• Aucun résultat trouvé

A.Kleniewski et le séminaire de la FEA ouvrent officiellement la voie vers un nouveau monde qui intègre des versions du principe technologique sans CFC. Le porte-parole du LEREM

224 Ibid., p21.

188

s’adresse au collectif industriel déstabilisé et affirme que la transition qui advient est tout à fait possible et envisageable. Il s’agit de correctement réaffecter la manne dégagée par l’abaissement des prix du propulseur vers des investissements garantissant la sureté des aérosols produits. La nature même du risque à prendre en compte change. On saisit ici que le thème de la sécurité constitue un point de basculement. D’un monde avec CFC dans lequel l’industrie des aérosols est confrontée à un risque planétaire difficilement cernable, techniquement hors de portée de la plupart des entreprises en dehors des producteurs de CFC eux-mêmes, et remettant en cause jusqu’à la pertinence même du principe technologique de l’aérosol, il devient possible de se diriger vers un monde sans CFC dans lequel le risque devient un objet calculable et gérable par un travail collectif d’ajustements techniques et réglementaires. Si contester les rapports scientifiques internationaux peut apparaitre comme une peine perdue pour une partie de l’industrie des aérosols, se transformer de l’intérieur pour assurer la continuité de l’activité productive constitue une option opérationnelle à considérer sérieusement.

Dans ce basculement collectif, un acteur majeur participe à faire pencher la balance : les assureurs. Le problème de l’assurance des risques industriels liés au changement de propulseur émerge au début des années 1980, aux États-Unis dans un premier temps. Le risque industriel que représente une massification de l’emploi d’hydrocarbures comme propulseur aérosol devient rapidement un problème central dans la reconversion éventuelle de toute l’industrie des aérosols à un mode de production sans CFC.

Et c’est un conditionneur à façon américain qui interpelle ses homologues européens au travers de la revue. Il s’agit de Montford A. Johnsen (Peterson/Puritan), le pionnier de la reconversion de la production aérosol sans CFC en 1975. L’article en question est publié en

189

avril 1981226, soit trois ans après l’interdiction des CFC pour l’usage aérosol déclarée en 1978 aux États-Unis. C’est sur la base du travail d’enquête riche et condensé fait par Montford A. Johnsen que je vais décrire le positionnement des assurances dans la nouvelle dynamique de composition du collectif des hydrocarbures. Les assureurs industriels américains, Factory Mutual en l’occurrence, font un constat sans appel lors de la visite du stock de l’entreprise Butt Grocery Company :

“(…) il y avait de l’ordre de 55 à 77 palettes en stock avec des aérosols et que certains de ces produits

aérosols, en cas d’incendie, étaient tellement

inflammables qu’ils mettaient hors de combat tout système normal de sprinklers et pouvaient donc de ce fait anéantir complétement tous les bâtiments(…)”227

A la suite à cette visite, les assureurs expliquent la situation au responsable des stocks en mentionnant qu’ils avaient récemment requalifié les aérosols remplis de propulseur hydrocarbure comme « dangereux ». L’assureur précise au responsable que la plupart des insecticides et des produits ménagers sont concernés. Ce constat de l’assureur met le distributeur face à un dilemme : soit il ajuste son bâtiment de stockage à ce produit désormais « dangereux » en « dédoublant la puissance des sprinklers228, en limitant l’occupation au sol à la hauteur d’une seule palette ou en entreposant les aérosols dangereux dans une enceinte de protection spéciale, capable de retenir à coup sûr les boîtes qui volent dans toutes les directions et d’interdire ainsi la formation de foyers secondaires », soit il se « défait des

226 Montford A. Johnsen, Peterson Puritan Inc., « Les efforts de la Facury Mutual », Aerosol Report, Vol.20,

n°4/81, p126-138.

227 Montfort A. Johnsen, « Les efforts de la Facury Mutual », Aerosol Report, Vol 20, 4/81, p126.

228 Les sprinklers sont des dispositifs anti incendie très répandus aux USA. Placés au plafond et branchés

directement sur le circuit d’eau du bâtiment, ils se déclenchent avec la chaleur pour arroser l’ensemble de la zone incendiée.

