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I.8. Quelques questions éducatives actuelles au Cameroun

7. DISCOURS DES POTIERS SUR L’ENSEIGNEMENT ET L’APPRENTISSAGE DE LA POTERIE

7.2. La définition du bon pot et par extension du bon potier

En famille comme à l’école, les potiers interrogés semblent donner la même définition du bon pot. Cependant, on note quelques différences dans les éléments marquants que les potiers accordent à certaines valeurs.

A l’IFA, le bon pot est évalué sur trois moments : le façonnage, la décoration et la cuisson.

« Sur le plan technique, il y a l’élévation des parois, les finitions, c’est-à-dire la texture de la surface, l’épaisseur et le poids. Par exemple, en portant un pot, on peut savoir si son poids est proportionnel à son volume. Puis, pendant la décoration, on peut évaluer l’exécution, la transposition et l’harmonie des motifs avec la forme du pot. Enfin pendant la cuisson, le bon pot est sans fissure, il respecte les dimensions et la forme exigées, il y a symétrie du poids et équilibre des deux côtés » (Cf. entretiens avec Roger).

Selon Roger, la maîtrise des techniques de façonnage et de décoration, le respect des mesures et l’aspect esthétique sont des éléments qui permettent d’évaluer le bon pot. Dans les quatre sites, les techniques de travail sont différentes. Elles varient aussi en fonction de l’objet fabriqué. Pour la fabrication du pot, c’est la technique de Colombin (c’est un boudin d’argile qui sert à former la paroi) qui est utilisés à l’IFA et la technique d’étirement dans les villages. Mais, la maîtrise des techniques demande les mêmes aptitudes, par exemple, la maîtrise de la procédure et la coordination des mouvements du corps sont très importantes pour réussir le pot car elle permet d’éviter des erreurs telles que les fissures, le claquage et les risques d’affaissement.

Concernant la mesure, sa valeur réside dans sa précision à l’IFA. La précision s’obtient avec des instruments de mesure. Par exemple, la balance est utilisée pour mesurer la quantité d’argile. La bonne utilisation des instruments de mesure évite les disproportions. En fonction de la grandeur du pot, une quantité d’argile est prévue. A l’IFA comme au village, on soupèse le pot pour savoir si les masses sont équilibrées. Il s’agit là d’une astuce d’expert. Un autre exemple d’usage de la mesure c’est la tournette. C’est une plaque tournante milimétrée qui permet de mesurer et de tracer la grandeur de la base par exemple. L’apprenant n’a pas de difficulté à calculer et représenter le diamètre au dessus. Enfin, l’apprenant ne peut passer un niveau de difficulté de la tâche sans vérifier la mesure, tandis qu’au village, la nature et la fonction permettent d’en déduire la mesure, une mesure plutôt de l’ordre des estimations sensorielles. « Il faut encore l’agrandir si c’est une marmite pour préparer du riz. », disait Mankeu à Ariane, apprenante du niveau 3. Les apprenants utilisent le corps et les sens pour estimer la mesure. Les apprenants très jeunes fabriquent les objets miniatures et donc la quantité d’argile qui leur est donnée - elle tient dans la paume de la main lorsqu’ils forment la boule - suffit pour former la base du pot.

Pour ce qui est de l’esthétique du pot, elle est à la fois objective et subjective.

L’esthétique objective se juge par les finitions et la qualité de la décoration. Une fois

symétrie. Les motifs de décoration épousent la forme du pot. Ils sont habillés et équilibrés, c’est-à-dire que des éléments lient les motifs à la limite de l’espace de décoration et que les algorithmes sont justes. On parle ainsi de transposition. Les traits sont affinés et la paroi bien lisse. Le respect de la mesure est de rigueur.

Dans les familles les potiers évaluent l’esthétique en évoquant aussi l’harmonie.

«L’harmonie entre la nature du pot, sa fonction et la symbolique des motifs de décoration ». (Cf.

entretiens avec Marcus, Nsei).

L’évaluation de l’esthétique subjective est liée à la touche paronnelle du fabriquant et au sentiment qu’éprouve que le pot inspire à l’évaluateur. Si à l’école la décoration a un aspect purement esthétique, en famille la beauté d’un pot est rattachée au rang de celui qui l’utilise, à sa fonction et aux motifs qui symbolisent ce rang. La relation qui lie le potier à celui à qui le pot est destiné est aussi un élément qui joue sur la transposition des motifs. Enfin, la concurrence du marché incite aujourd’hui au développement d’autres formes esthétiques du pot. La transposition des motifs de décoration constitue un bon thème pour l’étude de la créativité chez les potiers. Il est très facile d’observer comment, pour le même motif de décoration, les transpositions peuvent varier, laissant jouer l’imagination et la touche personnelles du potier. Lorsqu’on observe les décorations sur des pots et autres objets, on se rend compte que plusieurs objets portent les motifs. Le serpent à deux têtes symbolise la ruse dans la tradition bamoun (Jeffreys, 1945) ; le lion symbolise la puissance dans plusieurs traditions. Ce sont des motifs attribués aux guerriers et aux personnes influentes. Mais, la façon de les transposer reste à l’entière imagination de son créateur et porte sa marque.

Pour évaluer la bonne cuisson du pot, à Marom, Nsei et Tanzé, la couleur du pot et le son qu’il émet lorsqu’on frappe dessus renseignent les potiers sur le degré de cuisson. Le pot est bien cuit lorsqu’il devient noir dans le feu vif. Cette couleur noire disparaît quand le pot se refroidit. Il redevient rouge. Si le pot présente des parties rouges dans le feu vif, il n’est pas cuit. De plus, quand on frappe sur un pot cuit, il émet un son aigu. Le son est grave quand le pot n’est pas cuit. Ce système est surtout valable lorsque la cuisson est faite à l’air libre. Lorsque la cuisson est faite dans des fours en brique de terre, les potiers utilisent un fer qu’ils enfoncent dans un trou du four. Au contact avec le feu, ce fer prend une couleur rouge vif qui renseigne sur l’intensité du feu et le temps de cuisson. Le fer peut être retiré à tout moment et permet aux potiers d’augmenter ou de diminuer l’intensité du feu au fur et à mesure que les pots cuisent. Toujours est-il que lorsque les pots sortent du

four, ils frappent dessus pour identifier le son aigu, signe de bonne cuisson. Le pot fissuré émet aussi un son grave. A l’IFA, les pots sont cuits à une température comprise entre 800 et 1100 degrés. En deçà, les pots ne cuisent pas et au-delà, ils se fissurent. Après la cuisson, seules la présence ou l’absence de fissures indiquent que le pot est bon.