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Avec un certain délai par rapport aux États-Unis, des entrepreneurs européens se lancent dans la production industrielle d’aérosols après la Seconde Guerre Mondiale. Au cours de cette période initiale (1945-1960) la plupart des entreprises sont tributaires d’un système de licences américaines permettant l’exploitation des brevets ainsi que l’importation des techniques de production d’entreprises situées outre-Atlantique41. Dupont de Nemours

négocie des licences avec des entreprises de chimie situées en Europe afin de produire des gaz propulseurs de type chlorofluorocarbone (CFC). Chaque entreprise dépose néanmoins une marque propre pour les mêmes gaz : les gaz « Frigen 11 et 12 » sont produits par Solvay Fluor GMBH et par Hoechst GMBH en Allemagne, le « Kaltron » est produit par Kali-Chemie en Allemagne également, l’« Algofrene » par Montecatini en Italie, les gaz « Arcton 11 et 12 » sont produits par ICI en Angleterre, les gaz « Forane 11 et 12 » sont produits par Ugine Kuhlman en France42. Ce sont tous des équivalents européens du Freon43. D’autres entreprises

comme Valve Precision, fabricant de valves aérosols et détenteur du brevet déposé par Robert Abplanalp44, installent progressivement des succursales en Europe. Des fabricants de boitiers

39 « Imperial Chemical Industry » (ICI) : Statistiques Aérosol 1972-1979, Aerosol Report, Vol. 20, N°2/80, p68. 40 L’industrie des aérosols française en 1969, Aerosol Report, Vol. 9, N°2/70, pp133-146.

41 Entretien effectué avec fabricant de valve en 2014 (vétéran n°1).

42 Cook T. A., Mastering Purchasing Management for Inbound Supply Chains, CRC Press, Taylor & Francis

group, 2011, pp328-334.

43 “Fréon” est une marque déposée par Dupont. Ce nom recouvre tout une gamme de gaz de la famille des

chlorofluorocarbones (CFC) aussi bien utilisés pour la réfrigération que comme gaz propulseurs dans les aérosols. En faisant varier la composition chimique de ces gaz, les fabricants d’aérosols peuvent adapter comme ils le souhaitent la pression interne de leurs produits (Carnet « CFA » N°1 2014 -2015).

44 Le brevet US2631814 de Robert Abplanalp est déposé en 1949 et accepté en 1953. Il est reproduit en annexe

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métalliques (Metal Box) et de boitiers en verre (Desjonquières) s’intéressent aussi à cette nouvelle technologie d’emballage45.

Ainsi entre 1945 et le début des années 1950 se met progressivement en place un tissu industriel de la fabrication d’aérosols entre les États-Unis et l’Europe.

“Cette industrie est alors constituée de ces «… entreprises pionnières qui frayèrent le chemin pour la mise en œuvre de l’emballage aérosol européen : Farbwerke

Hoechst (Allemagne), Imperial Chemical Industries

(Angleterre), Electrochimie d’Ugine (France), J.A.

Smalbach AG (Allemagne), The Metal Box compagny

(Angleterre), Bombrini Parodi-Delfino (Italie), Precision

Valve Corporation (États-Unis), Dr. Carl Han AG

(Allemagne), Le Fly Tox (France), Vereinigte Deutscho Metallwerke AG (Allemagne), Aikem International (Suisse), J.R. Geigy AG (Allemagne), Aerosol Service (Suisse), Aerosol Compagny Holland (Hollande), Elekal (France), Majoneire Dawson (États-Unis) »46.

On peut différentier six groupes parmi ces entreprises pionnières : les remplisseurs en marque propre (Fly Tox), les fabricants de boitiers (Metal box ou Vereinigte Deutscho Metallwerke AG), les fournisseurs de chimie (Electrochimie d’Ugine, Farbwerke Hoechst ou Imperial Chemical Industries), les fabricants de valves (Precision Valve Corporation), les fabricants de machines d’usine (J.A. Smalbach AG) et les conditionneurs à façon (Aerosol Compagny Holland ou Aerosol Service).

En 1962, l’industrie européenne des aérosols se développe principalement dans les quatre pays leaders qui produisent annuellement à eux seuls 86% des 295 millions d’aérosols

45 Compte-rendu de l’Assemblée Générale du CFA de 1964. Les entreprises mentionnées participent à la réunion

et sont donc membres du CFA.

