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Parallèlement aux brochures, le CFA formule également des versions du problèmes CFC/ozone destinées à ses adhérents notamment lors de la Formation aux Métiers de l’Aérosol (FMA). Durant celle à laquelle j’ai assisté en 2014, le secrétaire général, après un tour de table pour présenter les participants, consacre une première intervention aux 153 Entretien avec le secrétaire général du CFA en mai 2014 et novembre 2016 (code : « SCFA 2014 » et « SCFA

2016 ») ; Entretien avec un ingénieur valve et pompe en février 2014 (code : « Valve 1 ») ; Entretien avec un ingénieur matériaux et chimiste en mars 2014 (code : « Expert CFA FEA entretien n°1 »).

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« événements marquants de l’industrie des aérosols »155. Parmi ceux-ci, le second événement marquant est le problème CFC/ozone. A la différence des trames narratives qui guident la fabrication des brochures, cet événement est en général considéré comme étant déjà connu a minima par les participants de la formation. L’intervention ne constitue donc pas un énième récit généraliste du problème CFC/ozone mais propose un traitement particulier de ce dernier visant à « montrer la capacité de résilience de cette industrie »156. La présentation se focalise sur le problème CFC/ozone en tant qu’épreuve et, à ce titre, il est qualifié dans ce contexte de « grande crise de l’ozone ». Il ne s’agit plus de présenter un récit refroidi servant d’appui à une dernière opération de clarification. Le problème CFC/ozone prend ici une dimension critique peu présente dans les brochures.

« …est apparue la grande crise : la controverse sur la couche d’ozone en 1974 (...) ça a entraîné une chute de la production américaine en quelques années de 3 milliards à 2 milliards d’unités. Quand une industrie perd 30% de son activité c’est une vraie crise. »157

Ayant délaissé son aspect scientifique, la narration focalise sur les effets économiques et critiques de la controverse. Le discours historique formalise un événement marquant pour l’ensemble des participants de la FMA. Le secrétaire général, marqué lui-même par son propre passé158, souhaite ici faire part de son expérience de vétéran auprès des nouveaux adhérents. Il témoigne des dilemmes internes générés par le problème CFC/ozone dans son entreprise :

155 Notes de terrain, la Formation aux Métiers de l’Aérosol Jour 1 (Carnet « CFA » N°1 2014 -2015). 156 Entretien avec le secrétaire général du CFA effectué en 2016, code : SCFA2016.

157 Notes de terrain, la Formation aux Métiers de l’Aérosol Jour 1 (Carnet « CFA » N°1 2014 -2015). 158 Entretien avec le secrétaire général du CFA en mai 2014, code : « SCFA2014 ».

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« Il ne fallait pas remplacer un risque potentiel (CFC/ozone) par un risque réel lié à l’inflammabilité des mélanges butane/propane (…) c’était l’état d’esprit chez L’Oréal à l’époque. »159

On perçoit un effet de génération entre ceux qui ont vécu cette grande crise de l’intérieur et ceux qui en écoutent le récit en 2014. Le secrétaire général convoque son propre passé, rattaché à un acteur emblématique comme L’Oréal, pour le partager avec le collectif contemporain en cours de formation. En ce sens, il constitue avec le problème CFC/ozone un moment critique qui définit à la fois le collectif appartenant au passé et celui en train d’advenir. Il souhaite par ailleurs convaincre les stagiaires du fait que s’engager dans la production d’aérosol est une opération qui peut être risquée en termes d’investissement. Un problème tel que celui des CFC et de l’ozone peut survenir à n’importe quel moment. Et d’ailleurs les cas problématiques s’enchaînent dans la suite de la présentation jusqu’aux années 2000. Cette mise en scène montre également une industrie capable de puiser en elle les ressources nécessaires à son maintien en sachant « éviter des obstacles potentiellement mortels »160. Inséré dans une série d’événements marquants qui sont autant d’épreuves

traversées, le problème CFC/ozone constitue en soi un dispositif de preuve de la capacité de renouvellement de cette technologie et de ses acteurs. En combinant cette histoire d’une industrie qui traverse le temps malgré les crises avec l’idée de construire un collectif au sein même de la formation, en favorisant les échanges entre participants, en invitant chacun à se présenter et à participer activement à l’animation des séances de réflexion, le CFA fait exister un collectif contemporain réflexif. Et dans ce processus, la version FMA du problème CFC/ozone joue un rôle rassembleur. Le CFA accompli un geste similaire à celui identifié dans la littérature post-Montréal en mobilisant cet épisode passé pour en tirer des leçons dans

159 Ibid. 160 Ibid.

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le présent. Le problème CFC/ozone devient dans cette présentation historique un moment critique qui sert d’appui pour construire un collectif industriel qui résiste et s’accommode à ce qui se présente. Au final, l’industrie produit elle-même les conditions d’une réification de sa propre existence et de sa permanence, et en ce sens la narration de cet « événement marquant » conforte et alimente les thèses qui s’appuient sur une qualification réductionniste d’un acteur unique défendant un même intérêt. Et de fait, le récit de la FMA laisse percevoir ce qui persiste dans le temps selon le point de vue du CFA et efface en partie les dynamiques collectives qui ont précédé cette prise de position commune. On relève ici une forme de réflexivité produite collectivement au sein du CFA et qui prend pour objet le passé de l’industrie elle-même. C’est ainsi qu’en 2014 dans une salle de formation dans le nord de Paris, les participants de la FMA s’engagent avec le secrétaire général dans une pratique réflexive rétrospective agissant en retour sur le collectif lui-même. Nous qualifions donc ce premier mode de la réflexivité industrielle comme une réflexivité rétrospective.

En proposant lui-même une dichotomie entre des versions publiques et une version professionnelle du problème CFC/ozone, entre un intérieur et un extérieur, le CFA donne aussi à voir une première définition de l’acteur « industrie ». Dans ces versions du problème CFC/ozone, l’industrie apparait comme un bloc unifié qui traverse les crises. Unifié dans les brochures qui présentent l’industrie des aérosols comme la première à avoir volontairement réduit ses émissions de CFC, mais aussi unifié dans l’épreuve avec le récit de la « grande crise » CFC/ozone telle qu’elle est mise en scène lors de la formation. Le problème CFC/ozone formulé comme une crise par le CFA fait ainsi exister une industrie unifiée pour l’ensemble de ses publics. Il CFC/ozone produit par ailleurs d’autres types d’effets contemporains dont certains sont directement visibles sur les aérosols distribués actuellement.

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