que ceux d’entrée dans l’enseignement technique et professionnel sont réservés aux candidats de plus de 14 ans. Cette logique voulait accorder plus d’avantages aux candidats plus âgés en leur donnant la possibilité de suivre un cycle professionnel court qui leur permettrait d’être opérationnels après leur diplôme, alors que les moins âgés pouvaient suivre un cycle long. Malheureusement l’enseignement général et technique délivre des diplômes équivalents et gardent la même longueur des cycles. Il n’y a pas de passerelles qui permettent aux candidats de choisir et modifier leur formation en fonction de leurs besoins ou de leurs compétences. De plus, on reproche au premier de sélectionner tous les « candidats brillants » qui, malgré leur intelligence ne peuvent pas être utilisés sur le marché du travail parce que les compétences que ce type d’enseignement fournit sont de l’ordre de l’abstrait et de garder les élèves à l’école pendant toute la journée et ce, six jours sur sept, sans leur donner la possibilité de bénéficier des formations extra scolaires.

Parallèlement, l’enseignement technique qui se présente comme une alternative, demande des investissements énormes en termes d’appareillage et d’équipement.

L’Etat n’est pas capable d’en assumer les coûts. La conséquence est l’inadaptation des formations au marché du travail et la remise en cause des enseignements proposés. L’échec du système éducatif formel à fournir une éducation de base pour tous (Coombs, 1968), la crise de l’école camerounaise (Des Lierres & Afa'a, 2002;

Des Lierres & Mvesso, 2005) et la crise de l’autorité de l’Etat (De Sardan, 2002), participent de cette remise en question.

Plusieurs autres institutions animent l’activité d’éducation en se donnant des objectifs et des moyens parfois différents de ceux de l’Etat. La concurrence des écoles confessionnelles (catholiques, protestantes et islamiques pour la plupart) apportent une donne nouvelle tenant soit de la religion, soit des pratiques d’animation sociale. La promotion des formations par les ONG et les associations, le regroupement et la protection des corps de métiers par les syndicats, les ateliers d’apprentissage, les métiers familiaux, l’autoformation, sont autant d’autres forces éducatives non négligeables qui prônent d’autres formes d’enseignement et qui ouvrent le registre des pratiques informelles et non formelles. Certains pensent que ce registre, bien que faisant partie d'un savoir de société, ne fait généralement pas l'objet d'enseignement, d'interrogations ou d'études spécifiques. Pourtant,

« Dans nos sociétés, une bonne part des connaissances que possèdent les citoyens est acquise par d'autre voie que l'enseignement classique (l'école et l'université) [...]

Ces savoirs sont qualifiés de "non formels", ceci pour les opposer aux savoirs formels codés et dispensés par l'enseignement officiel. De tels savoirs sont l'objet d'évaluations diverses: quelquefois appréciés positivement, ils sont le plus souvent déconsidérés parce que non systématiques et non sanctionnés. Pourtant c'est en grande partie en s'appuyant sur ces savoirs que l'individu contemporain réfléchit son existence et s'oriente dans la vie» (Thomas, 2001, p.6).

1.7.2. L’éducation non formelle

Elle peut avoir lieu aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements d'enseignement et s'adresser à des personnes de tous âges. Elle peut, selon les contextes nationaux, comprendre des programmes éducatifs destinés à alphabétiser des adultes, à dispenser l'éducation de base à des enfants non scolarisés, ou à transmettre des connaissances utiles, des compétences professionnelles et une culture générale. Les programmes d'éducation non formelle ne se conforment pas nécessairement au système de «l'échelle»; ils peuvent être de durées diverses et être ou ne pas être sanctionnés par un certificat des acquis de l'apprentissage effectué.

