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Les premiers pas : le Suriname à la fois proche et lointain du Brésil

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 40-47)

LA MOSAÏQUE SOCIALE: LES GROUPES ETHNOCULTURELS DU SURINAME

1. Les premiers pas : le Suriname à la fois proche et lointain du Brésil

J’ai déjà explicité, en détails, dans mon mémoire de Master, ma rencontre presque accidentelle avec ce champ de recherche : en 1998, j’ai fait la connaissance d’un jeune Surinamien d’origine javanaise qui était en vacances à Belém (Pará, Brésil), où je vivais45. Il s’agit de Rick, « l’homme qui savait le javanais »46. Il voulait connaître le Brésil et apprendre le portugais, et Belém était la seule ville brésilienne desservie par les vols au départ du Suriname47. En plus de visiter des lieux touristiques et d’assister à des événements de la ville et de ses environs (plages, stades de football, fêtes, etc.), Rick, soucieux de développer sa connaissance de la langue portugaise, s’est rendu à plusieurs reprises à UFPA, où j'étudiais l’Ingénierie Chimique. Il n’hésitait pas à prendre part aux conversations, évoquant les particularités de son pays. Au moment de son départ, il m’invita alors chez lui pour lui rendre visite afin de « me rendre la pareille ». À ce moment-là, j’étais encore en train de préparer mon diplôme mais je m’intéressais déjà à des sujets en rapport avec la philosophie, la culture et surtout la religion. Le fait que le Suriname possède des coutumes, des cultures et des religions si

45 Belém se trouve au nord du Brésil, ce qui explique mon impression de proximité avec les Caraïbes,

"presque là". Du fait de l’immense taille du Brésil, mes compatriotes des régions du sud et du sud-est, par exemple, auraient bien du mal à se considérer si proche du Suriname.

46 Je reprends, ici, le titre d’une histoire de l'auteur brésilien Lima Barreto (1881-1922), « l'homme qui savait le javanais » (BARRETO, Lima. O homem que sabia javanês e outros contos. Curitiba : Pólo Editorial do Paraná, 1997).

47 Belém est la seule destination brésilienne possible en partance du Suriname, vol proposé uniquement par la compagnie aérienne Surinam Airways. Une entreprise brésilienne fait exception en proposant, entre 2000 et 2011 des vols vers ce pays et le Guyana.

variées m’a poussé à accepter l’invitation de Rick et à visiter « l’étrange » pays en 1999.

Ce voyage a « bouleversé » mes études.

Au cours de mes divers séjours au Suriname, avant et pendant ma recherche de Master, en plus des rapports conviviaux que j’ai développés avec les communautés surinamiennes d’origine javanaise, j’ai également rencontré la communauté brésilienne résidant là-bas. Contrairement à l’image stéréotypée présentée par les médias brésiliens selon lesquels ces immigrés seraient, essentiellement et schématiquement, des garimpeiros (pour les hommes) et des prostituées (pour les femmes), cette communauté commençait à figurer progressivement dans la mosaïque ethnoculturelle surinamienne, et les Églises évangéliques initialement implantées par des missionnaires envoyés par des institutions religieuses du Brésil se développaient.

L’évolution de ces Églises entrainait des situations singulières, les plaçant face à un certain nombre de défis :

1. Elles avaient atteint les secteurs surinamiens d’orpaillage, ce qui les poussaient à mettre en place de nouvelles dynamiques d’adaptation.

2. Au Suriname, ces Églises connaissaient des divergences et des divisions, et de nouvelles Églises, tournées vers les seuls Brésiliens, sont apparues.

Du fait de ces deux phénomènes, les perspectives religieuses des Brésiliens résidants au Suriname ont fini par devenir l’objet de ma recherche doctorale. Le discours universalisant d’un pentecôtisme en pleine expansion en Amérique Latine, allait-il pouvoir s’adapter à la société multiculturelle surinamienne et, dans ce cadre-là, allait-il être enclin à limiter son prosélytisme aux seuls Brésiliens ? La pluralité des origines de cette société allait probablement obliger les Églises pentecôtistes, nouvellement implantées au Suriname, à affronter de nouveaux défis.

