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Dans un premier temps, l’action de ces associations d’entreprises était double. Il s’agissait de faire connaitre la technologie aérosol et de résoudre les premiers problèmes posés par son développement. La technologie aérosol se devait d’être désirée par des consommateurs tout en étant capable de circuler à travers le territoire. Or, si sa standardisation accompagnait son industrialisation, ce processus n’empêchait pas la technologie aérosol de rencontrer certaines critiques. Je soutiens ici l’idée selon laquelle la stabilisation de l’industrie des aérosols passait également par une série d’actions menées collectivement afin de développer, voire de 84 Notes de terrain, Carnet « CFA » N°2 2016-2017.

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défendre, la technologie qu’elle produit. Nous verrons que si l’industrie se demandait ce qu’elle était en associant différentes entreprises dans des organisations nationales et internationales au début des années 1960, elle se posait aussi des questions sur ce qu’il fallait faire en tant qu’industrie pour parvenir à se développer efficacement.

Faire circuler l’idée et l’objet

L’expansion de l’industrie des aérosols passait ainsi par des actions collectives de relations publiques, de publicité ou de « propagande » pour reprendre les termes utilisés dans les documents du CFA et dans Aerosol Report. Dans les années 1960, les consommateurs des pays européens découvraient les aérosols lors d’événements publics comme le Salon des Arts Ménagers à Paris ou la « Foire de Snakt Eric » à Stockholm. À cette occasion, les représentants de l’industrie des aérosols présents avec leurs stands …

“(…) s’étonnent qu’une grande partie des visiteurs n’aient jamais vu auparavant de parfum sous la forme aérosol et demandent à s’en faire expliquer le fonctionnement.”86

Durant cette période, les entreprises décidaient alors de mettre en place des actions collectives autour de l’aérosol par pays et par continent. L’équipe de la revue, composée d’experts en aérosol de différentes entreprises provenant de plusieurs pays européens, pensait ainsi qu’il serait bienvenu de prendre

«(…)en considération une campagne de propagande sur le plan international, afin de promouvoir la méthode aérosol proprement dite et d’obtenir peut-être par là une véritable demande des consommateurs »87 .

86 Quo Vadis Aerosol-Industrie, Aerosol Report, Vol.4, N°2/65, p33 87 Ibid.

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L’idée était de communiquer de manière collective parallèlement aux initiatives de chaque entreprise pour valoriser et vendre ses propres produits.

En contrepoint de la diversification des activités productives, la cohésion du collectif d’entreprises à travers des actions de propagande est une autre manière d’assurer à la fois la stabilité et l’expansion de l’industrie dans son ensemble. Les actions de « propagande » constituent un thème récurrent dans la revue et dans les archives du CFA88. Ici aussi les États- Unis servent de modèle. Les auteurs de l’édito « Quo Vadis Aerosol-Industrie ? » de février 1965 font ainsi référence à

“(…) des démonstrations réalisées aux États-Unis dans des

Supermarchés » et « des interviews télévisées de

spécialistes aérosols permettant de révéler et de faire connaitre le principe aérosol lui-même.”89

Comme Claude Rosental l’a montré à propos des ingénieurs et des scientifiques de la Silicon Valley, les démonstrations publiques sont un outil régulièrement mobilisé pour promouvoir des innovations techniques (Rosental, 2013). Et l’auteur de préciser que l’usage de cet outil dépasse largement le rôle de dispositif de persuasion qu’on lui attribue habituellement. Rosental montre notamment que les démonstrations constituent aussi des vecteurs de mobilisation et des dispositifs de management. Les démonstrations publiques envisagées ici par les industriels de l’aérosol doivent être comprises en ce sens. Elles mettent en avant la terminologie « principe aérosol » et montre ainsi que l’aérosol n’est pas conçu comme un objet matérialisé, mais comme une idée générale et collective. Si les produits mis en aérosol peuvent varier, le principe technologique général demeure le même, et c’est lui qui est promu dans ces actions de communication collective. En faisant la promotion de l’idée « aérosol », l’industrie mène une action qui nécessite la mobilisation de toutes les entreprises en dépassant 88 Notes de terrain, Carnet « CFA » N°1 2014 -2015

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néanmoins les intérêts privés de chacune. Les associations jouent alors un rôle essentiel dans le développement (technique, réglementaire et marchand) de ce principe technologique comme dans l’avènement de l’industrie elle-même. Elles sont une courroie de transmission importante de la coordination inter-entreprises, d’autant plus importante lorsque des problèmes surgissent comme le montre l’étude des différents moments critiques abordés dans la thèse (cf. chapitres 2, 3 et 4).

