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Le pluralisme social : les groupes ethnoculturels

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LA MOSAÏQUE SOCIALE: LES GROUPES ETHNOCULTURELS DU SURINAME

3. Le pluralisme social : les groupes ethnoculturels

La diversité des origines ethniques des Surinamiens est facilement observable dans la vie quotidienne : les jours fériés, les chaines de télévision, les langues parlées, ou encore les partis politiques, font chacun état d’appartenances ethniques spécifiques.

59 Le contrat d’Indiens pour le Suriname fait partie d’un ensemble plus large du système de contrats de travail qui les a envoyés dans diverses parties du monde. En 1834, le premier groupe de travailleurs indiens est « envoyé » aux Îles Maurice. En 1917 — date qui marque la fin de ce système au Suriname —, près d’un demi-million d’Indiens sont embarqués : environ 240.000 sont envoyés au Guyana, environ 144.000 à Trinidad, 39.000 en Guadeloupe, 36.000 en Jamaïque et 34.000 au Suriname. Bien que ce système soit suspendu au Suriname cette année-là, le travail d’Indiens continue d’être utilisé à grande échelle dans d’autres pays, jusqu'à la décennie de 1930 (BUDIKE, Fred. Coloniary labour relations and conditions in the Caribbean from slavery until indentured labour. Paramaribo : Anton de Kom University, 2004).

60 HOEFTE, Rosemarijn. In place of slavery: a social history of British Indian and javanese laborers in Suriname. Gainesville: University Press of Florida, 1998.

61 Ib.

62 Il s’agit du bloc de coopération économique et politique des pays de la région originaire des Caraïbes, et anciennement appelée « Communauté et Marché Communs des Caraïbes ».

Bien qu’il existe des espaces de convivialité intercommunautaire comme l’école, le marché et l’ensemble des espaces publics, il existe aussi des espaces dans lesquels se développe la convivialité intracommunautaire, c’est le cas des structures religieuses où, en plus du néerlandais, on parle aussi les langues spécifiques à chaque groupe ethnoculturel, ou encore des centres culturels promouvant les traditions de chaque groupe. Par ailleurs, les appartenances communautaires s’expriment de toute part, dans les lectures que chacun fait des différents évènements. Par exemple, ici, Mahatma Gandhi et Martin Luther King ne sont pas seulement des pacifistes exemplaires qui ont lutté pour l’émancipation de peuples opprimés : Gandhi est, avant tout, un Hindustani, et Martin Luther King, un Créole.

Enfin, ce qui est intéressant dans le paysage surinamien c’est la façon dont ces groupes communautaires cohabitent. Ainsi, par exemple, sur la Place de l’Indépendance de Paramaribo, entourée du Parlement, du Palais du gouvernement et de la Cour de justice, ont été érigées deux statues de personnalités qui ont œuvré pour l’Indépendance, obtenue le 25 novembre 1975. Se trouvent alors côte à côte, la statue de l’Hindustani Jagernath Lachmon, membre du Parlement du Suriname63 mais aussi un des parents de la politique de conciliation entre les communautés ethnoculturelles, et celle du Créole Johan Adolf Pengel, Premier ministre du Suriname de 1963 à 1969 (figure 2)64.

63 De 1954 à 1975, le Suriname devient une entité autonome du Royaume du Pays Bas — composé des Pays-Bas, des Antilles Néerlandaises et du Suriname : à ce titre, le pays a une totale autonomie interne, à l’exception des domaines de la défense et de la politique externe. Précisons que les Antilles Néerlandaises comprenaient aussi Aruba qui, le premier janvier 1986, s’est séparé, pour devenir un État autonome au sein du Royaume. Le 10 octobre 2010, les Antilles ont été dissoutes, donnant place à cinq unités distinctes, toutes intégrantes du Royaume : Curaçao et Saint Maarten (la partie méridionale de l’île de Saint-Martin), comme des États autonomes ; et trois villes spéciales : Bonaire, Saint-Eustache et Saba.

