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I.8. Quelques questions éducatives actuelles au Cameroun

6. EXPERIENCE DES POTIER(ES) ET DES APPRENANT(ES)

6.3. Marom

6.3.1. Hadidja, la potière experte

Hadidja est la femme du chef de quartier, Nji Oumarou. La première fois que je suis arrivée dans le village, je logais chez eux. Elle est âgée de 39 ans. Elle est mère de sept enfants dont trois qui vivent au village. Les quatre premiers sont installés dans d’autres villes. Ils ont suivi leur frère aîné, Hamidou, 19 ans environ, qui est conducteur de taxi. La concession de Nji compte trois familles : celle d’Hadidja (7 enfants), celle d’Awa, une coépouse décédée (3 enfants), et enfin, celle de Zénabou, la nouvelle épouse âgée de 17 ans (enceinte pendant mon dernier séjour). Tous les enfants sont encadrés par Hadidja, y compris Zénabou, la nouvelle épouse. Le couple est potier. Hadidja a appris ce travail auprès de sa belle-mère. Zénabou, 17 ans, apprend la poterie auprès de sa co-épouse Hadidja. Leur mari lui, ne pratique plus. Le travail est organisé de sorte qu’Hadidja fabrique les pots et Nji Oumarou

s’occupe de les transporter à Yaoundé où il les vend en détail. Elle fabrique les pots, les animaux et d’autres objets commandés. De retour au village, il s’occupe des activités de la chefferie.

Parmi les trois enfants de Nji O. restés au village, Fati est la plus petite et Seidou est l’avant dernier né. Ils ont tous les deux été observés au niveau 1. On a aussi Nafissa, la nièce d’Hadidja, âgée de sept ans. Je les ai souvent observés seuls, pendant les jeux. Cela m’a permis de différentier leurs comportements lorsqu’ils sont seuls et avec la maîtresse.

6.3.2. Les assistants d’Hadidja Aïcha

Pendant les vacances, trois fils de Nji sont venus passer quelques jours au village.

L’une d’entre elles, Aïcha, 15 ans, intervient pendant les séquences d’apprentissage pour aider ses frères et sœurs cadets à fabriquer les pots. Aïcha a arrêté ses études primaires au CE depuis deux ans. Elle dit ne pas se sentir à l’aise au milieu des élèves plus jeunes et souhaite suivre une formation.

L’autre soeur, Bili, 17 ans, ne s’est jamais intéressée à la poterie. Elle a pris la résolution d’apprendre lorsqu’elle s’est rendue compte que ses frères étaient filmés.

Convaincue que ces images seraient diffusées sur une chaîne de télévision nationale, elle a regretté de ne pouvoir participer. Elle juge qu’elle a choisi une mauvaise option. Elle a pris la résolution de devenir experte dans les trois mois suivants. C’était le début de son apprentissage. J’espère qu’elle a tenu sa promesse.

Le fils aîné, Hamidou, a 19 ans. Il est conducteur de taxi. Il touche de temps en temps à la pâte quand il est de repos, sans vraiment s’y adonner. Mais, il sait fabriquer quelques objets.

Namsétou

Namsétou, elle est la grand-mère de la deuxième famille de Nji. Elle rend régulièrement visite à ses petits fils Ismaila, 13 ans, et Abdou 10 ans. Elle participe aux activités de poterie menées par Hadidja. Elle aide tous les enfants dans leur apprentissage.

6.3.3. Maï, la potière experte

De son vrai prénom Maïmouna, Maï est l’épouse d’Oumarou. Agée d’une trentaine d’années, c’est depuis une quinzaine d’années qu’elle est potière. Elle est mère de six enfants. Ils sont un couple de potiers. Oumarou a deux épouses. Toute la

famille fabrique les pots. J’ai observé Maï. Elle enseigne la poterie à son neveu Sidiki, 12 ans, à son fils Aoudou, 13 ans et à sa fille Hadidjatou, 11 ans.

6.3.4. Les assistants de Maï

Oumarou est le mari de Maï. La première fois que j’ai séjourné dans le village, Oumarou fabriquait des tableaux en argile et des animaux avec ses fils Sidiki et Aoudou. Lors du deuxième séjour, j’ai affiné les unités d’analyse et de collecte de données. Il était convenu avec mes encadreurs de filmer filles et garçons dans une séquence de fabrication d’un pot. Cela aurait été impossible pour les garçons si je n’avais pas formulé une demande expresse. Pour y arriver, il fallait que les garçons qui travaillent d’habitude avec leur père, le fassent avec leur mère. Il a été souligné à l’introduction du chapitre 8 les modifications survenues dans l’analyse des résultats dues à ce type d’improvisation. Mais, une attitude intéressante d’Oumarou, le père d’Aoudou a attiré mon attention. Il était assis à quelques deux mètres de Maï et observait ses enseignements. Il intervenait à chaque fois pour indiquer ce qu’elle devait montrer aux garçons et comment elle devait le faire. On pouvait penser à un maître dans sa classe avec ses élèves et une stagiaire.