Avec le processus de diversification des activités identifié précédemment, la matérialisation de la technologie aérosol dans différentes versions, qui sont autant de combinaisons spécifiques des parties constituantes d’un produit fini, ne va pas de soi. Pour être en mesure de fabriquer un produit X dans l’usine A, il faut être capable de faire transiter les parties (a,b,c,d…) vers ce lieu de production, puis de faire transiter le produit vers un lieu de vente. Le problème de la circulation des parties et du tout est donc un des premiers problèmes à résoudre pour que des versions différentiées de l’aérosol puissent advenir et être commercialisées. Les entreprises doivent ainsi s’assurer que tout ou partie d’un aérosol « X » est capable de circuler sur un territoire donné. Or, en tant que dispositifs portatifs sous- pression susceptibles de contenir des substances inflammables, les aérosols sont considérés par la réglementation internationale des transports comme des produits dangereux. Dès les années 1960, le transport des produits est, tout comme la promotion du principe, envisagé en Europe comme un problème collectif concernant toute l’industrie. Des négociations à propos de l’adaptation de la réglementation RID (Regulations concerning the International carriage of Dangerous goods by rail)90 aux aérosols ont pris la forme d’un groupe de travail international,

90 En 1890, la Convention Internationale pour le transport de Matières dangereuses (CIM) est signée par un

grand nombre de pays situés principalement en Europe. Son application le 1er janvier 1893 donne naissance à l’Office Central des Transports Internationaux par chemin de fer (OCTI). Le règlement concernant le transport international ferroviaire des marchandises dangereuses (RID) est un des règlements mise en place par l’OCTI. Le 9 mai 1980, la convention relative aux transports internationaux ferroviaires transforme l’OCTI en créant l’Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (COTIF) et le RID devient l’appendice C de cette nouvelle convention internationale. Le siège social du COTIF est identique à celui de son

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composé des délégations officielles de l’industrie des aérosols venues d’Autriche, des Pays- Bas, de la Grande-Bretagne, de la Suisse, de la Tchécoslovaquie, de l’Allemagne et de la France, ainsi que de la FEA. Réuni pour la première fois au siège de l’Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OCTI) à Berne le 17 décembre 1964, ce groupe de travail est parvenu en quelques années à faire valoir un régime spécial pour le transport des aérosols en Europe. Cette adaptation prévoyait notamment de différentier les aérosols des autres équipements de pression comme les citernes par exemple. Moyennant l’usage d’un suremballage en carton limitant le nombre d’aérosols par colis et l’apposition d’étiquettes spécifiques précisant le degré de dangerosité des produits présents dans les récipients, l’adaptation réglementaire autorisait ainsi le transport de grandes quantités d’aérosols par le chemin de fer. En Europe, la réglementation routière s’alignait sur les prescriptions prévues pour le chemin de fer. Les parties d’un aérosol et surtout l’aérosol lui- même sont désormais considérés par la réglementation européenne comme aptes à circuler. Cependant le problème du transport des aérosols n’est qu’un problème parmi ceux qui animent les acteurs nationaux et internationaux de l’industrie des aérosols.

