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Anciens et nouveaux Chinois

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LE DERNIER ARRIVÉ SERA L’IMMIGRANT : ANCIENS ET NOUVEAUX ÉTRANGERS

4. Anciens et nouveaux Chinois

La récente immigration chinoise vers le Suriname fait surgir un certain nombre de questions particulièrement intéressantes pour penser les particularités de l’immigration des Brésiliens dans ce pays. Si d’un côté les sino-surinamiens sont considérés comme l’un des groupes ethnoculturels du pays, d’un autre côté, selon Paul Tjon Sie Fat, l’arrivée des nouveaux immigrants chinois est mal vue par une partie de la société. La non-distinction entre les Surinamiens d’ascendance chinoise et les Chinois

194 Sur la Reconquista chrétienne, voir GUICHARD, Pierre. De la expansión árabe a la Reconquista : esplendor y fragilidade de Al-Andalus. Granada : Fundación El Legado Andalusí, 2000 ; CONGRÉS INTERNATIONAL 380è ANIVERSARI DE L’EXPULSIÓ DELS MORISCOS. L’expulsió dels Moriscos.

Conseqüències en el món islàmic i en el món cristià. Actes de Congressos, n. 4. Departament de Cultura Generalitat de Catalunya : Barcelona, 1994.

étrangers implique qu’une partie de la société surinamienne discrimine les deux groupes de la même manière195. Ce rejet de l’arrivée de nouveaux immigrants concerne également les Brésiliens, mais pour des motifs forts différents, c’est pour cela que la comparaison avec le rejet des nouveaux Chinois nous permettra d’éclairer celui des Brésiliens.

Selon Sie Fat, la non-assimilation et la persistance d’un groupe ethnoculturel chinois au Suriname est un sujet polémique qui diffère de ce qui s’est passé dans d’autres pays américains. Par exemple, Cuba et le Pérou ont accueilli un grand nombre de Chinois pendant l’époque coloniale et ceux-ci ont majoritairement été assimilés. La question est donc de savoir pourquoi un segment chinois à forte « identité ethnique » a-t-il persisté dans les Caraïbes, notamment au Suriname, à la différence de ce qu’il s’est passé dans d’autres pays.

La présence de Chinois au Suriname est ancienne : dès le XIXème siècle, ils ont été embauchés comme travailleurs pour remplacer la main-d’œuvre d’origine africaine et assurer les activités dans les fermes. Selon l’ABS Suriname, en 2004, les Sino-surinamiens représentaient 2% de la population du pays, soit 8.775 personnes, et il y avait 3.654 résidents de nationalité chinoise, même si l’organisme admet qu’il y a des controverses quant à ce dernier chiffre considéré en-deçà de la réalité par les observateurs196. Bien qu’ils aient une faible importance numérique, les anciens et les nouveaux Chinois représentent une force économique importante dans le secteur commercial.

Même si, au quotidien, tous sont indistinctement appelés « Chinois » (Sneisi en Sranantongo) et que des termes comme « Chinois ethniques », « communauté chinoise » ou « diaspora chinoise au Suriname » peuvent donner une impression d’uniformité des Chinois197, il existe une différence évidente entre les Sino-surinamiens et les Chinois qui ont immigré à partir des années 1990. Au premier abord, on pourrait penser qu’il existe une seule communauté homogène, cependant, un regard plus affûté

195 TJON SIE FAT, Chinese new migrants in Suriname : the inevitability of ethnic performing, op. cit.

196 ALGEMEEN BUREAU VOOR DE STATISTIEK IN SURINAME/CENSUSKANTOOR, Seventh General Population and Housing Census in Suriname. Census 2004 Coverage Evaluation, op. cit.

197 TJON SIE FAT, Chinese new migrants in Suriname : the inevitability of ethnic performing, op. cit.

permet de voir que les Sino-surinamiens font une nette distinction entre eux-mêmes et les nouveaux immigrants chinois qu’ils désignent d’ailleurs par des termes péjoratifs.

Des dimensions de temps et d’espace sont prises en compte dans cette distinction qui est faite entre les deux catégories. Le lieu de naissance constitue un de ces marqueurs distinctifs : dans le langage courant des Sino-surinamiens, laiap fait référence à ceux qui sont nés au Suriname et tong’ap désigne les immigrants de nationalité chinoise198. Un autre point de différentiation concerne la temporalité : d’un côté se trouvent les

« anciens Chinois » — incluant symboliquement leurs ancêtres — et de l’autre les

« nouveaux Chinois », étrangers immigrés récemment. Ainsi, même si pour une partie de la société ils sont tous chinois, il existe entre eux un trait différentiel : les « anciens chinois » sont surinamiens et les « nouveaux chinois » sont étrangers.

