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2.1.6 1995-2007 Un nouveau souffle pour le marketing politique français

Les élections présidentielles de 1995 peuvent être considérées comme le redéploiement de la communication politique française. Cette nouvelle dynamique est due, en partie, à une conjoncture particulièrement favorable. En effet, François Mitterrand, le président de la République sortant, ne se représente pas, ce qui rend les élections plus ouvertes car il n'y a pas de prime au sortant. Cependant, il ne faut pas surestimer cette prime au sortant : elle ne saurait suffire à elle seule pour gagner les élections comme le prouvent les échecs de Valéry Giscard d'Estaing en 1981 et de Nicolas Sarkozy en 2012.

Par ailleurs, d'autres facteurs contribuent à redynamiser la communication politique en 1995 : d'abord, il y a la loi du 15 janvier 1990. Cette loi, dans un souci d'assainissement des dépenses de campagne, suite aux scandales sur le financement des partis politiques260, a pour objet d’étendre l'interdiction de l'achat d'espaces

audiovisuels pour promouvoir un candidat et son parti. En complément, la loi interdit l'achat d'espaces publicitaires payants sous toute forme que ce soit. Par conséquent, l'article 52-1 du Code électoral de la loi du 15 janvier 1990 prévoit l'interdiction de la propagande électorale par tout procédé de publicité commerciale pendant les trois mois précédant l'échéance électorale. Par ailleurs, le marketing direct, à savoir le courrier envoyé directement aux électeurs, est également interdit. Dans ce contexte, Jacques Chirac entreprend une tournée électorale dans les campagnes françaises après

260 Inculpation puis condamnation de Henri Emmanuelli, ancien trésorier (puis secrétaire national) du Parti socialiste ainsi

l'élection législative de 1993 sous l'impulsion de sa nouvelle conseillère en communication, sa fille Claude Chirac. De cette façon le candidat du RPR mène une campagne de notoriété pendant deux ans avant l'échéance de 1995.

Cette méthode est également appliquée sept ans plus tard pour les élections de 2002. Cependant cette fois c'est Bernadette Chirac qui mène la campagne de notoriété de son mari. Cette procédure est décidée en vue d’un transfert de notoriété. Bernadette Chirac étant la marraine de l'opération de bienfaisance des « pièces jaunes » qui consiste a collecter pour une fondation caritative présidée par elle-même des pièces de monnaie de petite valeur en partenariat avec les bureaux postaux chargés du ramassage, elle apporte un complément de popularité à son mari candidat pour une nouvelle mandature. Ceci est fait dans le but de préparer à la campagne officielle d'affichage qui évite désormais des redondances en termes de communication. Par ailleurs, la diffusion des émissions de la « campagne officielle » diminue fortement cette année car le téléspectateur a désormais un choix plus large compte tenu des nouvelles chaînes de télévision. Par conséquent, les deux chaînes principales doivent s'adapter pour ne pas perdre trop d'audience. De ce fait, elles ont obtenu le droit de décaler la programmation des émissions de campagne officielle qui deviennent un simple choix parmi d'autres dans les grilles de programmation. La loi du 15 janvier 1990 a aussi un effet structurant poussant les candidats à revenir aux moyens « classiques » de la communication politique : petites réunions et grands meetings. Par conséquent, les candidats, craignant l’inéligibilité suite à une sanction pour dépassement des plafonds de dépenses autorisées, privilégient toujours une interaction directe et personnelle avec les électeurs261.

D'autre part, on peut constater une influence plus visible voire revendiquée de certaines méthodes de communication politique américaine. La première méthode est celle de la proposition de vente unique. Cette méthode est utilisée par Jacques Chirac en 1995 d'une façon assez discrète. En effet, il axe sa campagne autour d'un sujet largement dominant : la fracture sociale. Philippe J. Maarek nous livre un extrait qui

261 Voir les décisions d’inéligibilité du Conseil d’État prononcées par l’arrêt n° 213349 du 29 décembre 2000, Commission

nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. Cotten ou par l’arrêt n° 270563 du 5 novembre 2004, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. B.

illustre bien cette proposition262 : « avec le fossé qui se creuse entre le peuple et ses dirigeants, c'est la cohésion sociale qui s'est brisée. […] Je veux mobiliser toutes nos forces contre le chômage et l'exclusion. » Cette proposition est alors parfaitement adaptée à la conjoncture. D'ailleurs, les mouvements sociaux du mois de décembre précédant la campagne ont en quelque sorte validé ce thème. On peut dire que cette méthode correspond à un travail marketing précis et simple, utilisé en 1992 par Bill Clinton qui a axé sa campagne sur le développement économique. Plus tard, en 1996, ce dernier axe sa campagne pour sa réélection sur ses succès obtenus dans la matière. De cette façon, Jacques Chirac, comme Bill Clinton, a réussi à contrôler l’agenda politico-médiatique durant la campagne en imposant son thème. Cette méthode a permis aux deux candidats de répéter une argumentation très simple pour l'électorat qui a servi à leur popularité et à la pénétration de leur discours. Jean-Marie Le Pen, dans ces deux campagnes de 1995 et de 2002 a également utilisé la proposition de vente unique en insistant sur le fait qu'il n'avait jamais été au pouvoir et que par conséquent, il ne faisait pas partie d’une classe politique incapable d’apporter des solutions nouvelles. Cette argumentation est comparable à celle de George W. Bush qui insiste en 2000 sur le fait de ne pas avoir siégé à Washington avec des politiciens issus d'une classe privilégiée et déconnectés des citoyens de base.

La deuxième méthode est celle de l'organisation de primaires. Celles-ci semblent indiquer un rapprochement entre les partis et les citoyens car les candidats des partis se soumettent à une présélection qui aboutit à leur désignation en tant que candidat officiel. En 1995, Charles Pasqua manifeste son intérêt pour des élections primaires. En revanche, au Parti socialiste, la question ne se pose pas puisque les sondages donnent Jacques Delors favori. Par la suite, la « non candidature » de celui- ci tardivement annoncée crée un vide qui pousse Lionel Jospin, secrétaire du parti, à organiser une élection entre les deux prétendants à la candidature parmi les militants cotisants. Par le biais de cette procédure, il obtient les suffrages des membres des sections et acquiert ainsi une position forte sur l'échiquier électoral. Ce mode de désignation permet à Lionel Jospin de focaliser les médias sur sa candidature. En effet les retransmissions de vote dans les sections de province du Parti socialiste sont nombreuses. D'autre part, cet effet d'agenda s'accompagne d'un effet de cadrage