prédécesseur, il est est situé à Berne en Suisse. En 2015 cette convention rassemble cinquante Etats signataires : Albanie, Algérie, Allemagne, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irak, Iran, Irlande, Italie, Jordanie, Lettonie, Liban, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine, Maroc, Monaco, Monténégro, Norvège, Pakistan, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Syrie, Tunisie, Turquie, Ukraine. En Europe, le règlement de transport de matière dangereuse (RID) prévu pour les chemins de fer est identique à celui prévu pour le transport routier et prévu dans l’Accord européen relatif au transport international des marchandises Dangereuses par Route (ADR) élaboré sous l’égide du Comité des transports intérieurs de la Commission économique pour l’Europe de l’organisation des Nations unies (ONU-CEE-CTI) et signé à Genève le 30 septembre 1957. En 2012, on dénombrait 48 États signataires de l’accord ADR : l’Albanie, l’Allemagne, Andorre, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la Fédération de Russie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Kazakhstan, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, le Monténégro, le Maroc, la Moldavie, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, le Tadjikistan, la Tunisie, la Turquie et l’Ukraine. Sources : Niel J.C., Transport des substances radioactives. Sûreté et réglementation, Technique de l’ingénieur, N° BN3845 V2, 2013 ; Saint-Eloi J.P., Transport des matières dangereuses, Technique de l’ingénieur, N° AG8170 V3, 2016 ; Site web de l’Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF) : http://otif.org/fr/ (consulté le 22/02/2018).

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Standardiser les parties pour composer le tout

Le terrain effectué auprès des associations d’entreprises montre que l’action collective des industriels se formule aussi, hier comme aujourd’hui, en fonction de deux autres types de problème : comment combiner les parties d’un aérosol dans le cadre d’une production industrielle ? Et comment éviter que cet aérosol ne se décompose lorsqu’il est confronté aux critiques ? Pour répondre à ces deux questions, les industriels élaborent des connaissances techniques et scientifiques à propos de la technologie aérosol afin d’en stabiliser la forme, mais aussi d’en mesurer les éventuels effets négatifs.

Une première forme d’action collective consiste à élaborer les outils permettant de faire tenir ensemble les parties d’un aérosol, un préalable essentiel à l’existence de l’industrie des aérosols. Pour qu’un boitier « X » soit compatible avec la valve « Y » commandée à un fournisseur, les protagonistes doivent s’assurer à l’avance que le diamètre du col de boitier correspond parfaitement à celui de la coupelle de valve avec lequel il est assemblé, l’étanchéité de l’aérosol fini en dépend. Par ailleurs, la production à grande échelle des aérosols n’est envisageable que si le boitier « X » et la valve « Y » sont réplicables à l’identique en millions d’exemplaires. Ces deux critères de compatibilité dimensionnelle et de réplicabilité supposent la stabilisation préalable de certains formats de valves et de boitiers. Cette stabilisation prend la forme d’une normalisation technique en France, avec l’action engagée par le CFA dès les années 1960 dans sa commission technique, et d’une standardisation à la FEA élaborée plus tardivement en complément de la directive n°5/324/CEE régissant tous les produits aérosols mis sur le marché européen91.

91 La FEA utilise le terme standard dans le sens anglophone pour désigner des documents qui s’apparentent à des

normes techniques européennes non encore validées par le Comité Européen de Normalisation (CEN). Étant donné que les objets étudiés ici sont des normes techniques définissant essentiellement un référentiel technique pour produire des aérosols, j’utiliserai dans la suite du texte les termes de standardisation et de normalisation pour désigner un même type d’opération consistant à stabiliser par l’écriture et l’échange de documents la technologie aérosol.

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La standardisation et la normalisation ne sont pas uniquement des processus techniques, mais peuvent aussi être considérées comme des entrées empiriques pertinentes pour enquêter « sur les différentes formes historiques de couplage entre science, industrie et marché » (Lelong & Mallard, 2000). La standardisation a d’ailleurs fait l’objet de nombreux travaux en sciences sociales comme en témoignent différents numéros spéciaux de revues (Culture technique, 1995 ; Revue française de gestion, 1995 ; Revue d'économie industrielle, 1996 ; Réseaux, 2000). L’introduction du numéro de Réseaux (Lelong & Mallard, 2000)92, ainsi que la liste