1.1. Mes premières impressions

Lors de mon voyage de 1999, sur le trajet entre l’Aéroport International Johan Adolf Pengel 48 et Paramaribo (ou Par’bo, comme les Paramaribiens l’appellent affectueusement49), malgré des caractéristiques environnementales semblables à celles de l’Amazonie Orientale brésilienne (relief clair, climat chaud et humide, et forêt amazonienne), j’ai été frappé par la diversité ethnique et culturelle. D’autre part, outre l’aspect humain fort différent du Brésil (des personnes utilisant des vêtements qui rappellent les costumes africains et indiens), je pouvais observer des constructions religieuses qui montraient aisément des caractéristiques que je n’avais pas observées au Brésil : on trouvait des églises chrétiennes (catholiques et évangéliques), courantes dans mon pays, mais aussi des Temples hindouistes et des Mosquées islamiques.

Je me suis retrouvé face à un autre « choc » visuel : à la différence du Brésil, les voitures roulaient à gauche — héritage britannique — et j’avais l’impression que nous allions entrer en collision. Paramaribo, malgré sa faible population urbaine (environ 250 mille habitants), voit ses rues complètement embouteillées aux environs de midi.

C’est notamment le cas de la Dr. Sophie Redmondstraat50 qui part de la rive du fleuve Suriname pour s’étendre jusqu'au coin de la Zwartenhovenbrugstraat, où les voitures bataillent pour chaque centimètre carré d’asphalte, mêlant divers modèles de véhicules particuliers aux minibus multicolores affichant parfois des dessins plutôt extravagants.

À cet endroit, se trouve une petite place sur laquelle trône une statue rappelant la fin de l’esclavage, survenue en 1863 et commémorée le premier juillet, jour de congé national (le Keti Koti). En 1999, cette place a été choisie pour le discours officiel du représentant du gouvernement sur l’importance de cette date pour le pays. Selon le modèle surinamien de l’appartenance communautaire versus la nationalité surinamienne, l´abolition de l'esclavage n’est évoquée et célébrée que par la

48 Le plus grand aéroport du pays est aussi connu sous le nom d’Aéroport Zanderij ; il se situe dans la ville de Zanderij, à 40 km au sud de Paramaribo.

49 Parbo est aussi le nom d'une célèbre bière fabriquée à Paramaribo.

50 Dans cette thèse, j'utilise les mots qui désignent les itinéraires selon la langue néerlandaise : avec les suffixes « straat », « laan » et « weg » (respectivement, rue, avenue et route). Ce choix est dû au fait que ces terminaisons néerlandaises sont présentes dans les noms des rues.

communauté créole ; j’ai entendu dire, à plusieurs reprises, qu’il s’agissait d’un « congé de Créoles ».

Un autre élément qui différencie Paramaribo des capitales ou aux grandes villes latino-américaines, c’est son apparente tranquillité puisqu’elle présente de faibles taux de violence et que son expansion semble s’être faite avec des constructions-types, sans secteurs rappelant les bidonvilles (les favelas) ou autres constructions entassées.

Enfin, avant d’aller plus loin dans les particularités de ce pays, il convient de le situer géographiquement. Se trouvant dans le nord de l’Amérique du Sud, avec une superficie totale de 163.820 km² et une population d’environ 500 mille habitants (dont la moitié vit dans la capitale), le Suriname est limitrophe du Brésil, au sud, de la République Coopérative du Guyana, à l’ouest, et de la Guyane française, à l’est ; enfin, au nord, il est bordé par l’Océan Atlantique (figure 1). Il est entièrement couvert par la forêt amazonienne, exception faite d’une petite bande littorale où vit la majorité de la population, puisque c’est ici que se trouve la capitale Paramaribo.

Figure 1 : L’Amérique du Sud. En détail, les trois Guyanes : à la gauche, la République Coopérative de la Guyana (ancienne Guyane Britannique), au centre, le Suriname (ancienne

Guyane Néerlandaise) et, à droite, la Guyane française (Source : NATIONS ON LINE, 2014).

1.2. Le Sranantongo

La langue utilisée au quotidien est le Sranantongo qui, traduit littéralement, signifie « langue du Suriname » (Sranan : Suriname ; tongo : langue) ou « surinamien », aussi connue sous les noms de Takitaki, Nengretongo, Nengre ou Sranan. Le surinamien présente des similitudes avec d’autres langues créoles de l’Atlantique, issues de l’anglais. Il s’agissait initialement d’un pidgin51 de base anglaise, apparu avec le besoin de communication entre les esclaves africains et les seigneurs coloniaux (d’abord Anglais puis Néerlandais). Après la fin de l’esclavage, cette langue est arrivée dans les villes, où les anciens esclaves ont migré. La nouvelle communauté créole a largement utilisé le vocabulaire Sranantongo mais, par la suite, en 1876, les gouvernements (colonial et métropolitain) ont décidé qu’avec l’assimilation de la population « de couleur », l’enseignement de la langue néerlandaise devait être obligatoire. Au fil du temps, le Sranantongo est devenu une langue franche à Paramaribo et dans d’autres villes du littoral (où se concentrent environ 90% de la population surinamienne)52.