Au XIXème siècle, les Chinois sont essentiellement venus de la partie ouest de la rivière des Perles (Zhu Jiang), au Sud-Est de la Chine, et parlaient la langue régionale hakka(kejia) ; c’est pourquoi les termes Hakka, Fuidung’on Hakka ou Fuidung’on Kejia peuvent être utilisés comme synonymes de Sino-surinamien. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux parlent néerlandais, Sranantongo et des rudiments de hakka. Par ailleurs, ils possèdent leurs propres organisations, comme l’association culturelle située sur la Josef Israelstraat, à Paramaribo (figure 10). Pour leur part, les nouveaux immigrants chinois viennent de différentes parties de la Chine, parlent mandarin ou cantonais, ne maîtrisent pas la langue néerlandaise et communiquent avec le reste de la population avec des rudiments de Sranantongo.

198Ib., p. 54.

Figure 10 : Organisation Hakka du Suriname (à Paramaribo).

Leur immigration croissante et la prépondérance des deux groupes de Chinois dans les activités commerciales a provoqué une réaction discriminatoire à leur égard.

Comme nous l’avons déjà dit, une partie des Surinamiens ne fait jamais la distinction entre Sino-surinamiens et nouveaux Chinois, traitant indistinctement les deux groupes comme des étrangers199.

Comme le montrent les données de l’ABS Suriname et Tjon Sie Fat, à partir des années 1990, l’immigration des Chinois s’est intensifiée, coïncidant avec la période du plus fort afflux de Brésiliens. De 1991 à 1995 — années à plus forte entrée de Chinois

— on totalise 23.589 nouveaux arrivants. Au total, entre 1972 et 2004, l’Aéroport International Johan Adolf Pengel et le poste de Migration de New Nickerie, au Nord-Ouest du Suriname, ont enregistré l’arrivée de 36.604 Chinois200.

À partir des années 2000, certains d’entre eux ont commencé à s’installer dans les zones d’orpaillage, se consacrant presqu’exclusivement à l’activité commerciale (figure 11). Dans ce cas précis, on ne parle pas de Sino-surinamiens, mais de nouveaux-immigrés.

199 Ib.

200 ALGEMEEN BUREAU VOOR DE STATISTIEK IN SURINAME/CENSUSKANTOOR, Seventh General Population and Housing Census in Suriname. Census 2004 Coverage Evaluation, op. cit., p. 27-28.

Figure 11 : Établissement commercial appartenant à un Chinois, dans la corrutela Cabana Four (Kabanavo), sur les rives du fleuve Lawa, au sud-est du Suriname.

Certains ont aussi ouvert de petits commerces dans des zones d’orpaillage illégales, comme celles de la Guyane française ; ils sont alors arrivés dans les corrutelas temporaires et ont établi leurs commerces, l’or étant la monnaie d’échange.

Normalement les Brésiliens se consacrent à l’extraction de l’or et les Chinois leur fournissent les matériaux et vivres nécessaires à cette activité. Leur arrivée sur les zones d’orpaillage a, d’un côté, permis de faire baisser les coûts des produits et de diversifier l’offre et a, d’un autre côté, provoqué la faillite de petits commerces de Brésiliens, car les Chinois ont mis en place un système de distribution de marchandises plus efficace, capable de mettre à disposition des produits industrialisés et des combustibles à des prix bien inférieurs à ceux pratiqués par les Brésiliens qui apportaient leurs marchandises depuis Paramaribo.

La « nouvelle immigration chinoise », terme posé en opposition à l’« ancienne immigration chinoise », et la politique de rapprochement avec la Chine, ont aussi eu un impact sur les Sino-surinamiens, car dans certains secteurs de la société on trouve un discours selon lequel aussi bien les Sino-surinamiens que les « nouveaux Chinois » sont

la cible d’une politique qui vise la promotion de cette chineseness. Au Suriname, l’identité chinoise serait produite de manière instrumentale et stratégique pour l’investissement de la Chine dans l’application de sa politique extérieure qui met l’accent sur la reconnaissance de communautés d’origine chinoise et sur la consolidation de communautés « ethniquement chinoises »201, bien que le sens de communauté soit purement fictif.