A la différence de Nji Oumarou, Oumarou fabrique les animaux qu’il vend dans la rue artisanale à Foumban, mais aussi à Yaoundé et à Douala. Ici, les hommes savent fabriquer les pots mais ils ne le font pas souvent. Par contre les femmes fabriquent régulièrement les animaux et les portraits, objets préférentiels des hommes. Mais, il leur est interdit de fabriquer les objets rituels de la chefferie, utilisés par les hommes. Tous les enfants d’Oumarou, filles et garçons savent fabriquer les animaux. Mais les garçons n’ont pas appris la fabrication des pots.

Certains sont installés à leur propre compte et font leurs activités à part.

6.3.4. Amsé, la potière experte

Amsé est âgée de 27 ans. Elle est mariée et mère de 2 ans. Elle fabrique les pots avec ses deux frères consanguins Yakouba 15 ans, et Bilikissou, 16 ans. Ils sont observés au niveau 3. Ces deux apprenants ne reçoivent presque plus l’aide d’Amsé en ce qui concerne l’apprentissage. Elle estime qu’ils ont atteint un niveau où ils doivent fréquenter d’autres potiers et potières expérimentés pour améliorer et parfaire leur niveau actuel. Yacouba et Bilikissou fabriquent et vendent des pots. Ils prennent aussi des commandes. Ils payent eux-mêmes leurs études. Amsé pense qu’ils ont acquis l’essentiel. Pour elle, « Le reste vient par expérience ». L’expérience est dans la pratique quotidienne et la rencontre avec d’autres experts.

6.3.4. Les apprenants Niveau jeu

Ici, les apprenants du niveau jeu sont plus âgés que les apprenants du même niveau à Marom et à Tanzé. En fait, ce sont apprenants des niveaux 1, 2 et 3 que j’ai observés pendant les jeux. Cette variation des âges dans le jeu montre que le jeu est à la fois l’étape initiale des apprentissages et une étape intermédiaire aux étapes suivantes. Adidja 5 ans, Awa, 6 ans, ismael 13 ans, Amadou, 10 ans, Ismaila, 14 ans ont tous été observés pendant les jeux. Un examen des objets fabriqués montre que les apprenants représentent les objets de leur environnement à travers les jeux.

On recense le tableau d’une maternité fait pas Ismaël (13 ans) ; le foyer à bois et le trône du chef fabriqués par Ismaïla (13 ans) ; la représentation d’un poste de télévision par Seidou (11 ans) et d’un ballon de football par Amadou (12 ans). Ces différents objets sont le signe que les enfants vivants au village sont marqués par tous les modes de vie.

Niveau 1

Fati, neuf ans est élève au CP. Elle est la fille d’Hadidja. Dernière née d’Hadidja, elle est particulièrement désinvolte et rebelle. Elle ne s’occupe d’aucune tâche ni domestique ni de poterie. Il en est de même pour ses études. En effet, par sa position de dernière née, les parents n’appliquent aucune rigueur face à sa désinvolture. Ils lui accordent toutes les faveurs.

Seidou, 11 ans et élève au CE, est le fils d’Hadidja. Il est l’aîné de Fati. Il est très sérieux, très assidu au travail. Très consciencieux, il n’attend pas qu’on lui demande un service. Il est le premier à s’installer lorsque Hadidja commence le façonnage. Sa mère pense que c’est lui qui prendra la relève. Ses productions sont impressionnantes pour leur finesse. Il est le spécialiste de la fabrication des oiseaux.

Ismael, 13 ans et élève au CE, est le fils aîné du deuxième foyer de Nji. Sa mère est décédée. Il est sous la responsabilité d’Hadidja. Il n’écoute personne. Il accomplit ses tâches domestiques quand ça lui plaît. Seule l’annonce d’une punition et notamment la privation du repas lui fait changer d’avis. Il me semble qu’il réagit à un manque d’affection.

Nafissa a sept ans. Elle est la nièce d’Hadidja et élève au CP. Contrairement à Fati, elle a beaucoup de volonté. Elle initie les apprentissages par elle-même. Elle est toujours présente aux côtés d’Hadidja lorqu’il s’agit de fabriquer des pots.