Malgré sa large diffusion, le Sranantongo n’est utilisé que de manière informelle, parce qu’il est considéré comme irrespectueux et, donc, inadéquat pour des occasions formelles comme les solennités protocolaires et les rites religieux. Il est cependant en train de conquérir de nouveaux espaces. Ainsi, en 1986, l’hymne national du Suriname a connu sa version officielle en Sranantongo et, depuis 1992, le Summer Institute of Linguistics (SIL) de Paramaribo publie des dictionnaires Sranantongo-anglais-Sranantongo et Sranantongo-néerlandais-Sranantongo, tous deux dotés d’un large

51 « Système linguistique résultant de la simplification d’une langue donnée, en servant seulement aux nécessités d’une communication limitée, sans être la langue maternelle de personne », différente du créole, qui est transmis aux nouvelles générations (DICTIONNAIRES DE FRANÇAIS LAROUSSE.

Disponible sur le site : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pidgin/60768. Consulté le 2 janvier 2014).

52 ROSA RIBEIRO, Fernando.A construção da nação (pós-)colonial : África do Sul e Suriname, 1933-1948.

Estudos Afro-Asiáticos, Rio de Janeiro, v. 24, n. 3, 2002, p. 483-512 ; WILNER, John (ed.). Wortubuku Ini Sranan Tongo : Sranan Tongo – English Dictionary. 4th ed. Paramaribo : Summer Institute of Linguistics, 2003. Disponible sur le site : http//:www.sil.org/américas/suriname/Index.html. Consulté le 18 novembre 2007 ; WILNER, John (ed.). Wortubuku Ini Sranan Tongo : Sranan Tongo – English Dictionary, 2007, op. cit.

vocabulaire. En 2007, ces deux dictionnaires ont connu leur cinquième édition, sachant que chaque nouvelle édition est agrémentée d’un vocabulaire plus élargi53.

Dans le contexte surinamien, la situation du Sranantongo connait des similitudes avec le double processus de rejet (par les autorités et les classes aisées) et de reconnaissance (par la population locale) du créole en Guyane : langue franche largement utilisée dans ce département, le créole a récemment commencé à être promu, dans le but d’être, entre autres, identifié comme symbole de l’identité guyanaise54.

2. L’« Orient » dans l’« Occident » : une brève histoire de la colonie

Petit « Orient » enclavé dans l’« Occident » 55, le Suriname suscite questionnements et curiosités : comment la vie se déroule-t-elle dans ce pays amazonien et caribéen, occidental et oriental, chrétien, hindou et musulman — enfin, où la diversité exulte ? Ses caractéristiques orientales ainsi que sa diversité culturelle sont le résultat, entre autres, de la migration de travailleurs venus d’Asie, dont les descendants représentent actuellement presque la moitié de la population. À cela s’ajoute la reconnaissance gouvernementale des différentes communautés ethnoculturelles formées par chaque groupe de migrants, chacun constituant des éléments essentiels de l’histoire nationale.

Avant l’arrivée des Européens, au XVIème siècle, son territoire était habité par des Amérindiens et, pendant longtemps, il a été l’objet de disputes entre Anglais et Néerlandais. En 1667, les Néerlandais en prennent possession, en échage de la

53 WILNER, Wortubuku Ini Sranan Tongo : Sranan Tongo – English Dictionary, 2007, op. cit.

54 Sur ce sujet, voir CLEAVER, Anne Julieta Teodoro. Ni vue, ni connue : a construção da nação na Guiana Francesa. Mémoire de master, 168 p. Brasília, Université de Brasília, 2005.

55 En utilisant les termes « Orient » et « Occident », je m’appuie sur l’orientalisme et notamment les travaux d’Edward W. Said (L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident. Paris : Seuil, [1978] 2005), selon lequel l’Orient est une image construite par et pour l’Occident. L’auteur souligne que l’Occident construit dans son imaginaire des stéréotypes sur l’Orient, ces derniers lui permettant en retour de se définir par un jeu de miroirs inversés. C’est donc parce qu’il s’agit avant tout de constructions imaginées que j’utilise des guillemets pour « Occident » et « Orient ».

