• Aucun résultat trouvé

De nouvelles méthodologies pour un nouvel objet : l’étude des médias pour cerner un territoire

Utiliser des méthodologies sociologiques pour un objet non sociologique

IV- De nouvelles méthodologies pour un nouvel objet : l’étude des médias pour cerner un territoire

Entretiens semi-directifs et questionnaires sont deux méthodologies abondamment employées en sociologie. Leur utilisation dans le cadre de cette recherche n’a donc pas lieu de surprendre le lecteur. Celui-ci sera peut-être plus intrigué par la présence d’un autre axe d’étude du territoire, et en particulier des représentations pouvant exister sur celui-ci. L’influence des médias sur la construction du lien social, sur l’image que les habitants ont de leur propre espace de vie228 est, à notre sens, une problématique toujours d’actualité. Nos précédentes études universitaires ont d’ailleurs principalement porté sur ce sujet229. Dès qu’a été constatée la multiplicité des représentations existant sur le Berry, il nous a paru indispensable de réaliser une étude complémentaire, plus spécifique, tournée vers les médias. L’analyse qui en découle tente de mettre en évidence l’image que présentent les médias d’un territoire donné, ce qui permet de comprendre, dans un second temps et grâce à la confrontation de cette analyse avec les entretiens réalisés, si cette image est reprise par les habitants.

1- Les archives télévisées

Le principal vecteur de communication est aujourd’hui la télévision. Beaucoup

« d’images » sont en effet transmises par ce medium. Ce dernier nous semble exercer aujourd’hui pleinement son rôle « d’agenda-setting »230 : la télévision exerce un effet indéniable sur la formation de l’opinion publique, en attirant l’attention de l’audience sur certains faits et en en négligeant d’autres. Comprendre le Berry à travers les archives de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) constitue donc un moyen original et pertinent pour récolter des données sur les représentations qui existent de ce territoire. L’INA n’est accessible qu’aux chercheurs munis d’une accréditation, et il a donc fallu l’obtenir en convaincant de l’intérêt d’une telle recherche.

11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111

228. « Si les médias ne disent pas la réalité, ils font partie de la réalité. Ils diffusent des images qui existent déjà en dehors d’eux, en même temps qu’ils contribuent à les construire », AVENEL Cyprien, Sociologie des

« quartiers sensibles », Paris, Armand Colin, 2004, p. 36.

229. Et en particulier le mémoire de sociologie réalisé en Master 2 Recherche, portant sur Images et représentations sociales. La question des médias nous a toujours semblé primordiale car ces derniers constituent un facteur explicatif des représentations pouvant exister sur un territoire donné. C’est ce qui explique cette attention particulière portée à ceux-ci, et notamment aux médias télévisés. RIOU Yolande, Images et représentations sociales. L’apport des télévisions locales participatives, Mémoire de Master 2, Université Paris V – René Descartes, 2006, 104 p.

230. « Le véritable rôle des médias est de fournir les thèmes de réflexion, et leur priorité sociale », KAPFERER Jean-Noël, Les chemins de la persuasion. Les modes d’influence des médias et de la publicité sur les comportements, Paris, Dunod, 1984, p. 340.

Etudier le traitement médiatique du Berry dans les émissions de la télévision nationale nécessite plusieurs étapes de traitement des données, au préalable (voir figure 7). Un premier logiciel, « Hyperbase », a permis de répertorier automatiquement les émissions comportant le terme « Berry » dans leur titre, leur résumé, ou encore à travers les mots-clés qui leur ont été associés par le producteur, le réalisateur… A l’issue de ce recensement, une première liste de 1521 fiches portant sur le Berry a été établie. Une lecture approfondie du descriptif de ces fiches a amené la suppression d’un certain nombre d’entre elles. En effet, les émissions concernant des personnalités portant ce nom (Richard Berry, John Berry, Chuck Berry) n’étaient évidemment pas pertinentes pour cette recherche. De même, pour éviter de biaiser l’analyse qui devait être réalisée, et de surévaluer le poids de certaines thématiques, seule l’émission originelle a été conservée, la mention de ses rediffusions étant supprimée231. A titre d’exemple, un reportage portant sur « La chèvre du Berry » a été rediffusé pas moins de 26 fois en douze ans.