Ils concernent un public spécialisé, avec des objectifs et des contenus directement liés aux besoins des apprenants et référencés à leur environnement physique et socioculturel. L’éducation non formelle est orientée vers la résolution de problème avec des méthodes souples et une complexification aussi bien du champ pédagogique (formation professionnelle, religieuse, socio éducative, etc.), que des lieux d’apprentissage (quartier, maison, atelier, etc.). Elle concerne un public déscolarisé ou non scolarisé. Une panoplie de noms sont utilisés pour la nommer (éducation populaire, éducation de masse, éducation globale, formation alternative,

éducation de base, etc.). Cette complexité de l’éducation formelle la fait osciller entre les formes les plus formelles et les plus informelles de l’éducation.

1.7.3. L’éducation informelle

Encore appelée apprentissage informel ou apprentissage par expérience est l’ensemble des connaissances acquises autrement que par des études formelles dans un établissement d'enseignement. Elle désigne les apprentissages sur le tas, qui font recours parfois aux produits culturels de communication. Désalmand (1983) distingue l'éducation traditionnelle en Afrique et particulièrement en Côte d'Ivoire de l'enseignement occidental classique, qui se réfère à l'école. Ainsi, l'éducation traditionnelle, par opposition à la scolarisation se donne partout, tout le temps, par tous et concerne tout le monde. Elle est étroitement liée au milieu, axée sur les besoins de la société, et intégrée à la production. Elle a un caractère global.

Elle insiste sur l'esprit communautaire, le maintien de l'équilibre, le sacré voire le magique; les rapports pédagogiques sont personnels, les parents prenant une part importante dans l'éducation des enfants. Les connaissances sont transmises oralement, dans la langue locale, et les modèles sont élaborés par le groupe concerné. Cette définition de l’éducation traditionnelle se réfère beaucoup au développement de l’individu en tant que personne et à la réalisation des travaux artisanaux que Gorbàn, Busso, & Battitini (2004) caractérisent comme étant des activités permanentes, liées en grande partie à des traditions familiales et qui valorisent des savoirs par le fait de les avoir hérité. Souvent, les familles qui les pratiquent en font une évaluation positive. L’apprentissage des activités artisanales en famille tels que la poterie, en font bien partie, surtout lorsque les acteurs n’ont pas conscience d’être dans des situations d’apprentissage.

La plupart du temps, ces apprentissages sont liés à la production des biens économiques familiaux et c’est dans ce sens que les économistes se sont intéressés à la définition des secteurs économiques selon leur forme. Les activités informelles sont diverses. Touré (1985) oppose l’artisanat traditionnel aux petits métiers urbains dont certains sont spontanés et saisonniers. La poterie s’inscrit dans le cadre du premier groupe. La différence entre le formel et l’informel dépasse les cadres économique, éducatif et national. Coquery-Vidrovitch (1991) pense que le concept de l’informel, pour vaste qu’il soit, doit être mis en relation avec un domaine d’activité pour qu’il puisse faire l’objet d’une étude sérieuse.

« L’informel touche à tous les domaines : il n’est pas seulement économique ni seulement social, mais aussi politique. Depuis plusieurs siècles, sous des formes diverses, il fait partie des structures sociales dans leur ensemble. Dans les sociétés aujourd’hui post-industrielles, aussi bien que développées, il prend des dimensions et une place telles que le concept devient trop ample pour constituer à lui tout seul un outil opératoire. (…). Un signe en est la recherche à la fois économique portant sur le thème « informel et travail » ; travail formel, travail informel, interrelations entre les deux : les marges deviennent si indécises qu’à l’évidence, la réflexion bute, en ce cas concret sur une impasse. On en trouve toutes les formes, et toutes les articulations dans toutes les sociétés et dans tous les secteurs d’activité : dans les ghettos américains, dans les sous-sols illégaux des quartiers dissimulés de Paris ou de Berlin, aussi bien que dans les villes et les campagnes les plus industrieuses ou les plus misérables des pays du tiers monde. Ce n’est pas de travail formel ou informel qu’il s’agit ; c’est, d’une façon générale, des formes et des conditions de l’emploi, du non emploi et du sous-emploi dans les sociétés apparemment les plus diverses. En fait ces sociétés ne sont plus opposables en secteurs « formellement » distincts. Ce sont des sociétés organiques qui, toutes, des plus développées aux plus arriérées, sont capables de générer en leur sein et les unes par rapport aux autres, toutes les facettes du phénomène » (Coquery-Vidrovitch, 1991, pp. 17-18).