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européens mis sur le marché. L’Allemagne est en tête avec 102 millions d’unités suivie par le Royaume-Uni (62 millions) puis viennent la France (51 millions) et l’Italie (39 millions). En Allemagne ainsi qu’au Royaume-Uni les produits du type « laques capillaires » sont en tête des ventes avec respectivement 71 millions et 18,6 millions d’unités produites47.

À titre de comparaison les entreprises situées aux États-Unis produisent la même année 1135 millions d’unités dont 253 millions sont des laques capillaires. Aux États-Unis, la production de gaz propulseurs pour aérosols est assurée par quelques grandes entreprises : Dupont de Nemours produit principalement des Chlorofluorocarbones dits CFC48, du Dyméthyléther (dit DME) et de l’azote, Union Carbide produit les mêmes gaz, les grands groupes pétroliers américains comme Mobil ou Texaco sont les principaux revendeurs de butane/propane. Tel qu’il est décrit dans les articles de la revue, le marché américain est un marché de production de masse de produits aérosols à faible valeur ajoutée. Peu d’entreprises fabriquent elles- mêmes leurs propres aérosols, et la majorité de ce marché est ainsi détenu par une dizaine de conditionneurs à façon travaillant comme sous-traitant pour d’autres marques. La plus grande firme pionnière du conditionnement à façon aux États-Unis dans les années 1950 est Aerosol Technique Inc. Elle est directement concurrencée une décennie plus tard par une autre entreprise Puritan Corporation dont l’histoire permet de donner une idée très concrète de l’expansion rapide de l’industrie des aérosols à cette époque. Harvey White, un homme d’affaires américain, entre dans l’industrie des aérosols en 1959 en rachetant l’usine Puritan Corporation située à Boston49. Alors qu’elle ne comporte que seize employés cette année-là,

la compagnie devient en six ans un des plus grands fabricants d’aérosols au monde en produisant 10% du total de la production américaine, soit 100 millions d’unités par an (deux

47 Cahil D.B., Analyse statistique de l’industrie européenne des aérosols, Aerosol Report, Vol. 3, N° 4/64, p67. 48 Le CFC se déclinent principalement en CFC-11 (CCl3F) ayant un point d’ébullition à 24°C et le CFC-12

(CCl2F2) ayant un point d’ébullition à -30°C. En mélangeant ces deux gaz on peut ainsi obtenir tout une gamme de pressions à température ambiante.

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fois la production nationale française de l’époque). En tant que conditionneur à façon, Puritan Corporation assemble des aérosols pour le compte de plusieurs entreprises clientes, ses productions sont donc très variées : pharmacie, alimentaires, produits ménagers, produits techniques pour l’industrie. Puritan Corporation est un acteur important de l’industrie des aérosols mondiale qui, nous le verrons au chapitre suivant, tient une place spécifique dans la dynamique de la crise des gaz CFC et de l’ozone en tant qu’intervenant américain dans le milieu industriel européen.

Les deux premières décennies de l’industrie des aérosols (1945-1965) se caractérisent ainsi par une forte expansion du nombre d’unités produites et un mouvement rapide d’internationalisation dont l’origine se trouve aux États-Unis. En témoigne ce graphique publié en 1964 dans Aerosol Report et prévoyant un doublement de la production européenne en cinq ans d’ici 1970.

Figure 1 : Graphique issu de Aerosol Report de mai 1964,

en abscisses les années et en ordonnées le nombre d'aérosols produits en millions d'unités.

Si les marchés européens et américains sont similaires quant aux types de produits commercialisés avec notamment la forte domination des laques capillaires, la technologie

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utilisée présente de légères variations. Tout d’abord, les entreprises américaines privilégient des boitiers en fer blanc moins couteux (90% du marché)50 alors que les entreprises européennes utilisent majoritairement des boitiers en aluminium (70% du marché) 51 au rendu

plus esthétique, mais aussi plus cher à l’achat. Ensuite, les gaz propulseurs sont utilisés dans des proportions inversées avec une domination des gaz butane/propane aux États-Unis (70% du marché) et des CFC en Europe (80% du marché)52. Enfin, la composition du secteur diffère aussi avec une tendance forte à l’auto-conditionnement en Europe, alors qu’aux États-Unis la majeure partie de la production nationale est assurée par des conditionneurs à façon travaillant pour plusieurs marques. Si le même principe technologique s’exprime ainsi dans des versions différentiées aux États-Unis et en Europe, il s’accompagne aussi de différents collectifs d’entreprises.