64 Dans ce travail, exceptées les photographies des figures 1, 3 et 4, du Chapitre 2, qui sont de la responsabilité d’Osvaldina de Santos Araujo, toutes les autres ont été réalisées par moi-même, en 2011 et 2012, c’est pourquoi je ne précise pas la source.

Figure 2 : Place de l’Indépendance de Paramaribo : au premier plan, la statue de Jagernath Lachmon (Hindustani) et, en second plan, celle de Johan Adolf Pengel (Créole), deux hommes

politiques importants du Suriname.

3.1. Panorama général

Le Bureau Général des Statistiques du Suriname (Algemeen Bureau voor de Statistiek in Suriname — ABS Suriname) réalise des enquêtes afin d'obtenir des données socio-économiques sur la population du pays, dans lesquelles sont incluses des informations sur les origines ethniques et les filiations religieuses. La catégorie officielle de « groupe ethnique »65 est prise en compte car « la nationalité et l'appartenance ethnique (affichée ou pas) ont été importantes au Suriname »66. En 2005, l’ABS a divulgué les résultats des enquêtes de 1972 et de 2004. En 1972, sur une population de 379.607 personnes, il y avait 142.917 Hindustani, 119.009 Créoles, 57.688 Javanais, 35.838 Noirs Marrons, et 24.155 classés « autres ». En 2004, sur une population totale de 492.829 personnes, les données obtenues ont été les suivantes : 135.117 Hindustani, 87.202 Créoles, 71.879 Javanais, 72.553 Noirs Marrons, 61.524 Métis, 31.975 ont été classées « autres » et 32.579 personnes n’ont pas répondu à la question (figures 3 et 4). Ces chiffres nous permettent d’ores et déjà de nous faire une

65 ALGEMEEN BUREAU VOOR DE STATISTIEK IN SURINAME/CENSUSKANTOOR, Landelijke Resultaten.

Volume I : Demografische en Sociale karakteristieken, op. cit.

66Ib., p. 5.

idée générale de la configuration ethnique du pays : les Hindustani sont les plus nombreux et constituent, avec les Créoles, les Javanais et les Noirs Marrons, les quatre communautés les plus « importantes »67. Observons aussi qu’en 2004, la rubrique

« Métis » apparait pour la première fois dans le recensement, ces derniers ayant été jusque-là classés dans la catégorie « autres ». Par conséquent, la comparaison du groupe « autres », entre 1972 et 2004, s’avère impossible.

Figure 3 : Composition ethnique du Suriname en 1972 et 2004 (graphique élaboré à partir des données de l’ALGEMEEN BUREAU VOOR DE STATISTIEK IN SURINAME/CENSUSKANTOOR,

2005, p. 25).

67 Plus bas, je reviendrai plus en détails sur l’évolution des chiffres entre les deux années.

Figure 4 : Composition ethnique du Suriname en 2004 (graphique élaboré à partir des données de l’ALGEMEEN BUREAU VOOR DE STATISTIEK IN SURINAME/CENSUSKANTOOR, 2005, p.5).

3.2. Terminologies : qui est qui ?

Les Hindustani sont des Surinamiens issus des immigrés de l’Inde Britannique. Ce terme permet d’opérer une différentiation avec l’Indien, l’individu qui possède la nationalité indienne, et l’Hindou, qui se confond avec le pratiquant de la religion hindouiste. Localement, sont aussi utilisés les termes Kuli (de l’anglais Cooli), Kuri et Babun, en Sranantongo, qui, pour quelques Hindustani, ont un caractère péjoratif.

Quant à lui, le terme « Javanais » (Yampaneisi, en Sranantongo) désigne les Surinamiens descendants des immigrés originaires, pour la plupart, de l’île de Java, dans les anciennes Indes Orientales Néerlandaises. Bien que certains d’entre eux soient, en réalité, originaires des îles de Bali et de Madura68, au Suriname ils sont

68 HOEFTE, In place of slavery : a social history of British Indian and javanese laborers in Suriname, op. cit.

désignés comme Javanais. Ici, le terme « Indonésien » est lié à la nationalité, tandis que

« Javanais » correspond au groupe surinamien originaire d’Indonésie.

