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Nouveaux immigrants et nouvelles Églises qui franchissent les frontières

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 162-168)

LE DERNIER ARRIVÉ SERA L’IMMIGRANT : ANCIENS ET NOUVEAUX ÉTRANGERS

6. Nouveaux immigrants et nouvelles Églises qui franchissent les frontières

Les nouveaux immigrants, bénéficient de nouveaux moyens de transport qui leur concèdent ainsi de nouveaux moyens de migration de la religion. Cela permet que des Églises se déplacent et échangent des informations plus rapidement et plus facilement.

Les réseaux d’information et de solidarité agissent rapidement. À ce titre, lorsque j’étais à Antonio do Brinco, corrutela située sur la rive surinamienne du fleuve Lawa, en face de la ville de Maripasoula (Guyane française), où se trouve un temple de l’Assemblée de Dieu, j’ai été informé de l’existence de noyaux de cette Église en langue portugaise à Marseille et à Toulouse, en France métropolitaine. En raison de mon intérêt pour l’Église de la corrutela, marqué par ma fréquentation à ses cultes et, peut-être, du fait que je sois brésilien habitant dans la zone d’action d’un de ses noyaux hors du Brésil, c'est-à-dire faisant partie de son public cible, mon contact téléphonique a rapidement été communiqué au réseau des membres de l’Église et, une semaine après mon retour à Toulouse, j’ai reçu un appel d’un membre du noyau de cette ville. J’ai alors été invité à participer à un événement dans lequel serait présent un important prêcheur-missionnaire brésilien ; la personne a même proposé d’envoyer quelqu’un pour m’accompagner de mon domicile au lieu de l’événement, au cas où j’aurais des difficultés à me déplacer dans la ville. Ce type de traitement individuel et fraternel est

222 ALMEIDA, Miguel Vale de. Crioulização e fantasmagoria. Anuário Antropológico 2004, Rio de Janeiro, 2005, p. 33-49.

223 RIBEIRO, Darcy. O povo brasileiro : formação e o sentido do Brasil. São Paulo : Companhia das Letras, 1995.

une manière de capter l’immigrant qui habite dans des centres urbains à l’étranger, de façon à ce qu’il se sente inséré dans un milieu où on parle sa langue, qu’il établisse des relations personnelles et d’amitié et compense ainsi le vide provoqué par la distance avec ses relations affectives (famille et amis qui sont restés au pays d’origine) ; c’est une forme d’insertion dans la société réceptrice à partir de symboles et de liens avec la société d’où on est parti.

De la même manière, en 2011, alors que j’étais à Georgetown pour interroger un pasteur de l’Église Universelle du Royaume de Dieu qui dirigeait le temple où se déroulaient des réunions pour Brésiliens, celui-ci m’a demandé où j’habitais. Lorsque je lui répondis que j’habitais à Toulouse, il m’informa alors qu’il existait une Église Universelle dans cette ville ; il me demanda depuis combien de temps je vivais dans cette ville et quelle était mon activité. Quand j’ai répondu que j’étais en France pour faire un doctorat d’Anthropologie, il a vu là une opportunité de divulguer le travail de l’Église Universelle : comme je parlais français et que j’étais en contact avec des personnes du milieu universitaire, je représentais alors une porte d’entrée pour atteindre un nouveau public auquel ils avaient du mal à avoir accès. Par sa façon de parler, il insinuait clairement que ma carrière de pasteur de l’Église Universelle en France était prometteuse. Après cinq secondes de silence, surpris par l’invitation à embrasser une carrière de ministre de l’Église (et sans parvenir à m’y projeter), j’ai continué à poser les questions de mon questionnaire, comme si je n’avais pas entendu son conseil.

Les trois principales Églises évangéliques présentes au Suriname, toutes issues du Brésil, sont l’Assemblée de Dieu, la Dieu est Amour et l’Église Universelle du Royaume de Dieu. Elles sont également présentes en France, où elles développent des activités similaires à celles mises en place au Suriname : les deux premières sont tournées vers la communauté brésilienne, la troisième vers un public plus ample.

Il semble que le transit missionnaire et l’expansion de la sphère d’action soient un désir important de ces Églises évangéliques. La légèreté de la structure de la dénomination religieuse et l’action initiale comme une sorte de mission-expérience facilitent leur expansion : si la mission réussit, elle subsiste ; en cas d’échec, elle ferme.