La Chine, légitime et unique terre-mère des « Chinois ethniques », travaillerait donc au maintien des « nouveaux immigrants » fidèles à sa cause : ils auraient pour fonction de raviver et de maintenir le lien entre la Chine et les anciens immigrés chinois du Suriname202. Cette explication rejoint l’analyse de Catherine Withol de Wenden sur l’intérêt que les pays ont à maintenir des liens avec la communauté de leurs citoyens expatriés, dans une optique de flux de capitaux et d’amplitude politique. L’importance que les transferts bancaires ont acquise ces dernières décennies a encouragé les États à développer des relations plus effectives avec leurs citoyens, l’ethnicisation des émigrés et la généralisation de l’usage du concept de communauté en diaspora vont dans ce sens203. Selon ce point de vue, les habitants du Suriname possédant quelque lien, même dans le passé, avec un des pays engagés dans cette ligne d’action extérieure, peuvent devenir la cible de politiques de constitution de diasporas204.

Selon Zhuang Guotu, le renfort numérique de nouveaux immigrants chinois à l’extérieur influence positivement le développement de communautés chinoises dans les pays où ils sont, à travers le renforcement de la « conscience d’être chinois »205 et, par conséquent, de celui d’être patriote envers la Chine206. Ainsi, la Chine (tout comme d’autres pays) aurait tout intérêt à combattre l’assimilation des groupes humains d’origine chinoise, ce qu’elle ferait par le biais de l’adoption de politiques externes, en étendant ainsi sa capacité d’influence et de flux de capitaux.

201 TJON SIE FAT, Chinese new migrants in Suriname: the inevitability of ethnic performing, op. cit.

202Ib., p. 137.

203 Ib.

204 BORDES-BENAYOUN, Chantal ; SCHNAPPER, Dominique. Diasporas et nations, op. cit. ; BORDES-BENAYOUN, Chantal. La diaspora ou l’ethnique en mouvement, Revue Européenne des Migrations Internationales, v. 28, n. 1, 2012, p. 13-31.

205 GUOTU, Zhuang apud TJON SIE FAT, Chinese new migrants in Suriname : the inevitability of ethnic performing, op. cit., p. 137.

206 TJON SIE FAT, id., p. 137.

De plus, l’idée de nation multiethnique en tant qu’idéologie fondant la constitution du Suriname conduit à la reconnaissance de chaque groupe humain marqué par des attributs qui caractérisent son ethnicité, tout en niant les particularités existantes en son sein. Le cas chinois est emblématique : Tjon Sie Fat affirme que « la question sur combien de personnes au Suriname parlent vraiment une forme de chinois a tendance à être ignorée »207. En effet, au Suriname, la langue maternelle constitue un symbole qui caractérise chaque groupe ethnoculturel et un important trait de l’identité ethnique.

Ainsi la « langue chinoise » a été naturalisée comme un attribut automatique du groupe chinois, niant ou donnant peu d’importance au fait que, dans la réalité, il existe différentes langues venues de Chine : le cantonais, le mandarin et des variétés de kejia (hakka). En ce sens, le questionnaire de l’ABS Suriname sur la langue parlée ignore cette diversité linguistique et applique l’idée monolithique d’une seule « langue chinoise » comme l’indicateur d’un groupe uniforme, reliant automatiquement le groupe ethnoculturel à un pays d’origine et à une langue maternelle commune (voir Chapitre 1). De plus, selon l’auteur, les recenseurs de l’ABS Suriname ont tendance à faire coïncider la langue parlée au foyer avec la langue maternelle, ce qui ne va pas toujours de soi.

Peut-être est-ce le même effort de « cloisonnement » des groupes humains du pays dans des « moules ethnoculturels » qui pousse les Brésiliens à se constituer en tant que groupe, de manière à ne pas bouleverser la structure qui constitue l’origine imaginée du pays.

5. « … Mais il y a des Brésiliens qui sont surinamiens »

5.1. Les Brayson : un groupe ethnoculturel du Suriname ?

Dans le scénario surinamien marqué par la nécessité de désigner l’origine et l’appartenance communautaire de chaque individu, la « brésilianité » en tant

207Ib., p. 88.

qu’ensemble d’attributs qui seraient typiques et propres aux Brésiliens est discrètement évoquée au sein de la communauté brésilienne pour faire référence à un peuple d’origine spécifique. Quand j’étais au Suriname en 1999, une interrogation s’est imposée à moi et allait entraîner de nombreuses réflexions et analyses : « être brésilien » au Suriname, est-ce être d’une nationalité spécifique ou bien d’un groupe ethnoculturel, au sens où on l’entend ici ? Un Surinamien me demanda, en Sranantongo208 :

- Yu de Brasyon ?