Les Créoles (Creolen, en néerlandais, et Krioro, en Sranantongo) sont constitués de la plupart des Noirs (Negers, en néerlandais) résidant les villes côtières. Selon Fernando Rosa Ribeiro69, jusqu’aux années 1950, il existait d’importantes différences entre les Métis70 (Kleurlingen, en néerlandais), qui formaient l’élite coloniale, et les Noirs. Après la Seconde Guerre mondiale, des partis politiques composés de personnes issues de ces deux groupes ont été formés pour représenter les deux catégories réunies, sous le nom de « Créoles ». De nos jours, ce terme est utilisé pour désigner un seul groupe, qui se distingue de celui des Noirs Marrons.

Les Noirs Marrons constituent un groupe formé de descendants d’esclaves africains ayant pris la fuite et s’étant installés à l’intérieur du pays, dans des régions difficiles d’accès, où ils ont constitué des communautés dotées d’un certain degré d’autonomie, avec une culture et une langue propres71. Sur le continent américain, cette évasion d’esclaves suivie de la formation de noyaux indépendants, à l’intérieur des terres, est connue sous le nom de « marronnage ». Au Suriname, ils sont aussi appelés Dyuka ou Ndjuka, termes péjoratifs, ou encore Busnengre (dénomination plus utilisée et signifiant littéralement « noir de la brousse »). Certains d’entre eux ont traversé le fleuve Lawa et le fleuve Maroni, et sont arrivés en Guyane française, où ils sont appelés Noirs Marrons ou Marrons. Au Brésil, l’espace occupé par les descendants d’esclaves fugitifs est désigné par le mot quilombo et ses habitants sont des quilombolas.

De façon générale, ces groupes ne viennent pas nécessairement de la même région d’Afrique et n’ont pas conservé leur langue maternelle. Au Suriname, les groupes et les

69 ROSA RIBEIRO, A construção da nação (pós-)colonial : África do Sul e Suriname, 1933-1948, op. cit.

70 Selon cet auteur, ces Métis n’ont existé en tant que groupe ethnoculturel du Suriname que jusqu’à l’Indépendance. Il ne faut pas confondre cet ancien groupe de Métis avec la nouvelle catégorie « Métis » introduite dans le recensement de 2007.

71 C’est la raison pour laquelle l’abolition de l’esclavage, dans la pratique, se rapporte seulement à la communauté créole. Il en va de même en Guyane française aussi où Créoles et Marrons entretiennent un rapport différent à l’abolition de l’esclavage, ce qui renforce la formation d’identités distinctes. Pour plus détails sur l’identité créole (creóle) en Guyane française, voir CLEAVER, , Ni vue, ni connue : a construção da nação na Guiana Francesa, op. cit.

identités — formés à partir de l’histoire vécue communément — sont au nombre de quatre : les Dyuka ou Aukan, les Boni ou Aluku, les Paramaka et les Saramaka. Il existe deux autres groupes de Noirs Marrons qui sont parfois considérés comme une sous-partie des groupes mentionnés : il s’agit des Matawai et les Kwinti, dont la langue ressemble à celle des Saramaka. Bien qu'ils soient d’origine africaine, au même titre que les Créoles, les Noirs Marrons montrent un sentiment d’appartenence, renforcée par la langue et une histoire commune de résistance à l’esclavage72.

Au Suriname, comme en Guyane française, la différenciation entre Créoles et Noirs Marrons ne peut se baser sur des marqueurs visibles, tels que la couleur de peau.

D’autres facteurs sont prédominants tels que la référence symbolique à l’histoire des ancêtres de chaque groupe.