Niveau 2

Aoudou, 13 ans, est fils de Maï et d’Oumarou. Il est élève au CE. Il sait déjà fabriquer plusieurs sortes d’animaux. Il représente le caïman en faisant ressortir les moindres détails. Je me suis demandée si ces compétences sont seulement le fruit du travail avec les parents ou alors proviennent-elles aussi de l’observation de l’animal ? Je n’ai malheureusement pas posé cette question.

Hadidjatou a onze ans. Elle est élève au CE. Elle est la fille de Maï. Elle sait fabriquer les pots. Elle s’occupe des tâches domestiques et de la gestion de la maison quand sa mère est aux champs. Elle assure notamment la propreté de la maison, de ses frères et fait à manger.

Niveau 3

Bilikissou a seize ans. Elle a terminé ses études primaires et entre au collège dès la rentrée de 2006. Pour sa mère, elle est très grande et doit déjà être marriée. « C’est la tradition » dit sa maman. Pour sa soeur Amsé, elle est autonome. Elle prend en charge ses études et ses besoins. Elle fabrique les pots et les écoule au marché.

Yakouba, 15 ans entre aussi au collège. Il est assez grand pour se prendre en charge mais pas suffisamment pour prendre une épouse. Sa mère estime qu’il est très doué. Elle lui laisse la gestion de ses activités de poterie quand elle s’absente pour un long moment. Il exécute les commandes de sa mère mais sans finition. De retour, sa mère termine le travail. Le pendentif mural du serpent à deux têtes est un objet qu’il aime particulièrement fabriquer.

Tous les apprenants observés sont des élèves. Mais, la zone est faiblement scolarisée et c’est facile de voir qu’aucun de ces apprenants n’est sorti de l’école primaire avant l’âge de 15. L’observation d’une journée de quelques apprenants montre qu’ils ne s’occupent pas des devoirs à faire à la maison. Ils n’ont ni fournitures, ni documents scolaires. Une fois hors de l’école, ils se lancent tous dans la poterie. Les parents ne se soucient pas du fait que leurs enfants n’étudient pas à la maison, même à l’approche des périodes d’examens. Ils ne posent pas de questions au sujet de ce qui se passe à l’école. C’est rarement qu’ils achètent des livres exigés à l’école. D’ailleurs, beaucoup n’inscrivent pas leurs enfants à l’école. Il est vrai que l’école est « gratuite » mais, celui qui ne paye pas les frais d’inscription (déjà très élevés) n’a pas le droit d’y aller. Plusieurs fois, Nji Oumarou m’a demandé de l’argent pour inscrire ses enfants à l’école. Dans le budget de la KFPE, j’avais

une rubrique appelée « dons ». C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai acquis et distribué les fournitures scolaires aux apprenants observés. Je trouve beaucoup d’entre eux très intelligents. Ils ont la volonté de réussir mais, l’environnement ne leur propose pas des moyens d’action appropriés. Malgré leurs difficultés scolaires, ils ne se découragent pas. Ils s’investissent tous dans l’activité de poterie. Les objets qu’ils fabriquent sont impressionnants. Il me semble utile de réfléchir sur la création des écoles qui approfondiraient ce type de savoirs dans la localité.

Bilikissou, apprenante du niveau 3 m’a fait part de ses soucis. Elle veut quitter le village pour suivre une formation. Mais, elle ne sait chez qui se loger en ville. Elle regrette de n’avoir qu’une voie, celle du mariage. Elle souhaitait que je l’aide à réaliser son rêve. Malheureusement, la difficulté de communication ne nous a pas permis de discuter plus sérieusement. Le problème qu’elle pose est privé. Je suis sûre qu’elle ne souhaitait par le partager avec le traducteur.

La communication avec les apprenants Marom est difficile. A Tanzé et Nsei, les apprenants s’expriment spontanément en français/anglais ou en pidgin. Avec les jeunes de Marom, je n’ai pas pu avoir une conversation directe. Je n’ai pas pu récolter leurs sentiments ni sur l’apprentissage de la poterie, ni sur le métier de leur rêve. Ils sont fiers de ne parler que leur langue. Certains adultes parlent le foulbé, une langue peuhle répandue dans la région que je ne comprends pas. Je ne devais me fier qu’à ce que me disait le traducteur Midou. Cette difficulté de communication démontre une fois de plus la nécessité d’instituer une ou des langues nationales de communication au Cameroun.