Je n’ai pas su quoi répondre car je ne comprenais pas la question. Voyant que je ne comprenais pas, il l’a reformulée en mélangeant Sranantongo et anglais :

- Are you Brasyon ?

- I’m sorry. I didn’t understand.

- Are you Brasyon ?

La conversation s’est arrêtée là car je ne savais toujours pas ce que voulait dire Brasyon ; cherchait-il à discuter amicalement ou à m’insulter ?! Quand j’ai raconté cet échange à un ami surinamien, j’ai tenté de reproduire le son de cet étrange mot, et il a rapidement compris :

-Ah ! Il a dit Brasyon ? -C’est ça !

- Brasyon veut dire brésilien dans la langue du Suriname. Il demandait si tu étais brésilien !

C’était aussi simple que ça. Mais finalement, qu’est-ce qu’être Brasyon au Suriname ? Au fil de mes conversations avec d’autres Surinamiens, la réponse à cette question apparemment si simple m’a parue de plus en plus complexe.

Par exemple, au cours de ce premier voyage, on m’a plusieurs fois interviewé sur la composition ethnique du Brésil. Livano, un Surinamien d’origine javanaise, voulait savoir si, dans mon pays, en plus des Brésiliens, il y avait des Chinois, des Hindustani, des Javanais… Je lui ai expliqué qu’il y avait des personnes d’autres nationalités

208 Je décris cet épisode de facon plus détaillée dans mon mémoire de master (ARAUJO, O « Oriente » no

« Ocidente » :observando o islã no Suriname, op. cit., p. 43-44).

(chinoise, indienne, etc.) mais qu’il s’agissait, en majorité, d’étrangers et que leur nombre était relativement faible en comparaison au Suriname. Il a alors répondu :

-Non, je ne parle pas des étrangers. Au Brésil, il n’y a que des Brésiliens ? -Oui…

À ce moment-là je ne comprenais pas encore le sens de cette question. Je lui ai alors répondu innocemment que, comme dans d’autres pays, au Brésil, quand on n’est pas étranger, on est national, c’est à dire brésilien. J’ai vu que ma réponse ne le satisfaisait pas et j’ai finalement compris qu’il ne parlait pas de « Brésilien » en tant que nationalité, mais en tant que communauté ethnoculturelle.

Si l’on considère « la société surinamienne, où l’appartenance ethnique (Javanais, Hindustani, Chinois, Créole, etc.) complète l’appartenance nationale (Surinamien) »209, sa question faisait référence à la façon dont fonctionne l’appartenance ethnique au Brésil. Lui répondre que cette dernière est constituée de Blancs, de Métis, de Noirs, d’Indigènes et de Jaunes, suivant la classification de couleur/race adoptée par l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)210, ou bien que le peuple brésilien est le résultat d’un métissage de personnes de différentes origines, ne l’aurait pas satisfait ; sa question faisait référence « à la constitution ethnique de ce peuple en tant qu’origine, et non à ses caractéristiques phénotypiques »211.

Comme l’a montré Oracy Nogueira, on peut distinguer le « préconcept de trait » du

« préconcept d’origine »212. Le premier, prédominant au Brésil, sert à catégoriser les individus en fonction de leurs traits physiques, leurs gestes, leur accent, autrement dit sur l’apparence ; au contraire, le second, prédominant aux États-Unis, s’appuie sur les ancêtres de l’individu pour déterminer son origine ethnique. À partir de ces deux processus identitaires, on peut dire que la question posée par mon interlocuteur surinamien s’appuie sur le fait que, dans son pays, l’origine est un facteur primordial dans la construction de l’identité des groupes ethnoculturels ; tandis qu’au Brésil, c’est

209Ib., p. 46.

