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La fabrication de l’image de Nicolas Sarkozy en tant que personnage politique

LORS DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES AUX É TATS U NIS ET EN F RANCE

1.8 L’ IMPORTANCE DU PATHOS DANS LA COMMUNICATION POLITIQUE DE N ICOLAS S ARKOZY ET LA PROBABLE

1.8.3 La fabrication de l’image de Nicolas Sarkozy en tant que personnage politique

Nicolas Sarkozy semble toujours avoir envie de plaire, de séduire et de convaincre son public (ou le lecteur/auditeur) composé d’électeurs potentiels. Il est aussi possible de penser qu’il a besoin de contact humain, d’établir une relation personnelle, de forcer la sympathie. On entend souvent dire que c’est un affectif. Mais Nicolas Sarkozy est également considéré par de nombreuses personnalités de la télévision comme « un enfant de la télé ». Lui-même avoue avoir toujours été un grand consommateur de ce média et se décrit comme un « spectateur assidu ». En tant

122 Discours de campagne de Nicolas Sarkozy du 18 décembre 2006 à Charleville-Mézières (Ardennes).

123 Esthétiser v.t. Rendre quelque chose esthétique, plaisant à regarder. Source :

que tel, il a compris comment cet outil fonctionne. Il a trouvé une façon de se présenter qui lui a permis d’arriver à « la dernière marche ». Ce positionnement englobe ses origines, ses choix politiques et sa vision de la société française. Nicolas Sarkozy met en avant ses origines hongroises pour se positionner en tant que fils d’immigrés qui a réussi. Il déclare ainsi avoir dû travailler, et se battre, beaucoup plus que les autres (aussi contre les autres) et ce, à cause d’un élitisme français qui voudrait que lorsque l’on n’est pas issu d’une famille française de souche (de surcroît bourgeoise ou aristocrate) il soit pratiquement impossible de faire les « bonnes écoles » et d’arriver à une bonne position. Bref, il fait allusion à un ascenseur social que les immigrés, leurs enfants ou encore les classes sociales les plus défavorisées ne peuvent pas prendre. Ce qui revient à dire que l’ascenseur social n’existe pas, étant donné que les personnes se situant au bas de l’échelle sociale, ont tendance à y rester tandis que ceux qui sont en haut vont conserver leur position et les privilèges qui vont avec.

Voici un exemple de ce que Nicolas Sarkozy peut exprimer pour créer de l’empathie avec des jeunes issus de milieux défavorisés : « Je viens du bas. J’ai pas commencé par les cabinets ministériels et j’ai monté tous les échelons. Parce que j’vais vous dire un truc, moi : si tous les autres ils s’étaient pas vautrés, ils s’étaient pas gourés, c’est pas un mec comme moi qui y serait arrivé ; parce que vu de vous, moi je fais élite, mais vu des élites, moi, je fais enfant des quartiers : "Qu’est-ce qu’il fait là lui ?" Est-ce que je me fais comprendre ? Pourquoi ? Parce que j’ai pas fait les mêmes écoles. Parce que j’ai pas le même nom, parce que j’ai pas le même profil, parce que j’ai pas la même façon de parler. Et parce que moi, j’ai jamais baissé la tête non plus. Quand Chirac voulait que je la baisse, je lui ai dit : "Non, c’est pas comme ça que ça se passe." J’me suis battu plus qu’aucun autre. Ils ont voulu me tuer, mais je suis toujours là124. » Néanmoins, ces propos du futur candidat officiel de l’UMP à l’élection présidentielle, devenu ensuite président de la République, et vantant le mérite d’une lutte pour progresser dans la société se trouveront en contradiction par la suite, le 13 octobre 2009, avec l’affaire de l’EPAD125, où son fils Jean, aspirait à

diriger cet établissement, à 23 ans et sans diplôme universitaire et sans expérience.

124 Caméra cachée produite par grignywood.com le 12 février 2007, lors d’une rencontre avec des « jeunes de banlieue » au

ministère de l’Intérieur.

Dans la recherche d’un positionnement « populaire » Nicolas Sarkozy se veut proche d’un large nombre d’électeurs. De ce fait il revendique volontiers une non appartenance à la classe politique traditionnelle issue de l’élite et représentée par ses prédécesseurs. Ainsi, le langage est un facteur important de rapprochement. Nicolas Sarkozy se veut un homme accessible par son discours. « Les Français ne supportent plus d’avoir une classe politique qui emploie des mots que personne ne comprend126. » Alors qu’il opte pour une stratégie d’exposition médiatique importante

depuis mai 2002, Nicolas Sarkozy prétend, selon Marianne, ne pas vouloir contrôler son image à des fins politiques. « Je refuse tout ce qui est artifice pour façonner à tout prix une image, les photos avec femme et enfants, la success-story, vouloir se faire aimer, poser en tenue décontractée127. » Pourtant, il n’hésite pas, entre autres, à se

montrer en compagnie de Carla Bruni le 15 décembre 2007 au parc d’attraction Disneyland Paris. Par conséquent, s’il prétend être naturel et refuser les mises en scène, ses actions viennent contredire ses propos, ce qui perpétue l’image négative des hommes politiques dans l’opinion.

