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I.8. Quelques questions éducatives actuelles au Cameroun

7. DISCOURS DES POTIERS SUR L’ENSEIGNEMENT ET L’APPRENTISSAGE DE LA POTERIE

7.4. Comment les potiers conçoivent-ils l’apprenant et son développement ?

7.4.1. Le niveau 0 ou niveau jeu

Le niveau jeu est un moment de familiarisation de l’apprenant avec la matière. Ce niveau n’a pas les mêmes caractéristiques à l’école que dans les villages. A l’école, les élèves apprennent à pétrir de l’argile, à modeler des formes et à reproduire les objets de la nature. Dès cette étape, le maître intervient déjà pour étayer et évaluer le travail de l’élève. Ce qui n’est pas tout à fait le cas dans les villages. Ce niveau jeu dans les villages, ne permet pas une entrée des apprenants dans le système d’apprentissage. A l’école, les élèves commencent à modeler les pots au niveau 1.

C’est le maître qui commence presque toujours le façonnage du pot. Il mesure les dimensions de base et commence le façonnage puis, il donne les instructions pour

la suite du travail et laisse l’élève continuer mais il passe de temps en temps pour vérifier que l’élève respecte la progression et les consignes de travail. Au niveau 2, le maître intervient une fois que l’élève a commencé le façonnage du pot. Il vérifie qu’il respecte les dimensions et comprend la technique de travail. Enfin, au niveau 3, le maître intervient ponctuellement pour affiner les formes, les traits, la texture du pot. Il est aussi très présent pendant la délimitation de l’espace de décoration et le dessin des motifs, pour s’assurer qu’il y a harmonie entre la forme du pot et l’agencement des motifs.

Les observations des situations d’apprentissage montrent que, dans les villages, jusque vers 6 ans, l’enfant n’est pas encore entré dans le système d’apprentissage de la poterie. Mais, il côtoie très tôt l’activité de ses parents à travers les jeux. Par exemple, pour calmer ses pleurs et l’occuper, le jeune Hervé, âgé de 6 mois reçoit de la pâte et est invité à taper dessus. Cette situation se transforme en jeu avec de l’argile. Entouré de ses frères et sœurs, Hervé sera encouragé et en même temps orienté. A l’occasion, il reçoit de ses parents des bribes d’informations concernant son attitude envers ce matériau. Voici un extrait de la conversation de Mado, la sœur de Marcus avec son fils Hervé. M = Mado ; H = Hervé :

H: [Hervé, 6 mois pleure. Pour le calmer, sa mère lui donne de l’agile pour l’occuper comme ses frères qui l’entourent. Hervé met la pâte dans sa bouche. Mais, vite, Mado lui fait des remarques].

M: «Ne mange pas. Roule la boule. On ne mange pas ça. C’est à rouler et non à manger.

On tape dessus» [Elle prend l’argile et roule puis lui remet la boule au bébé Hervé.

(…). « Tape dessus comme ça ». [Elle fait le geste de taper. Ses frères et soeurs font le même geste]. (Mais, le bébé ne peut pas encore rouler une boule. Il se contente de lever les mains en les balançant et de secouer sa tête en signe de joie) (Nsei, niveau jeu, Mado et Hervé).

A travers cet encadrement parental, l’enfant apprend non seulement à manipuler de l’argile, mais il reçoit aussi les règles de la vie, à savoir distinguer ce qui va de ce qui ne va pas dans la bouche.

A deux ans, Julie, la fille de Mireille à Tanzé, sait déjà taper dans la pâte mais ne peut pas former une boule. Elle imite les gestes et les mouvements des personnes qui l’entourent. Mais, son attitude est instable car elle touche à tous les objets qui font partie de son environnement immédiat et essaye de les utiliser. Elle change de place à tout moment et aime bien qu’on s’intéresse à ce qu’elle fait. Ses parents lui disent alors point par point des petites actions à accomplir pour la maintenir au travail :

« Tape encore dans la boule, trempe tes mains dans de l’eau, pose ta boule sur le tesson de calebasse ». Tanzé, Mireille à Yvonne.

A quatre ans, Yvonne prend l’initiative d’imiter ses parents. Elle affiche beaucoup de volonté. Elle s’installe à leur côté chaque fois que ceux-ci fabriquent des pots.