190

stocks »229. Ceci signifie que, pour poursuivre la vente d’aérosols, certains distributeurs devront investir une somme d’argent considérable.

Cette vigilance nouvelle du secteur de l’assurance industrielle ne s’est pas manifestée spontanément. Comme l’explique Montford A. Johnsen dans l’article, un important sinistre par le feu a eu lieu en 1978 dans le « dépôt géant de Pathmark » qui fut entièrement détruit. Suite à ce sinistre, évalué à 80 millions de dollars, 60 millions furent pris en charge par trois des quatre propriétaires de l’entreprise Factory Mutual. Et c’est cet « incendie gigantesque qui amena les propriétaires de la Factory Mutual à engager 200 000 dollars pour l’étude de l’inflammabilité des produits aérosols dans des conditions de simulation reproduisant celles de l’entrepôt »230. Tous les distributeurs d’aérosol ne possèdent pas la trésorerie suffisante

pour se permettre ces investissements lourds, et de ce point de vue les producteurs d’aérosols sont d’accord sur le fait que « la Factory Mutual crée lentement mais sûrement des problèmes considérables au système de distribution »231. La Factory Mutual change les règles. En entravant le circuit de distribution, elle menace la circulation fluide des produits dans les espaces marchands américains et bientôt européens.

C’est pourquoi une série de contre-expertises est engagée par plusieurs acteurs : deux associations industrielles américaines National Paint and Coatings Association (NPCA) et la Consumer Specialty Products Association (CSMA), ainsi qu’une grande entreprise Johnson & Johnson. Les deux associations représentent les intérêts d’entreprises qui travaillent avec l’industrie des aérosols pour une partie de leurs débouchés. De son côté, Johnson & Johnson est le leader mondial des aérosols ménagers et des insecticides, qui sont deux catégories d’aérosols utilisant déjà à cette époque essentiellement des propulseurs hydrocarbures. L’objectif des trois contre-expertises menées simultanément est de contester et/ou négocier la 229 Ibid., p127.

230 Ibid., p128. 231 Ibid., p128.

191

révision des contrats d’assurance. Johnson & Johnson et la CSMA organisent des essais afin d’enquêter sur des problèmes d’inflammabilité liés à l’organisation des stocks. En parallèle, la NPCA engage des recherches visant à mesurer le potentiel d’inflammabilité d’une multitude de formulations aérosols. La dernière étape annoncée suite à la conclusion de ces programmes d’essais consiste à les faire converger. Ce qui signifie reproduire les essais CSMA en y incorporant une série de formulations aérosols « typiques ». En effet, Montford A. Johnsen souligne que « la plupart des produits aérosols courants ne ‘cadrent’ naturellement pas dans les ‘trois’ divisions auxquelles appartiennent les formules d’aérosol étudiées par la Factory Mutual »232. Pour mener à bien ce dernier programme mixte et très couteux pour les entreprises, l’article mentionne que l’effort se doit ici d’être collectif. L’appel est lancé à l’ensemble de l’industrie américaine et européenne : « 42 firmes américaines sont susceptibles de patronner l’opération et de l’aider financièrement. On escompte également des contributions de la part de la FEA… »233. Cet article détaillé se conclut par une réflexion sur

l’implication du Canada et de l’Europe dans la gestion de cette externalité non prévue du problème CFC/ozone. Il explique cette implication comme le résultat de la structure même du secteur assurantiel :

“Les assurances ont des ramifications et des

interconnections à l’échelle internationale, chaque

problème soulevé aux États-Unis risquerait fort de ‘déborder’ au-delà et de donner l’occasion à des interventions d’ordre privée ou à de nouvelles exigences

de la part d’autorités dans d’autres parties du monde.”234

C’est parce que le réseau des assurances est international que le problème détecté aux États- Unis concerne toutes les entreprises impliquées de près ou de loin dans la fabrication 232 Ibid., p130.

233 Ibid., p134. 234 Ibid., p127.