Scématiquement, on peut dire que les réseaux formels sont toujours traversés par des réseaux informels.

Dans un article intitulé « L’informel internationalisé ou la subversion de la territorialité », Constantin (1996) lie le concept de l’informel à la notion de frontière pour montrer que l’informel est un phénomène mondial qui fonctionne par des réseaux bien organisés. C’est la frontière, en tant que concept bien réglementé qui crée des réseaux informels. Car ces derniers ont

« la possibilité d'intervenir dans plusieurs domaines différents (aide économique, matrimoniale, spirituelle) et, selon les besoins, de changer de configuration (fonctionner au niveau micro-local ou à l'échelle planétaire) rendant en effet précaire tout effort pour les enfermer dans des catégorisations rigides. En fait le formel comme l’informel sont constitués en réseaux plurifonctionnels simultanés ou successifs. La simultanéité signifie qu'au même instant, au travers d'une même action, le fonctionnement du réseau permet aux différents intervenants de trouver des satisfactions de nature différente (affectives, religieuses, matérielles, physiques) et d'intensité différente (besoin vital pour celui confronté à la famine ou à des persécutions, besoin marginal pour celui qui, accordant un secours, et/ou conforte la fidélité d'un disciple, accroît son prestige). Mais la plurifonctionnalité

peut aussi s'exprimer de manière successive, au travers de l'aptitude du réseau à se reconvertir, ce qui ramène un autre trait essentiel associé à l'informalité, la souplesse». (Constantin, 1996, p. 5)

Cette description suggère les formes et la variation que peut prendre l’éducation à un moment donné.

Constantin souligne que

« l'efficacité des systèmes informels peut dépendre aussi de leur aptitude à être présent aux lieux stratégiques et mieux encore, de les contrôler et d'agir ainsi aussi bien à la base, sur le terrain, auprès des masses (le boutiquier indien ou chinois disponible à toute heure et pour tout service, le mouride sur les marchés forains, le changeur de rue...) qu'au sommet, dans les salons des palais présidentiels (le grand banquier, qui peut être chinois, indien, libanais, arabe... ou luxembourgeois, le patron de la multinationale familiale, le calife ou le cardinal, le notable catalan ou arabo-est africain...). Autrement dit, l'efficacité du réseau repose sur la diversité de ses membres, notamment du point de vue de leurs aptitudes à maîtriser les technologies les plus diverses de l'échange, de la communication, de la prise de décision et de l'action, soit en bricolant des micro-solutions locales (organiser le départ de main d'oeuvre, prêter de l'argent), soit en conduisant des actions de lobbying (auprès du gouverneur de province, du ministre, du chef d'état major, de la Banque mondiale), soit en assimilant les formes les plus élaborées de la micro-informatique et des circuits électroniques.

Chacun à son niveau joue un rôle crucial dans le système, car plus le réseau est capable d'évoluer sur différents registres, sur différents espaces (y compris si nécessaire sur le registre institutionnel), meilleures sont ses chances d'exploiter à son profit les ressources de son environnement » (Constantin, 1996, p. 6)

Cette fluidité renforce aussi ses chances d'échapper aux tentatives de prise de contrôle par l'appareil politico-administratif d'État. L'informel transnational est, par ce caractère, plus qu'un système de défense efficace pour les groupes sociaux en situation de précarité parce qu'ils sont minoritaires ou marginaux au sein des systèmes étatiques. En définitive, l’informel existe au même titre que le formel et est doté de ses propres réalités. Chacun de nous se trouve confronté à l’informel à tout moment de son existence. Dans le présent travail, il s’agit justement d’interroger la pertinence de cette discussion formel - informel à l’aide des résultats.