Selon Emmanuel Lézy (2000)73, au Suriname, ainsi qu’en Guyane française, la distinction entre Créoles et Noirs Marrons a été élaborée à partir de la dichotomie issue de l’esclavagisme, celle qui distinguait les esclaves nés en Afrique de ceux nés dans la colonie :

La terminologie esclavagiste, peu soucieuse d’identifier les origines africaines des esclaves, comme on le faisait fréquemment au Brésil, distinguait, à l’inverse, de façon sourcilleuse les « bossales », nés en Afrique, des « créoles », nés en esclavage et, souvent, plus ou moins métissés74.

L’auteur indique synthétiquement les différences entre les Créoles et les Noirs Marrons en raison de la singularité historique de chacun :

72 DUPUY, Francis. Wayana et Aluku : les jeux de l’altérité dans le haut Maroni. In : COLLOMB, Gérard ; JOLIVET, Marie-José (dir.). Histoires, identités et logiques ethniques. Amérindiens, Créoles et Noirs Marrons en Guyane. Paris : CTHS, 2008, p. 165-201 (Le Regard de l’Ethnologue, livre 18) ; DUPUY, Francis. Des esclaves marrons aux Bushinenge : le marronnage et ses suites dans la région des Guyanes. Cahier d’histoire. Revue d’histoire critique, n. 89, 2002, p. 29-39 ; PRICE, Richard ; PRICE, Sally. Cultures en Guyane :les Marrons. La Roque d’Anthéron : Vents d'ailleurs/Ici & Ailleurs, 2003 ; GROOT, Silvia W. de.

Djuka society and social change : history of an attempt to develop a Bush Negro community in Surinam 1917-1926. Assen : Van Gorcum & Comp. N. V., 1969.

73 LÉZY, Emmanuel. Guyane, Guyanes : une géographie « sauvage » de l'Orénoque à l’Amazone. Paris : Belin, 2000.

74Ib., p. 99.

On retrouve cette opposition dans les Guyanes, dans la distinction opérée entre les Noirs « marrons », issus de la rébellion et du

« marronnage » de leurs ancêtres qui fondèrent, sur certains fleuves, des républiques indépendantes comparables aux « Quilombos » brésiliens, et les « créoles », terme qui désigne aux Guyanes des Noirs plus ou moins métissés dont les ancêtres furent affranchis75.

Michèle-Baj Strobel (1998) évoque cette même distinction entre Noirs Marrons et Créoles en Guyane française, les deux soumis aux colons blancs pendant l’esclavagisme :

Dans les colonies françaises, l’ordre esclavagiste distinguait, en effet, à partir de la fin du XVIIe siècle, trois groupes bien distincts : les maîtres blancs, les esclaves créoles et les bossales. Dans ce schéma constitutif de l’habitation, les Créoles avaient une position intermédiaire puisqu’ils étaient soumis aux Blancs mais en même temps ils initiaient les bossales à la vie sur l’habitation. Ils avaient donc une position valorisée par rapport à l’Africain débarqué. Cet antagonisme entre Créoles et Marrons a vraisemblablement toujours existé et les relations établies entre eux, pourtant originaires tous deux d’Afrique, ont été teintées d’exclusion réciproque76.

On voit bien comment et pourquoi, dans le Suriname d’aujourd’hui, comme aux Guyanes, l’histoire commune des ancêtres est l’élément principal qui crée les solidarités à l’intérieur des deux groupes — Noirs Marrons et Créoles. D’autres facteurs culturels, tels que la langue ou la religion, participent de cette distinction, bien plus que les caractéristiques physiques77. Les Créoles parlent néerlandais et Sranantongo, ils constituent une certaine élite urbaine politique et intellectuelle, et sont considérés comme des descendants d’Africains ou comme des Métis de Néerlandais et d’Africains ;

75 Ib., p. 99.

76 STROBEL, Michèle-Baj. Les gens de l’or : mémoire des orpailleurs créoles du Maroni. Petit-Bourg : Ibis Rouge, 1998, p. 37.

