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Frontières religieuses dans la mosaïque de la Grote Combeweg

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LA MOSAÏQUE RELIGIEUSE DU SURINAME

2. Frontières religieuses dans la mosaïque de la Grote Combeweg

La Grote Combeweg est une avenue qui relie le centre de Paramaribo au nord de la ville, où se trouve une zone d’habitation privilégiée dans laquelle se situe le quartier Klein Belém, le « Belenzinho130 », où se concentrent les Brésiliens. Sur cette avenue, on trouve le Combe Markt (le Marché du Combe), composé d’un supermarché qui vend tous types de produits et un marché couvert où l’on peut acheter des fruits et légumes (figure 6). Les propriétaires du Combe Markt, Hindustani et hindous, exposent quatre ornements de déités du panthéon hindou et proposent à la vente de l’encens, de la musique religieuse, des posters de déités, et autres produits liés à cette pratique religieuse, ainsi que des vêtements de style indien et des films de Bollywood. La variété et la profusion de produits d’origine végétale indique le lien étroit avec le régime alimentaire végétarien des adeptes de la religion hindoue, ce qui fait de cet endroit un des hauts lieux pour l’achat de ce type de produits.

Dans les commerces avoisinant le Combe Market, on rencontre des Surinamiens de diverses origines, mais aussi des Brésiliens et d’autres étrangers faisant leurs courses.

Dans ces établissements (notamment ceux dont les propriétaires sont Hindustani), « on peut trouver, côte à côte, le poster de Jésus Christ ou de la Vierge Marie »131 et celui de déités hindoues comme Vishnou ou Krishna, ce qui donne un caractère universel au lieu, comme si toutes les parties du monde étaient représentées dans cette rue commerciale.

130 Le terme fait allusion à la ville de Belém, d’où sont originaire de nombreux Brésiliens installés au Suriname. Je reviendrai sur cette zone dans le Chapitre 3.

131 ARAUJO, O « Oriente » no « Ocidente » : observando o islã no Suriname, op. cit., p. 89.

Figure 6 : Combe Markt, sur la Grote Combeweg, Paramaribo.

Si l’on parcourt la Grote Combeweg en direction du centre, on trouve : une Église protestante réformée ; tout prêt de là, de l’autre côté de la rue, une Église de l’Alliance Chrétienne Missionnaire ; à quelques pas plus loin, une Église Évangélique Pentecôtiste ; enfin, à l’angle de la Wicherstraat avec la W. L. Lothlaan, en face du Combe Market, une mosquée. Dans chacun de ces temples religieux, on peut facilement se rendre compte des liens qui existent entre les communautés religieuses et les groupes ethnoculturels qui composent le Suriname, où la religion se révèle être un symbole ou un marqueur des frontières ethniques.

L’Église protestante réformée, construite en bois (figure 7), porte l’inscription frontale (en néerlandais) : Jesus zegt: komt herwaarts tot mij (Jésus dit : Venez à moi) et sa date de création (1884) qui donne une idée de son ancienneté. Les Églises protestantes du Suriname sont arrivées avec les colons néerlandais et la langue principale qui y est parlée, aujourd’hui encore, est donc le néerlandais.

Figure 7 : Église protestante réformée sur la Grote Combeweg, Paramaribo.

Les principales Églises protestantes du Suriname sont la Église Réformée Surinamienne, fondée en 1668, et celle des Frères Moraves (Unitas Fratum) ou Église Morave, fondée en 1735. Avant même la fin de l’esclavage (1863), des missionnaires protestants et catholiques procédaient à la conversion d’esclaves et d’anciens esclaves.

Le nombre de fidèles de ces Églises a considérablement augmenté à la fin du XIXème siècle, notamment par l’action des Frères moraves, dont l’engagement dans l’action missionnaire a été précurseur. Ces Églises ont progressivement introduit des services en Sranantongo, en plus de ceux en néerlandais, afin d’évangéliser les surinamiens d’origine africaine (futurs Créoles), ce qui leur a garanti un formidable succès et une forte expansion. En même temps que les anciens esclaves — en phase d’urbanisation et de consolidation en tant que groupe ethnoculturel créole — ont commencé à constituer le principal groupe de fidèles de ces Églises, ce nouveau rattachement religieux leur permettait d’apprendre la langue officielle de la colonie et de s’insérer dans la société surinamienne, avec une certaine ascension économique. Un groupe de travailleurs urbains aptes à assumer les activités citadines dans la société en formation s’est alors mis en place. Aujourd’hui encore, les Créoles composent la majorité des pratiquants catholiques et protestants et, dans une société marquée par l’appartenance ethnique,

les Églises protestantes surinamiennes, de même que l’Église Catholique, sont surtout perçues comme des « Églises de Créoles ».