Ceci a pour conséquence de créer des petites séquences qui font qu’il reste présent dans l’esprit des gens qui sont tantôt amusés, tantôt agacés mais qui ne restent pas indifférents et suivent ainsi les événements comme dans un feuilleton. Peut-être dans cette même logique, il dit à Arlette Chabot : « Alors ne le répétez pas trop fort, mais j’ai un cœur. Il bat à gauche. Il bat aussi vite que les autres. Mais parfois, peut- être à tort, je pense qu’il faut avoir de la pudeur128. » Il semble difficile de comprendre ce propos qui a des allures de confidence personnelle mais ressemble plus à une déclaration tactique bien que maladroite. En effet, cette allusion au cœur et à la gauche n’est pas passée inaperçue des observateurs. Alors est-ce que c’est une forme de provocation ou une annonce prudente d’ouverture ? Un clin d’œil, à l’électorat de gauche ? En tout cas il est intéressant de relever ce commentaire dans le cadre de l’émission où il a été dit, à savoir : À vous de juger.

126 24 juin 2005, journal télévisé de 20 heures sur France 2

127 Marianne le 14 avril 2007, p. 25.

Nicolas Sarkozy est considéré comme une personne spontanée et parfois excessive, voire même agressive. Le candidat de l’UMP ne jouissait pas d’une image sereine. Lui-même en a parlé dans Le Point : « J’étais égoïste, dépourvu de toute humanité, inattentif aux autres, dur, brutal… mais j’ai changé129 ! » Durant la campagne présidentielle, il a souhaité se montrer comme une personne calme et ouverte. Lors de son investiture par l’UMP, le 14 janvier 2007, il déclare avoir changé suite à une meilleure compréhension de la situation délicate dans laquelle se trouvent certains Français. Il a fait allusion à « l’ouvrier qui a peur que son usine ferme » en adoptant un positionnement plus posé qui se veut rassurant. Il a aussi demandé à ses militants de le comprendre et de lui donner la possibilité d’aller vers tous les Français car il était désormais leur candidat et non plus celui de l’UMP uniquement. Ceci a pu lui conférer une image plus « sereine » et plus adaptée pour le statut de président de la République. Ainsi, le 2 mai 2007, il dit à Ségolène Royal lors du débat de l’entre-deux-tours : « Pour être président de la République, il faut être calme130. »

Il a été évoqué un peu plus haut la question de la mise en scène. Lors d’un entretien le 27 janvier 2009 avec les journalistes Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel131, Michel Drucker dit à propos de Nicolas Sarkozy et de son rapport aux caméras : « Il a un rapport naturel et familier avec les caméras. Moi, il m’a fallu des années pour réduire la distance entre ma spontanéité et le rendu devant les caméras. Lui n’a d’emblée aucune peur. Il avait ça dans la peau depuis toujours. Je dis souvent que c’est le meilleur animateur de la télé. » En effet, quand on aspire à une carrière politique de premier plan, il vaut mieux se sentir à l’aise face aux médias et surtout à la télévision. La spontanéité et l’aisance confèrent une image de confiance en soi et donc de force. Cela donne une certaine stature, nécessaire à celui qui aspire à de grandes responsabilités. Cependant, ici, la spontanéité est artificielle car en réalité, l’image que renvoie Nicolas Sarkozy est aussi calculée que possible. Le 30 septembre 2001, Nicolas Sarkozy est l’invité de Michel Drucker dans Vivement dimanche diffusée sur France 2. Pour préparer l’émission, Cécilia Sarkozy et Franck Louvrier (ses conseillers en communication) sont présents. Il est décidé d’inviter les parents et

129 Le Point, 29 mai 2008, p. 40.

130 Le 2 mai 2007 lors du débat télévisé de l’entre-deux-tours s’adressant à Ségolène Royal. Le débat fut diffusé sur TF1 et

France 2.

les frères de Nicolas Sarkozy. « Quand on connaît les relations des uns et des autres, ce n’était pas évident. Mais rien n’avait été laissé au hasard » raconte Michel Drucker toujours le 27 janvier 2009.

Le principe de l’émission est de laisser l’invité principal, ici Nicolas Sarkozy, choisir librement ses invités et participer activement au conducteur132. A ce propos, Michel Drucker poursuit dans le même entretien : « Aucun conseiller n’a choisi pour Sarkozy133, ni émis la moindre remarque. Avec lui, on a tout de suite vu que, non

seulement c’était un enfant de la télé, mais qu’il s’agissait en plus d’un enfant de son époque et d’un homme qui avait le goût de ses électeurs. Cela le différencie des autres. » Si Michel Drucker fait allusion aux goûts populaires de son ami, c’est qu’il le met en contraste avec d’autres hommes politiques avec des goûts bien plus élitistes comme Edouard Balladur qui n’a pas su se montrer proche d’un électorat très large et donc populaire. Michel Drucker poursuit à ce sujet : « Il n’a pas d’états d’âme. Il a un goût populaire et il l’assume. Il savait exactement ce qu’il voulait. […] C’est juste s’il ne nous demandait pas de mettre une chanson longue après une chanson courte pour rythmer l’ensemble. Il parlait avec un langage de producteur. » Entre « professionnel » de la télévision et « homme du peuple » Nicolas Sarkozy a su trouver un équilibre lui permettant de paraître naturel et sûr de lui vis-à-vis d’un public qui deviendra six ans plus tard, son électorat. Il a su séduire avec son humour, ses sauts d’humeur et même son agressivité comme un personnage authentique, en décalage avec le reste de la classe politique.