77 Toutefois, la référence aux caractéristiques physiques (couleur de peau, attitudes, vêtements, etc.) n’est pas totalement inopérante pour « classer » les individus. Par exemple, certains Métis (Dogla) peuvent être identifiés comme « Dogla-javanais » ou « Dogla-indien » en fonction de son apparence (voir note 79).

les Noirs Marrons, quant à eux, parlent leurs propres langues, habitent principalement en zone rurale et agricole, et ne font pas partie des sphères du pouvoir politique et économique.

Les recensements démographiques d’ABS Suriname, proposent aussi la catégorie

« autres », qui englobe les groupes ethnoculturels à faible poids démographique, comme les Chinois, les Indigènes et les descendants de Néerlandais, les Buru, se référant spécifiquement aux descendants d’agriculteurs néerlandais qui sont arrivés au Suriname au XIXème siècle. Ce terme permet de distinguer les Néerlandais qui vivent au Suriname (ayant la nationalité des Pays-Bas) des Surinamiens d’origine néerlandaise (groupe ethnoculturel).

Notons que l’ensemble de ces termes cherche à faire la distinction entre les personnes issues de la diaspora — définies par leurs origines — et la nationalité. Dans le multiculturalisme, les catégories ethnoculturelles forgées à partir de marqueurs ethniques, raciaux et d’origine, dans un petit État comme le Suriname, passent pour être applicables et valables dans le monde entier. Ainsi, avec la dimension diasporique, Javanais, Hindustani, Buru, Indigènes, Créoles et Noirs Marrons sont devenus des groupes humains conçus comme existants et reconnus dans le monde entier, avec des origines communes mais des nationalités différentes. Bien que l'idée de peuple en diaspora soit présente dans le quotidien comme manière de légitimer les groupes ethnoculturels, le concept est difficilement applicable à tous les groupes du Suriname.

Comme l’ont montré Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper, la diaspora évoque trois éléments fondamentaux : un mythe d’unité du peuple, une catastrophe qui serait à l’origine de la diaspora et, éventuellement, le rêve d’un retour à un lieu imaginé comme originel78. Or, ces trois éléments ne font pas partie du discours et de l’imaginaire des groupes ethnoculturels surinamiens.

78 BORDES-BENAYOUN, Chantal ; SCHNAPPER, Dominique. Diasporas et nations. Paris : Odile Jacob, 2006; BORDES-BENAYOUN, Chantal ; SCHNAPPER, Dominique. Les mots des diasporas. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2008.

3.3. Une question d’origines

La catégorie « Métis », apparue dans le recensement de 2004, illustre bien l’importance accordée aux origines dans ce pays. Bien qu’il soit difficile de réaliser une analyse précise des données statistiques, mentionnées plus haut — car l’ABS Suriname reconnait un certain nombre d’imprécisions —, deux évolutions peuvent être soulignées : le nombre de personnes s’identifiant au groupe Noir Marron a considérablement augmenté entre les deux années analysées et ce malgré l’introduction du groupe Métis en 2004, auquel un grand nombre de Surinamiens ont dit appartenir. Ce dernier groupe ne bénéficie pourtant d’aucune représentativité, ni de vie publique et politique active. Localement, les Métis sont appelés Dogla79, mais ne sont pas considérés comme un groupe ethnoculturel, peut-être parce qu’ils n’ont pas d’origine commune80. Bien que, d’un point de vue social, ils n’existent pas comme groupe, les Dogla semble représenter, du moins dans l'imaginaire, une menace pour la structure compartimentée de cette société, comme l’affirme Maria Stela de Campos França :

Les douglas81, qui représentent le cas le plus évident d’hybridation, suggèrent la possibilité d’une rupture avec la structure plurielle fondée sur la pureté en référence à la tradition culturelle. Comme réponse à la possibilité d’une rupture de la pluralité, les leaders politiques indiens et créoles s’adressent aux douglas, non pas en tant que groupe de n’importe quel type, mais comme des sujets individuels invités à adopter l’identité de leurs propres groupes.