des revues citées, met en évidence la variété des approches de cet objet, allant de la sociologie du travail et des organisations (Segrestin, 1996 ; Cochoy, Garel et Terssac, 1998 ; Brunsson & Jacobsson, 2000 ; Reverdy, 2000) à la gestion (Penan, 1995 ; Mignot & Penant, 1995 ; Fioleau & Mévellec, 1995), de l’économie industrielle (Romani, 1996 ; Ravix, 1996) à la sociologie et l’histoire des sciences et des techniques (Mallard, 1998 ; Kessous, 1997 ; Shapin & Shaffer, 1985), en passant la sociologie des conventions (Delfosse & Letablier, 1995 ; Thévenot, 1995). Dans cette littérature, les organisations professionnelles de normalisation (AFNOR, CEN, ISO) constituent des points d’entrée privilégiés pour enquêter sur les processus de normalisation. Les contributions à l’ouvrage collectif World of Standards se focalisent presque uniquement sur l’une d’entre elle, l’ISO, pour répondre à deux grandes questions (Brunsson & Jacobsson ed., 2000) : comment les standards sont-ils créés ? Et quels sont leurs effets ?

Alors que certains travaux se focalisent sur l’action des acteurs économiques privés via le travail de leurs experts dans les organisations professionnelles, d’autres analyses mettent en évidence l’implication forte des scientifiques dans l’élaboration des normes et des standards. Dans ses travaux, David Demortain insiste plus particulièrement sur les collèges de

92 Pour une revue de la littérature plus détaillée sur les processus de normalisation : Lelong, B., Mallard, A.

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scientifiques qui, par la formulation de concepts et leur mise en circulation dans différentes arènes, informent des processus de standardisation des dispositifs réglementaires (Demortain, 2011). De son côté, l’enquête de Olshan sur le travail de normalisation effectué par l’American National Standards Institut (ANSI) et son rôle dans la rationalisation de la vie des citoyens américains est un exemple canonique de la surreprésentation des intérêts privés dans ces processus situés au cœur des sociétés contemporaines (Olshan, 1993). Les approches conventionnalistes (Delfosse & Letablier, 1995 ; Thévenot, 1995) insistent également sur cet aspect en considérant les processus de normalisation comme des conventions de qualité permettant l’organisation des marchés par les producteurs eux-mêmes. Dans ce dernier type d’analyse, l’action des industriels est mise au centre puisque ce sont eux qui élaborent les labels qualité et autres dispositifs de marquages des produits destinés aux consommateurs. Cependant il ne faudrait pas croire à l’existence d’un système de normalisation aux frontières étanches idéalement dessinées entre d’un côté les scientifiques et de l’autre les industriels, les premiers libres de penser des solutions abstraites en amont et les seconds guidés par leurs seuls intérêts. Ce point est particulièrement bien mis en évidence par Demortain dans son étude menée sur les organisations interstitielles, comme l’International Life Science Institute, un organisme central de gestion de la sécurité alimentaire international où l’on retrouve des scientifiques spécialisés dans différents domaines (toxicologie et épidémiologie principalement) dont une bonne partie d’entre eux ont en fait été formés par et pour des industriels (Demortain, 2011). Les profils de scientifiques impliqués dans ces collèges traduit une forme d’hybridation particulière entre science et industrie. Au-delà des conflits d’intérêts possibles, Demortain montre que l’hybridation présente dans ces lieux d’échange explique en partie la solidité d’un standard destiné à contrôler les risques d’une industrie puisque ce dernier fait l’objet en amont d’un compromis satisfaisant pour les industriels.

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Mon travail d’enquête effectué dans les archives des associations d’entreprises sur les processus de stabilisation de la technologie aérosol montre l’existence d’un autre espace intermédiaire peu étudié qui se situerait entre les collèges invisibles décrits par Demortain (2011) et les organismes professionnels de standardisation décrits entre autres par Olshan (1993) ou Brunsson et Jacobsson (2000). En effet, l’activité précoce de la Commission technique au CFA, qui devient au cours des années 1960 la Commission standardisation, met en évidence l’existence d’un travail effectué en amont dans les organisations professionnelles de type AFNOR. La norme AFNOR la plus ancienne concernant les aérosols date de novembre 197193. À cette date, la Commission technique du CFA compte déjà treize ans d’activité intensive à son actif. Ce n’est qu’une fois que le standard ou la norme est considéré comme stable en interne qu’un dossier est préparé et soumis comme une proposition cohérente à un organisme officiel. Au niveau européen

« les standards de la FEA datent des années 1980. Ils ont été mis à jour régulièrement mais ce n’est que récemment qu’ils sont remplacés par des standards ‘EN’ »94.

