• Aucun résultat trouvé

Le logotype « protection de la couche d’ozone » apposé sur l’étiquette des emballages aérosols suite à la signature des accords de Montréal constitue une trace contemporaine du problème CFC/ozone qui fait encore débat au sein des membres de l’industrie française. Nous savons grâce à Franck Cochoy que les emballages constituent des sites empirique permettant d’« observer le consommateur indirectement, de façon oblique, en observant son reflet dans le miroir du packaging » (Cochoy, 2002, p95), mais ils constituent aussi un point d’entrée original et pertinent pour comprendre ce qui est en jeu du côté du collectif de l’offre. A l’origine, l’apposition du logotype « protection de la couche d ’ozone » est une décision du CFA consistant à promouvoir une transition industrielle rapide vers des aérosols sans CFC. Pour ce faire, l’association signe une convention avec l’Etat. Au travers du logotype, deux locuteurs différents s’expriment. D’un côté l’industrie via l’action du CFA souhaite rendre visible la disparition des gaz propulseurs CFC de tous les boitiers aérosols français et donc l’ajustement effectif du principe technologique à la critique environnementale. De l’autre côté, l’Etat est garant de ce changement puisqu’il valide ce logotype et sa signification. Pour reprendre la métaphore de l’âne de Buridan utilisée par Cochoy, voyant un champ plus vert que l’autre, l’âne ne meurt pas de son hésitation. Le logotype est ainsi supposé fournir un signe distinctif au consommateur pour qu’il fasse le choix d’un aérosol sans CFC : utilisé par tout le collectif industriel, il devient un levier pour soutenir et revendiquer un projet de transformation de l’appareil productif.

En 2001, la convention est déclarée caduque par les deux parties. Les CFC ayant été effectivement totalement éliminés des aérosols présents sur le marché français, le logotype n’a plus de raison d’être. Le CFA recommande alors très fortement à ses adhérents de le retirer

154

pour ne pas entretenir la confusion chez les consommateurs. Il s’appuie notamment sur une raison légale :

« En France il est interdit de faire la publicité d’une obligation légale. Le problème est que le CFA ne peut faire que des recommandations, l’association n’est pas capable d’interdire… »161

De la même manière que pour le projet d’apposition du logotype dans les années 1990, le CFA ne peut qu’orienter les choix de ses adhérents. Changer une étiquette sur des centaines de milliers d’aérosols représente un coût réel pour une entreprise et de fait certaines résistent à cette nouvelle initiative. Lors du salon « Aerosol Dispensing Forum » de 2014, j’ai pu assister à plusieurs conversations ayant pour objet l’étiquetage des aérosols de manière générale162.

Au cours de ces discussions j’ai relevé des échanges récurrents au sujet du logotype « protection de la couche d’ozone ».

161 Entretien avec le secrétaire général du CFA effectué en 2016, code : SCFA2016.

155 En voici un court extrait :

« B. : je ne suis pas sûr que ce soit clair pour la population. Je pense qu’il y a sûrement des gens qui pensent que ça bouffe encore la couche d’ozone. A. : comment la confusion ne peut pas être là… il y a eu toute une époque où certains marquaient ‘CFC free’ et d’autres se disaient ‘bon c’est passé on va parler des bénéfices du produit’. Les consommateurs voyaient donc des aérosols avec et d’autres sans (cf. le logo CFC). Et ils pensaient que ceux qui n’avaient rien ‘bien sûr ils contiennent des CFC !’ C’est très idiot, on a vécu comme ça pendant des années… »163

Les produits mis sur le marché par différentes entreprises présentent des variations d’étiquetage et de logotypes qui mettent à l’épreuve l’unicité revendiquée par l’industrie des aérosols dans ses brochures. Comme le précise l’extrait, toute une gamme de produits aérosols mentionnant ou non l’absence des CFC coexistent actuellement dans les rayons des supermarchés. Cette coexistence « entretient une réelle confusion dans l’esprit des consommateurs en sous entendant que certains aérosols contiendraient encore des CFC et ce n’est pas le cas »164. Tout ceci conforte les retardataires dans leur position, si la confusion

règne autant maintenir le logotype.

Les travaux de Cochoy permettent de saisir toute la complexité de l’organisation des médiations marchandes à partir de l’ancrage empirique à la fois simple et riche de l’emballage. En lien avec ce questionnement, les acteurs de l’aérosol font ici émerger un autre type de problème : l’obsolescence d’un logotype qu’ils ont eux-mêmes demandé. Ce phénomène ne devient visible qu’à partir d’une perspective diachronique. La confusion dans

163 Ibid.

156

l’esprit des consommateurs d’aérosols n’est pas due à une mauvaise opération d’assemblage du logotype avec d’autres éléments de l’étiquette (Cochoy, 2000) mais à la coexistence de produits avec et sans cette information à la suite d’une transformation du produit lui-même. L’apposition d’un label ou d’un logotype demande un le long travail de coordination et de stabilisation d’entités hétérogènes. On voit cependant qu’ici le retrait d’un logotype semble être une opération tout aussi complexe et demande l’action coordonnée de l’ensemble des entreprises. L’apposition collective d’un logotype, une fois stabilisée, présente une certaine irréversibilité.

L’emballage et son étiquette font l’objet d’une tension collective. En ce sens la mobilisation d’un moment critique passé génère un nouveau moment critique mais cette-fois interne à l’industrie et finalement peu visible par les consommateurs. Si peu visible d’ailleurs qu’il y a confusion. Par ailleurs, ce moment critique se caractérise par la dynamique à double sens du CFA montrant la complexité de la gestion collective de l’image de l’industrie via la politique de l’étiquetage. L’association française agit auprès de ses adhérents pour promouvoir certains comportements et pour tenter d’en contenir d’autres considérés comme étant en décalage avec l’air du temps. C’est une modalité d’action mesurée de l’association par les recommandations qui vient s’ajouter à son autre modalité d’action par la formation mobilisée dans le cadre de la FMA pour faire exister un collectif. Les effets contemporains du problème CFC/ozone se traduisent ainsi par une capacité du CFA à agir sur une industrie et ses publics sans pour autant être en mesure de contraindre cette dernière. Faire exister une industrie et en défendre les intérêts passe ici par une volonté de rendre l’ensemble des produits aérosols cohérents visuellement pour les consommateurs. Toutefois nous allons voir que cette cohérence et la capacité à agir collectivement sont des compétences de l’industrie des aérosols qui ont été mises à rude épreuve au cours des quinze années de la controverse sur la couche d’ozone.

157