Elle installe son plan de travail (tesson de calebasse, argile, natte, récipient d’eau, etc.). De cette façon, elle les observe et les imite en utilisant leurs instruments de travail, parfois, sans que les parents fassent attention à sa présence. Jeanne, sa grand-mère exprime ses sentiments face au travail d’Yvonne.

J : (Jeanne est surprise par les ébauches que les enfants forment, par leurs comportements de façonnage déjà acquis). «Hé! Regarde Yvonne ! Mon dieu! Elle sait déjà fabriquer la

« marmite »! C’est étonnant, je n’imaginais pas qu’à son âge, elle puisse faire quelque chose de ce genre. Ces enfants sont surprenants. Vas-y ma fille!» (Tanzé, niveau jeu, Jeanne et Yvonne).

Avant d’entrer dans l’apprentissage systématique, les enfants commencent, à travers des jeux à manipuler l’argile et les outils de travail du potier. Les futurs apprenants ont ainsi l’occasion d’explorer et de se familiariser avec la matière et les outils. A travers ces manipulations, ils acquièrent certains gestes techniques qu’ils observent chez les parents et imitent. Chez les moins de 6 ans, on ne distingue pas de préférences entre filles et garçons pour la fabrication de certains objets précis.

Cette orientation est plus nette après 6 ans. Les préférences sont le fruit d’une division sexuée du travail observée chez les parents. Les femmes fabriquent les pots alors que les hommes fabriquent des animaux, des personnages, des tableaux, etc.

Une observation des jeux chez les apprenants garçons de 9 à 13 ans à Marom montre que les apprenants fabriquent les objets de leur environnement : un chef assis sur son trône, une mère qui allaite, un foyer de bois, un poste de télévision, un chasseur qui porte son fusil et sa moisson. L’intérêt du jeu est qu’il laisse l’esprit de l’apprenant libre de pensée et de mouvement.

La fabrication du pot chez les garçons n’intervient que plus tard, si la nécessité se présente. Je me souviens, lors de mon premier terrain à Marom (identification de site) que j’avais rencontré une vielle potière, sexagénaire, qui vivait avec son arrière petit-fils, d’une dizaine d’années. Ce dernier était très tôt initié à tous les rouages de l’activité parce que son arrière-grand-mère ne pouvait plus se déplacer. Il s’occupait seul du transport et de la préparation de la pâte, des finitions, de la cuisson et la vente des pots. La vielle potière ne s’occupait que du façonnage, de la décoration et du vernissage des pots.

Un niveau similaire est observé à l’IFA. Il dure les deux premières années de la formation. Les élèves s’exercent à pétrir et à traiter de l’argile malgré le fait qu’il existe un personnel spécialisé recruté pour réaliser ces opérations. Les spécialistes utilisent un matériel approprié pour traiter de grandes quantités de pâte, alors que les élèves expérimentent manuellement le traitement. Les disciplines telles que le dessin, l’éducation visuelle et la technologie leur permettent d’observer, de dessiner sur du papier les objets de la nature et de les reproduire avec de l’argile, en faisant ressortir autant que possible les moindres détails. Ces deux années ont pour objectif d’amener l’élève à représenter différents décors. Sur la photo ci-dessous, on peut voir ces décors à travers les travaux des élèves représentant des maisons, des paniers de fruits, des souliers, etc.

« A l’école, les élèves fabriquent toute sorte d’objets : carreaux, masques, assiettes, tableaux, portraits, personnages etc. Mais, la fabrication du pot est régulière dès la troisième année», affirme Roger (Cf. entretien avec Roger, IFA).

Le jeu comme étape d’apprentissage joue un rôle différent selon que les apprenants sont ou ne sont pas entrés dans l’apprentissage systématique. En tant que première étape de l’apprentissage, il permet aux jeunes qui n’apprennent pas encore systématiquement d’exercer leurs réflexes et de se familiariser à l’activité. En tant

Objets fabriqués par les élèves de deuxième décor, IFA Awa et zoulia, âgées de 5-6 ans (Marom) jouent

Des fillettes et garçons de 2 à 5 ans environ jouent avec de l’argile autour de la potière à Tanzé

qu’étape intermédiaire, il permet aux apprenants novices de représenter le monde et d’expérimenter leurs talents de créateurs.