Ces identités hybrides sont non seulement peu intelligibles, mais elles menacent, au moins dans l’imaginaire, l’organisation des sociétés

79 Terme d’origine hindi, qui se rapporte au Métis. En hindi, ce terme se rapportait surtout à l'idée d’enfant illégitime ou « bâtard ». Selon le dictionnaire de la langue Sranantongo, Dogla se rapporte à quelqu’un de « race mélangée » (notamment Créole et Hindustani). On utilise aussi des termes comme Malata, pour les Métis de Noir et de Caucasien ; Sambo, Métis de Noir et d’Amérindien ; et Bonkoro, Mulâtre avec des yeux et des cheveux de couleur claire (HINDI ENGLISH DICTIONARY. Disponible sur le site : http://dict.hinkhoj.com. Consulté le 30 décembre 2013 ; WILNER, Wortubuku Ini Sranan Tongo : Sranan Tongo – English Dictionary, 2007, op. cit.).

80 CAMPOS FRANÇA, Maria Stela de. Apanjaht : a expressão da sociedade plural no Suriname. Thèse de doctorat, 228 p. Brasília, Université de Brasília, 2004.

81 L'auteur utilise le terme «douglas» en portugais.

fondées sur la reconnaissance ethnoculturelle comme prémisse à l’orientation des interactions sociales82.

La figure 5 ci-dessous montre la représentation de la configuration des principaux groupes ethnoculturels du Suriname — configuration de laquelle sont exclus les Métis (Dogla) en tant qu’entité sociale ou collective.

Figure 5 : Représentation de la configuration des six principaux groupes ethnoculturels du Suriname, où le Métis (Dogla) n’est pas représenté.

Alors qu’il évoquait les caractéristiques de chaque groupe ethnoculturel du Suriname, Dennis (28 ans, Surinamien d’origine javanaise, fonctionnaire, musulman, interviewé en 2011), s’est rappelé d’un cas assez curieux à ses yeux : une Javanaise qui ressemblait à tel point à une Chinoise que ni les Chinois et ni les Javanais n’arrivaient à faire la différence, « mais, par la suite, ils ont découvert qu'elle était javanaise ». On voit ici comment l’origine détermine la « vérité » : cette femme était alors javanaise et ne pouvait rien y changer. Selon ce point de vue, son origine (que Dennis a appelé « race ») est une catégorie a priori, qui marque la société et le monde ; cette femme est « par

82 CAMPOS FRANÇA, Apanjaht : a expressão da sociedade plural no Suriname, op. cit., p. 196.

Hindustani Créole

Javanais Noir Marron

Chinois Amerindien

essence » javanaise. Être javanais n’est pas considéré comme une condition, mais comme « une nature ». Contrairement à la nationalité, qui peut être modifiée, acquise ou reniée, l’origine (selon les termes surinamiens : groupe ethnoculturel) est, ici, permanente et immuable.

Au quotidien, les Surinamiens s’identifient en premier lieu à la communauté d’origine à laquelle ils appartiennent. En milieu populaire notamment, les individus ne parlent pas d’eux-mêmes comme des Hindustani-Surinamiens ou des Javanais-Surinamiens ; ils ont l’habitude de dire simplement : « je suis Javanais », « je suis Hindustani », « je suis Créole », etc. L’appartenance communautaire est une identité particulière qui ne se confond pas avec l’identité nationale. Leurs discours donnent alors l’impression qu’ils font partie d’un même groupe humain, bien qu’ils

« appartiennent » à des pays différents : un Javanais reste toujours javanais, qu’il soit né au Suriname, en Indonésie ou en Malaisie. Et, en même temps, dans un même pays, en Indonésie par exemple, il y a des Javanais, des Sundanais, des Balinais, etc., mais tous sont de nationalité indonésienne.

3.4. Un panorama linguistique du pays

Un autre élément qui montre la diversité d’origine des Surinamiens est la langue

Un autre élément qui montre la diversité d’origine des Surinamiens est la langue

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