Nouvelle Amsterdam (actuelle ville de New York) qu’ils concèdent aux Anglais. Bien que la présence anglaise précède celle des Pays-Bas, elle ne s’est faite que sur de brèves périodes, la dernière s’étalant de 1804 à 1816, année où les Pays-Bas ont définitivement consolidé leur mainmise sur la région qui prend dès lors le nom de Guyane Néerlandaise56. Paramaribo, capitale de la colonie, n’était, jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle, qu’une petite ville de second plan, les colonisateurs privilégiant les Indes Orientales Néerlandaises (Nederlands Oost-Indië) qui, après l’Indépendance, deviendront l’Indonésie.

La diversité d’origine des habitants de la colonie néerlandaise s’est élargie avec l’acquisition d’esclaves d’Afrique de l’ouest, pour le travail dans l’agriculture d’exportation (principalement le sucre et le cacao) sur laquelle était basée l’économie de la colonie. La main d’œuvre esclave a été utilisée jusqu’en 1863, date d’abolition de l’esclavage. À partir de là, les colonisateurs suivent le modèle adopté par les Britanniques au Guyana57 : pour remplacer les esclaves ils font venir des travailleurs de Chine, d’Inde Britannique (Raj Britannique)58 et des Indes Orientales Néerlandaises, principalement de Java, l’île la plus peuplée (dans laquelle se trouve Jakarta, la capitale de l’actuelle Indonésie). Ce changement dans le modèle du régime de travail explique l’originale configuration populationnelle du Suriname actuel, dont — rappelons-le — près de 50% de la population est d’origine asiatique.

En 1854, avant même la fin de l’esclavage, les premiers travailleurs asiatiques arrivent, afin de préparer la colonie à la substitution de la main d’œuvre esclave. Il s’agit alors de Chinois originaires du sud-est de la Chine et parlant la langue hakka.

L’arrivée de ces Chinois, qui durera jusqu’en 1874, est numériquement moins importante que celle des travailleurs d’autres pays : entre 1873 et 1916, 34.304 individus sont arrivés d’Inde Britannique, notamment des anciennes Provinces Unies et

56 ROSA RIBEIRO, A construção da nação (pós-)colonial : África do Sul e Suriname, 1933-1948, op. cit.

57 Des Portugais des Îles Madère ont été engagés pour accomplir les travaux agricoles en Guyane Britannique, mais ils sont vite supplantés par les travailleurs asiatiques (MENEZES, Mary Noel. The Portuguese of Guyana : a study in culture and conflict. Gamdi-Ananda : Ananda Press, 1995 ; DALY, Vere T.

The making of Guyana. Oxford : Macmillan Caribbean, 1974).

58 « Inde Britannique » est la dénomination générique des colonies de l’Empire Britannique dans le sous-continent indien entre les années 1858 et 1947, incluant les territoires actuels du Pakistan, de l’Inde, du Bangladesh et du Myanmar.

de l’Oudh — les actuels Bihar et Uttar Pradesh (dans le nord de l’Inde)59 —; entre 1893 et 1940 (dernière année d’arrivée d'immigrés au Suriname), 33.000 travailleurs sont venus des Indes Orientales Néerlandaises, majoritairement de langue javanaise60. Le point de départ de l’immigration asiatique a été marqué par l’arrivée du navire Lalla Rookh, en 1873, avec les 399 premiers immigrés originaires d’Inde Britannique, arrivant avec des contrats signés qui les obligeaient à rester travailler durant cinq ans.

L’idée initiale était que, à la fin de ces contrats, les immigrés (et leurs familles) retournent sur leur terre natale, ce qui ne s’est pas produit, la majorité étant restée dans la colonie, comme cela a été le cas en Guyane Britannique61.

Le résultat de ce processus de colonisation est ce qui a conféré à la Guyane et au Suriname un profil différent des autres pays sud-américains, bien plus proche de l’environnement culturel des Caraïbes. À ce titre, ils intègrent la Communauté des Caraïbes (Caricom)62, mais aussi l’Organisation de la Coopération Islamique, qui réunit les pays à majorité musulmane ou avec une minorité musulmane significative.

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