L’Église suivante est évangélique, appartenant à l’Alliance Chrétienne Missionnaire (figure 8), dont le nom est inscrit en néerlandais et en chinois. Comme le révèle la présence quasi exclusive de Chinois pendant les jours de culte, cette Église s’adresse essentiellement à cette communauté. Pour les Surinamiens, il s’agit d’une « Église de Chinois ».

Figure 8 : Église Évangélique chinoise (Alliance Chrétienne Missionnaire) sur la Grote Combeweg, à Paramaribo.

Dans l’ensemble du pays, il existe d’autres Églises de ce type, issues de l’action missionnaire venue des États-Unis et tournée vers une communauté d’origine spécifique (notamment les Chinois et Javanais). Leur rattachement à un groupe ethnoculturel particulier est marqué par la langue et les éléments culturels du groupe en question. On trouve, par exemple, sur la Mexicostraat, toujours à Paramaribo, une Église évangélique (la Pasamuan Paguyupan Urip Anyar Suriname) et un centre Baptiste de formation javanaise, qui fait partie de l’institution, tous deux constitués par la Convention Baptiste du Sud des États-Unis et dont le but est de toucher les Javanais.

En ce sens, en plus du néerlandais, on utilise le javanais et les chants sont entonnés sur une musicalité javanaise moderne, de manière à attirer les jeunes et les adultes d’origine javanaise et à les amener à la conversion, tout en maintenant les racines

communautaires. L’église Tshoeng Tjien Church, liée à l’Église Morave et située sur la Dr. Sophie Redmondstraat, présente le même profil, tournée cette fois-ci vers les Surinamiens d’origine chinoise.

De son côté, l’Église Catholique développe également des initiatives afin d’accueillir différentes communautés mais, cette fois-ci, il ne s’agit pas de communautés surinamiennes mais étrangères. Ainsi, l’Église Notre-Dame du Perpétuel Secours (Onze-Lieve-Vrouw van Altijddurende Bijstand), située à l’angle de la Hofstede Crullaan avec la Wilheminastraat, organise des messes en français et en créole haïtien — réalisées un dimanche sur deux, à 10 h du matin — afin de s’adresser au public originaire d’Haïti ; et des messes en portugais, célébrées les dimanches à 8h du matin, par un prêtre brésilien, pour accueillir la communauté venue du Brésil. La messe constitue un moment de rencontre pour les membres d’une même communauté d’origine qui profitent de cet instant pour discuter amicalement entre eux dans leur langue maternelle, avant et après l’office. Au-delà des messes, sont aussi diffusées des informations et des nouvelles sur la communauté et le pays d’origine, et des événements festifs sont organisés ; l’Église contribue ainsi au renforcement des liens communautaires.

Le troisième temple que l’on trouve sur la Grote Combeweg et sur lequel on peut lire des inscriptions en portugais et en néerlandais, est l’Église Pentecôtiste Dieu est Amour (Igreja Pentecostal Deus é Amor — figure 9). Bien qu’elle compte quelques participants Surinamiens, le corps des fidèles se compose principalement de Brésiliens. Ses cultes sont célébrés en portugais et, les jours de fête, il y a une traduction simultanée en néerlandais, destinée aux visiteurs Surinamiens. La traduction est à la charge de la nouvelle génération de Brésiliens, qui ont grandi au Suriname et ont appris la langue officielle à l’école. Lors de ma première visite, mon hôte m’indique qu’ils ont aussi des Églises « de Brésiliens ». Avec le temps, j’ai compris que cette expression fait référence aux Églises Évangéliques fréquentées par des Brésiliens. Il est intéressant de noter que la religion, le type de culte ou la dénomination religieuse sont placés au second plan ; ce qui prime, et ce que demandent initialement les Surinamiens, c’est la relation du temple religieux avec un des groupes ethnoculturels qui composent le pays.