210 Organe du gouvernement responsable des statistiques officielles du Brésil.

211 ARAUJO, O « Oriente » no « Ocidente » : observando o islã no Suriname, op. cit., p. 46.

212 NOGUEIRA, Oracy. Preconceito racial de marca e preconceito racial de origem : sugestão de um quadro de referência para a interpretação do material sobre relações raciais no Brasil. Tempo Social, São Paulo, v. 19, n. 1, novembre 2006, p. 287-308.

d’abord le trait qui assume ce rôle. Au Suriname, des individus dont les ancêtres sont issus de l’Inde Britannique, par exemple, sont également inclus dans la groupe des Hindustani, indépendamment de leur couleur de peau (et le même principe est valable pour les Javanais, les Indigènes, les Chinois, les Guyanais et les Brésiliens), tandis qu’au Brésil, une partie d’entre eux serait probablement considérée comme Black. Pour autant, il convient de nuancer ce propos, en précisant que ces deux manières de forger des identités (l’appartenance et l’apparence) cohabitent au Suriname — ainsi qu’au Brésil —, mais chacun d’eux joue un rôle différent dans les deux pays.

L’identité fondée sur l’origine fait qu’ici les Brésiliens, en plus de constituer une nationalité, entament également un processus de reconnaissance en tant que groupe ethnoculturel, de la même manière que les Chinois, les Hindustani et les Javanais. Ainsi, la question de Livano prend tout son sens : « Au Brésil, il n’y a que [le groupe ethnique formé par] des Brésiliens ? ». Ou, reformulée : « En plus du groupe ethnique ‘brésilien’, existe-t-il d’autres groupes ethniques au Brésil ? ».

Au Suriname, les Brésiliens sont perçus à partir de différents traits de la culture et de l’appartenance à un groupe ethnoculturel qui sont probablement plus importants que ses traits physiques, bien que ceux-ci soient également pris en compte. Pour l’identifier, on actionne alors des caractéristiques comme la maîtrise de la langue portugaise, la manière d’être, la capacité à réaliser des travaux lourds — principalement sur les zones d’orpaillage213 —, le tempérament instable (facilité à s’irriter et à résoudre les difficultés par la violence), le goût pour la fête et les boissons alcoolisées, la préférence pour la musique brésilienne, la manière de s’habiller (bermudas, t-shirts et tongs), l’usage de vêtements faisant allusion au Brésil et aussi la fréquentation d’« Églises de Brésiliens ». Ces clichés sont articulés entre eux comme les caractéristiques de la « nature du Brésilien », tout comme cela se fait pour les autres groupes ethnoculturels surinamiens.

213 La chaîne de télévision Apintie Televisie, canal 10, transmet quotidiennement le programme TV Brasur, de 13h à 14h30, en portugais, adressé à la communauté brésilienne du Suriname. Les publicités présentées pendant la transmission du programme donnent des indices sur le profil, les activités et certaines préférences de cette communauté : il s’agit de publicités pour des magasins achetant de l’or ou vendant des pièces pour les pompes de succion et des outils d’orpaillage ; des annonces de concerts de groupes brésiliens qui se produisent dans le pays ; des vidéoclips ; des boucheries ; etc.

La tendance à faire coïncider nationalité et ethnie n’intervient pas exclusivement dans la société surinamienne. Roberto Cardoso de Oliveira a déjà parlé d’« ethnicisation d’identités nationales » pour aborder celle de l’identité brésilienne aux États-Unis.

Insérée dans le système social américain, la communauté brésilienne qui y vit a été catégorisée comme « hispanique ». Or, selon l’auteur, les Brésiliens n’acceptent généralement pas cette identité hispanique dans la mesure où elle implique la dilution de la particularité de l’identité brésilienne et transforme leur identité nationale en une identité ethnique qui ne leur paraît pas correcte214.

Or, au Suriname, la présence d’individus brésiliens qui n’appartiennent pas à l’un des groupes ethnoculturels constituant le pays semble menacer sa structure sociale — comme c’est le cas des Dogla qui errent en dehors des structures politico-structurelles existantes. Dans ce cas, il existe alors deux issues possibles : « chasser ces nouveaux membres et les laisser en marge, sans les reconnaître en tant que groupe ethnique, ou les incorporer à la structure plurielle par la notion d’apanjaht »215. Une phrase de Livano synthétise très bien l’importance des Brésiliens en tant que groupe ethnique :

« mais il y a des Brésiliens qui sont surinamiens » — il fait ici référence aux personnes originaires du Brésil qui ont acquis la nationalité surinamienne.

5.2. Le rôle des origines

Si d’un côté les Brésiliens sont actuellement en marge des structures politiques locales, quand ils évoquent les groupes ethnoculturels présents dans le pays, ils se

Si d’un côté les Brésiliens sont actuellement en marge des structures politiques locales, quand ils évoquent les groupes ethnoculturels présents dans le pays, ils se

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