Figure 7 : Méthodologie de sélection des programmes et des thèmes sur le « Berry »

Ce premier recodage a permis de dégager une seconde liste de 99 fiches portant exclusivement sur le territoire du Berry. Le descriptif de chacune de ces 99 fiches a été lu avec attention, les émissions correspondantes ont été visionnées afin de dégager, de manière empirique à travers une série de mots-clés résumant ces émissions, les grandes thématiques récurrentes sur le Berry. Ces dernières sont au nombre de quinze : Actualité, Animaux, Arts et Traditions populaires, Chasse, Culture, Divertissements, Economie, Gastronomie, Habitants, Miss France 99232, Patrimoine bâti, Personnages, Sorcellerie, Territoires, Villages. Chaque émission portant sur ce territoire s’est ensuite vue attribuer, de manière prioritaire, une de ces thématiques. Afin de faciliter une analyse plus quantitative de ces émissions, les quinze thématiques finalement recensées ont elles-mêmes été rassemblées, toujours empiriquement, en sept thèmes généraux, qui paraissaient les plus propres à décrire le contenu des émissions sur le territoire. Ces sept thèmes sont les suivants :

11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111

231. Il aurait également pu être intéressant de conserver la mention de ces rediffusions, ces dernières contribuant en effet à accentuer le poids de certaines thématiques dans les images télévisées proposées. Une analyse montre en fait que les rediffusions sont à peu près proportionnelles au poids de chaque thématique. Il était donc inutile de les conserver.

232. L’élection de Miss France 99 a effectivement provoqué un fort débat dans les médias, à la fin de l’année 1998.

Lors de cette élection, Miss Berry (Amélie Rudler) était arrivée largement en tête des votes du public. Le jury a cependant accordé sa préférence à Miss Tahiti. Le vote du jury comptant pour 2/3 et celui du public pour 1/3 seulement, c’est finalement Miss Tahiti qui a été élue Miss France. Plusieurs émissions se sont alors emparées de ce qui était dénoncé par certains téléspectateurs comme un « scandale », et ont invité à différentes reprises Miss Berry à s’exprimer. Les occurrences de ce type d’émission étant relativement nombreuses, une

- Culture (rassemblant Culture, Gastronomie), - Economie (conservant la thématique Economie),

- Faits divers (rassemblant Actualité, Divertissements, Miss France 99), - Folklore (rassemblant Arts et Traditions populaires, Sorcellerie), - Nature (rassemblant Animaux, Chasse),

- Patrimoine (rassemblant Patrimoine bâti, Territoires, Villages), - Personnes (rassemblant Habitants, Personnages).

La répartition différenciée de ces sept thèmes représente un intérêt en elle-même, puisqu’elle permet de mettre en exergue l’importance relative de chacun d’entre eux. Ainsi, les émissions consacrées à l’économie du Berry ne représentent que 3 % de l’ensemble des émissions ! Les émissions portant sur le patrimoine, les personnalités du territoire ou encore la culture ou le folklore sont quant à elles très présentes. La part des faits divers est également conséquente. Cela recoupe les premiers éléments d’analyse tirés du questionnaire portant sur les entreprises du territoire et concernant les principales thématiques issues des représentations des chefs d’entreprise sur le territoire.

Graphique 1 : Répartition des thèmes sur le Berry

Faits divers 19%

Patrimoine 22%

Personnes 17%

Economie 3%

Culture 14%

Folklore 12%

Nature 13%

Le visionnage des émissions a également pu être accompagné d’une « capture d’images », c’est-à-dire qu’un certain nombre d’images provenant des émissions les plus pertinentes en regard des thématiques dégagées, ont été copiées telles qu’elles apparaissaient à l’écran, puis annotées, permettant ainsi une plus fine analyse ultérieurement.

Cette analyse, qui sera détaillée au cours du chapitre V, portant sur les représentations, montre entre autres l’évolution des images sur le Berry, d’une vision très caricaturale à des considérations plus positives. Elle prouve également le traitement médiatique différencié selon les chaînes de télévision considérées.