Si l’on prend l’exemple du standard FEA 202 « Récipients aérosols métalliques à ouverture 25,4 mm – Dimensions des coupelles de valve », ce dernier n’a été adapté par le CEN qu’en 2007. C’est ainsi que le secrétaire général de la FEA nous indique que des normes internes aux associations

« ‘passent’ pour des raisons de visibilité, d’image, de professionnalisme, sous forme CEN ou AFNOR »95.

93 Il s’agit de la norme AF H 44-001 décrivant la terminologie liée à la technologie aérosol.

94 Entretien formel avec un expert CFA et FEA effectué en janvier 2015, (code : Expert CFA FEA entretien n°2). 95 Echange informel avec le secrétaire général du CFA à propos des normes AFNOR (Carnet de Terrain N°1,

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Les organisations professionnelles (ISO, AFNOR) constituent de ce point de vue l’étape ultime de normalisation, et non son commencement.

En effet, la volonté collective d'organiser l'interchangeabilité des parties d'un aérosol s'est manifestée très tôt à une échelle nationale et à l’initiative des associations d’entreprises, comme le montre cet extrait du compte rendu de la Commission technique du CFA.

“À l'Assemblée Générale de la Fédération Européenne des Aérosols, qui s'est tenue à Francfort le 5 octobre 1961,

j'ai exposé aux membres des autres Associations

étrangères, notre projet d'établissement d'un règlement "condition général des ventes". (…) Après discussion il a été décidé que, dans chaque Association d'Europe, le même travail serait entrepris.”96

En France, le CFA mobilisait dès le début des années 1960 les industriels français afin de mettre au point des conditions générales des ventes et d’établir des normes techniques. Une commission était entièrement dédiée à ces questions depuis la création de l’association en 1958. Comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre 3, l’activité du CFA est plurielle et elle se matérialise par la création de différentes commissions au sein desquelles les porte- paroles des entreprises se demandent quels sont les bons moyens d’action pour développer l’industrie des aérosols. La normalisation de la technologie aérosol, comme le travail de relation publique mentionné plus haut, participe ainsi à l’élaboration de l’organisation elle- même.

La dimension organisatrice du travail de normalisation, présente dans la littérature sur les normes et les standards, est aussi la thèse générale défendue dans le numéro spécial de la

Revue d’économie industrielle selon laquelle « les normes constituent des formes instituées de

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coordination industrielle » (Benghozi, Henry, Ravix, Romani, et Segrestin, 1996, p24). En ce sens, les normes et la normalisation peuvent être envisagées comme des conventions entre acteurs soucieux de produire des investissements de formes (Thévenot, 1995, 1997) permettant une coordination entre des connaissances, des produits et des intérêts variés. De ce point de vue, il devient difficile de dissocier d’une part « ce que font les normes » et d’autre part « ce qui fait les normes » (Lelong & Mallard, 2000, p12). En prolongeant ce raisonnement, je considère que le travail technique de stabilisation de la technologie aérosol va de pair avec le travail d’organisation et de définition des intérêts du collectif industriel concerné (cf. chapitre 3). La normalisation est donc une première forme d’action collective qui stabilise ensemble des entités techniques et collectives. À rebours de cette dynamique, des critiques mettent régulièrement à l’épreuve l’assemblage sociotechnique aérosol.

Éviter la décomposition

Une deuxième forme d’action collective consiste à éviter que les versions stabilisées des aérosols ne se décomposent lorsqu’elles sont confrontées à des critiques. Qu’ils prennent une