Figure 9 : Église Pentecôtiste Dieu est Amour (évangélique), sur la Grote Combeweg, à Paramaribo.

Les Églises évangéliques du Brésil sont arrivées au Suriname dans les années 1990.

Du fait de leur échec à convertir les Surinamiens, elles ont alors modifié leurs actions basées sur le prosélytisme actif, pour se consacrer prioritairement aux Brésiliens et à leurs familles. L’Église Universelle du Royaume de Dieu, arrivée en 2011, et comptant deux temples à Paramaribo, fait pourtant exception puisqu’elle s’adresse à l’ensemble des Surinamiens. Dans cette optique, elle propose des cultes en néerlandais ; la langue portugaise est utilisée dans certaines réunions destinées aux seuls Brésiliens et qui ont lieu dans le temple à proximité de Belenzinho.

A quelques pas du temple de l’Église Dieu est Amour, à l’angle de la Wicherstraat avec la W. L. Lothlaan, en face du Combe Market, on peut apercevoir les minarets de la mosquée qui se situe à quelques pâtés de maisons plus loin (figure 10).

Figure 10 : La mosquée javanaise, à proximité de la Grote Combeweg, à Paramaribo.

Cette mosquée, fréquentée par des Surinamiens d’origine javanaise, est liée à la SIS, la Fondation des Communautés Islamiques du Suriname. Malgré ce lien avec une organisation universelle, elle est reconnue comme une « mosquée de Javanais ». En ce lieu, de la même manière que dans les autres institutions religieuses, la langue marque le lien avec un des groupes ethnoculturels du pays. En plus de l’arabe utilisé pour les prières, le néerlandais et le javanais sont utilisés durant les offices, les réunions administratives et au cours des conversations informelles. Selon ses leaders, le javanais est utilisé parce qu’il y a des personnes âgées qui ne comprennent pas bien le néerlandais et, par ailleurs, le javanais ne constitue pas un obstacle à la pratique de l’islam. Si un Musulman d’un autre groupe ethnoculturel venait participer aux prières, il serait bien reçu, mais se rendrait vite compte qu’il s’agit d’une espace prioritairement destiné aux Musulmans javanais.

Malgré ce lien apparent avec le groupe javanais, la SIS cherche pourtant à séparer l’islam de la « tradition » javanaise, car elle pense qu’au Suriname cette « tradition » est imbriquée dans le religieux, ce qui empêche la stricte obéissance aux principes originaux islamiques. Erwin, l’imam javanais de cette mosquée (interviewé en 2007), explique pourquoi la SIS tient à suivre ce principe : quand un élément de la « tradition » javanaise va contre les règles de l’islam, il doit être abandonné ; la langue, la gastronomie, les vêtements « traditionnels » et le bonnet peuvent être maintenus, mais

à condition qu’il ne soient pas assimilés à la religion islamique. Dès lors, la « tradition » javanaise n’est pas applicable aux Musulmans d’autres origines. Selon les mots d’Erwin : « Préserver la culture javanaise, les vêtements, la langue, la nourriture, etc., n’est pas un problème, mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’il s’agit de culture, et non de religion. On ne peut pas mélanger l’islam avec la tradition. Culture et tradition sont une chose, la religion en est une autre »132. Et si des pratiques basées sur la

« tradition javanaise » contrarient les principes islamiques, elles doivent être abandonnées, car « on ne peut utiliser la tradition dans la religion si cela va à l’encontre des règles et des lois de la religion »133. Par exemple, demander à ses ancêtres décédés l’autorisation de se marier ou leur faire des offrandes de nourriture, comme le font les Musulmans traditionnalistes (ceux qui suivent avant tout la « tradition javanaise »), selon le rituel du Slametan, sont des pratiques javanaises qui contrarient l’islam et doivent être bannies.

Au Suriname, il existe un groupe de mosquées, liées à la Fédération des Communautés Islamiques du Suriname (Federatie van Islamitische Gemeenten in Suriname — FIGS), qui constitue la tendance des Musulmans traditionalistes, qui prêche le maintien des traditions javanaises, et s’oppose à toute forme de réformisme dans l’islam issu de Java. Ce groupe (FIGS) s’oppose à la SIS, ce qui reflète la querelle autour de l’idée qui voudrait que l’espace religieux soit un instrument de lien communautaire et d’attachement aux traditions de la communauté d’origine.

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