2- La presse écrite

L’étude de chacune des 99 émissions de télévision répertoriées montrera ultérieurement les représentations proposées par les grandes chaînes nationales sur le Berry. Reste à se demander si d’autres médias, comme la presse écrite, exercent une même fonction de sélection des informations diffusées sur ce territoire. En effet, « de nombreux auteurs ont constaté que les journaux télévisés sélectionnaient leurs principaux sujets à l’intérieur des journaux écrits. […]

En France, les "journaux de référence" (Le Monde et Libération notamment) ont une importante

"fonction d’agenda setting", de filtrage et de hiérarchisation en raison notamment de leur réputation, leur crédibilité ou leur autorité. A partir de cette littérature professionnelle, les reporters sont capables de contacter les sources traditionnelles (souvent citées) et d’apporter des idées pour en trouver de nouvelles »233. Dans cette perspective, et en considérant les images proposées par les médias télévisés du territoire étudié, il ne semble pas inopportun de prendre également en considération la vision du Berry telle qu’elle peut être présentée par certains quotidiens.

Il paraissait donc pertinent de se livrer à une étude de la presse écrite nationale, à travers trois grands quotidiens d’opinion que sont Le Monde, Libération et Le Figaro. Un même travail de recherche à travers leurs archives, sur une période équivalente (1995-2007), a donc été mené.

Malheureusement, après un même recodage visant à éliminer tous les articles appelés par le mot-clé « Berry » mais qui ne concernent pas ce territoire, trop peu de matière restait disponible pour en réaliser une véritable analyse. Contrairement aux médias télévisés, l’utilisation du terme

« Berry » dans la presse écrite nationale, en tous cas en termes de mot-clé, est fort peu fréquente.

Au-delà d’une explication en termes de « codage » de l’information, forcément différent selon le médium concerné, il semble que cette presse écrite ne s’intéresse pas vraiment au territoire en tant que tel. Son analyse au niveau national ne se révèle finalement pas pertinente pour notre sujet d’étude.

Au niveau local, des rencontres avec des représentants de la presse écrite ont eu lieu, par le biais d’entretiens, notamment avec les « spécialistes » du Berry234. Cela a permis de cerner les impératifs, les modes de fonctionnement et les choix éditoriaux de ces médias locaux. Une analyse plus poussée de la presse écrite locale ne paraissait cependant pas particulièrement pertinente, au regard des objectifs de l’étude.

L’étude des médias nationaux s’est donc centrée sur les chaînes de télévision nationale et leur manière d’appréhender le Berry à travers les thématiques associées à ce choix de « mot-clé » dans le descriptif de chaque émission. Ce choix est par ailleurs largement justifié par les entretiens avec les acteurs du territoire qui mentionnent régulièrement l’influence de la télévision, mais ne parlent jamais de la presse écrite ou de la radio. L’utilisation de cette méthodologie originale et empirique est donc fondée scientifiquement, malgré l’absence d’un dispositif d’analyse précis. Les conclusions tirées de ce visionnage intensif permettent cependant de disposer d’un point de départ afin d’étudier les représentations qu’ont les habitants de leur territoire, à travers cette question fondamentale : les images télévisées participent-elles à la construction de l’imaginaire des individus ?

11111111111111111111111111111111111111111111111111111111111

233. SIRACUSA Jacques, Le JT, machine à décrire. Sociologie du travail des reporters à la télévision, Paris, INA, De Boeck, 2001, p. 25.

234. Les rédacteurs en chef du quotidien Le Berry républicain et le magazine La Bouinotte, portant tous deux sur le territoire concerné par l’étude, ont ainsi été interviewés. Toujours au niveau des médias locaux, le rédacteur en chef de la radio France bleu Berry (antenne locale d’une chaîne nationale) et le fondateur de la télévision locale Bip-TV (Berry Issoudun Première) ont également été rencontrés au cours d’entretiens qualitatifs.

Au final, la diversité des entretiens semi-directifs – tant avec des institutionnels, de

« simples » habitants, ou des spécialistes du Berry – est avantageusement complétée par des études plus statistiques sur des fragments particuliers de la population, que sont les chefs d’entreprise et les étudiants du Berry. Montrer l’influence que peuvent avoir les médias, tant de presse écrite que de télévision, sur les pratiques et les représentations de ces habitants, constitue par ailleurs une démarche assez originale en sociologie. L’utilisation conjointe de ces trois méthodes d’analyse se révèle fructueuse et permet de tracer des pistes de réflexion particulièrement intéressantes sur les habitants du Berry et leur rapport à ce territoire.

Chapitre IV.