Ces expériences ont conduit l’action des institutions pentecôtistes des ex-colonies vers les métropoles, mais aussi pour inter relier le Guyana avec le Suriname et la Guyane française. Par exemple, l’Assemblée de Dieu Ministère La Pionnière (Assembleia de Deus Ministério A Pioneira), de Guyane française, qui s’adresse à la communauté brésilienne, est présente à Orléans, en métropole. Elle a aussi envoyé un ouvrier missionnaire au Suriname pour qu’il l’installe dans ce pays et a financé les dépenses de la congrégation224 surinamienne. Un exemple de lien effectif entre les Églises évangéliques dans les Guyanes est le fait que le salaire du pasteur de la Dieu est Amour de Georgetown a été financé par la Dieu est Amour de Cayenne pendant plus de trois ans, car cette dernière possède une structure et une portée plus importantes.

D’autre part, les relations entre le Brésil et les Guyanes ne se restreignent pas au domaine pentecôtiste. En Guyane française, l’Église Catholique, en association avec la communauté brésilienne, réalise une procession qui rend hommage à Notre-Dame de Nazareth (Nossa Senhora de Nazaré) et les similitudes avec la romaria (procession) catholique qui se passe à la même date (le second dimanche d’octobre) à Belém, au Brésil, sont évidentes. À Matinha, la zone où sont concentrés les Brésiliens de Cayenne, j’ai trouvé, dans la maison de certains d’entre eux, d’anciennes affiches des processions du Círio de Nazaré (procession en hommage à Notre-Dame de Nazareth ; figure 12).

L’affiche de celle de 2013 porte une phrase du Credo portugais, la même phrase en français, ainsi que la date et l’horaire de départ en français (figure 13)225. Le site internet du Diocèse de Cayenne publie également les détails du parcours. J’ai été informé que la procession avait commencé dans les années 1990 et que, chaque année, son prestige et la participation des Brésiliens ne cessent d’augmenter.

224 Dans l’Assemblée de Dieu, congrégation est le nom attribué à un temple et à l’ensemble des membres.

225 L’horaire inscrit en français sur l’affiche, « à partir de 8h », est facilement compréhensible par les Brésiliens, car en portugais cela donne « a partir das 8h ».

Figure 12 : Affiches des processions du Círio de Nazaré réalisées en 2005 et 2009, présentes dans la résidence de Brésiliens à Cayenne, en

Guyane française.

Figure 13 : Affiche de la procession réalisée à Cayenne en 2013.

Il est certain que la visibilité des communautés brésiliennes dans les Guyanes ne se restreint pas aux Églises et encore moins aux phénomènes religieux ; dans les rues, par

exemple, on peut voir des graffitis réalisés par des groupes originaires du Brésil. Dans la rue Malouet, à Cayenne, j’ai pu observer des graffitis qui représentaient des symboles de groupes de Belém (Vandalismo de Ananindeua et Curió), et le nom Brésil sur le côté, ce qui ne laissait aucun doute sur la provenance de leurs auteurs (figure 14).

Figure 14 : Graffitis réalisés par des Brésiliens dans la rue Malouet, à Cayenne.

Au Suriname, l’arrivée des « Églises de Brésiliens » et les scissions particulièrement caractéristiques de l’univers pentecôtiste ont occasionné l’apparition de nouvelles institutions religieuses226. Le bourgeonnement de petites Églises peut aussi être vérifié dans d’autres contextes : à Bruxelles (Belgique), par exemple, bien qu’il existe une structure centrale permettant de rassembler plus d’une centaine de ces Églises et reconnue par l’État, nombreuses sont les Églises hors de tout contrôle227. Au Suriname, des initiatives de dissidents brésiliens ont occasionné la naissance d’Églises bien surinamiennes, mais avec un background brésilien228.

226 Ce processus de scission peut être observé dans les œuvres : CORTEN, André. Le pentecôtisme au Brésil. Émotion du pauvre et romantisme théologique. Paris : Karthala, 1995 ; CORTEN, André.

Diabolisation et mal politique. Haiti : misère, religion et politique. Paris : Karthala, 2001 ; FANCELLO, Sandra. Les aventuriers du pentecôtisme ghanéen. Nation, conversion et délivrance en Afrique de l’Ouest.

In : CORTEN, André. Archives de sciences sociales des religions, n. 140, 2007, p. 157-310 ; BOYER, Expansion évangélique et migrations en Amazonie brésilienne, op. cit. ; FER, Pentecôtisme en Polynésie française : l’évangile relationnel, op. cit. ; MARIANO, Neopentecostais : sociologia do novo pentecostalismo no Brasi, op. cit.

227 MASKENS, Maïté. Migration et pentecôtisme à Bruxelles : expériences croisées. Archives de sciences sociales des religions, Christianismes du Sud à l’épreuve de l’Europe, Paris, n. 143, juillet-setembre 2008, p. 49-68. Disponible sur le site : http://assr.revues.org/16423. Consulté le 13 octobre 2012.

228 Ces phénomènes seront abordés plus en détail dans le Chapitre 5.

Une rôtisserie brésilienne à Paramaribo

PARTIE II

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