Selon les journalistes qui ont interviewé Michel Drucker, l’objectif de cette émission était de casser l’image de « traître » de Nicolas Sarkozy notamment promue par les Guignols de l’info après son soutien à Edouard Balladur en 1995 contre Jacques Chirac. A ce propos, Nicolas Sarkozy dit dans l’émission : « Il y a une grande différence entre des gens comme Laurent Gerra ou Michel Leeb et les Guignols. Je sais que ça ne se fait pas de dire ça, mais les premiers ne se prennent pas au sérieux. Ils ne décrivent pas ce qui est le bien et le mal, ce qui est le juste ou l’injuste… Ils veulent faire rire. Ce n’est pas gênant. Ils ne recourent pas à la méchanceté sur le physique des uns ou ne vantent pas la prétendue intelligence des

132 Au déroulement de l’émission, comme un co-présentateur aux côtés de Michel Drucker.

autres, ce côté : moi, je sais ce qui est vrai. Non, les Guignols n’en savent pas plus que les autres. »

Nicolas Sarkozy et ses conseillers ont fait preuve d’un double atout en termes de communication politique : le professionnalisme qui ne laisse rien au hasard et la prise de risque qui suscite l’intérêt. Le 5 décembre 2004, Nicolas Sarkozy est à nouveau l’invité de Michel Drucker dans Vivement dimanche. Il décide de solliciter Johnny Hallyday, José Frèches, futur cadreur de la Nicolas Sarkozy TV, Fabrice Santoro, tennisman ainsi que les cyclistes Richard Virenque et Laurent Jalabert et Laurent Baffie. Michel Drucker commente à propos de ce dernier : « A cette époque personne n’aurait osé. » En ce qui concerne la communication liée à l’émission, les Sarkozy ont choisi d’informer en premier lieu TV Magazine. Michel Drucker déclare, toujours au cours du même entretien, à propos de la communication des Sarkozy : « Ils l’ont choisi parce que c’est le plus grand tirage de la presse télé (plus de 4,5 millions d’exemplaires). Tout a été négocié directement par eux. Les photos, les unes pour les magazines, les interviews… Du travail de pro. »

Une autre qualité de Nicolas Sarkozy, est celle de savoir s’entourer de personnes qui peuvent lui être utiles. Nicolas Sarkozy et Michel Drucker sont amis. Ils préparent donc l’émission du 30 septembre 2001 lors d’un week-end passé ensemble à la Baule avec leurs familles. Michel Drucker poursuit dans son entretien du 27 janvier 2009 à propos de son émission: « Un vrai carton. Elle correspond à sa remontée dans le cœur du public. (…) C’est la star de la presse depuis cinq ans. Il y aurait du y avoir une sorte d’overdose. Mais, avec lui, on a à la fois et le politique et la vie privée du politique. D’un côté, on a le Sarkozy à l’assaut de l’Élysée, le Sarkozy président, le Sarkozy place Beauvau. De l’autre, on a le Sarkozy avec Cécilia, sans Cécilia, le Sarkozy tout seul, le Sarkozy avec Carla. Chaque fois, cela marche. Il fait vendre. Sarkozy, c’est le Johnny de la politique. » En effet, ses performances audiovisuelles le réconfortent et lui font dire : « moi, au moins, je fais vendre. » Michel Drucker le décrit comme une star. Produit-il le même effet chez le téléspectateur/électeur ? En tout cas, il éveille un grand intérêt. Il peut fasciner tout comme il peut déranger. Il apporte toujours de la nouveauté que ce soit dans sa vie politique ou dans sa vie privée. En ce sens, il peut effectivement être considéré comme « une vedette ». Le 7 octobre 2007, Nicolas Sarkozy répond aux questions de

Michel Drucker sur Rachida Dati, invitée principale de l’émission Vivement dimanche diffusée sur France 2. Il profite ainsi, encore une fois, d’une occasion pour faire parler de lui. Il est en promo permanente. Le problème est que cette surexposition médiatique, nécessaire aux « stars » pour leur existence, n’est pas forcément pertinente pour un homme politique.

Un autre trait commun entre la « star » et Nicolas Sarkozy est qu’il est entouré de vedettes qui viennent accroître sa notoriété. Ses amis et sa femme (Carla Bruni) viennent compléter un tableau « people » qui lui sert d’une certaine façon à faire rêver les gens (ou du moins un certain type de gens). Néanmoins, cet entourage doit veiller à ne pas être contreproductif quitte à faire des déclarations dont le style ressemble à celui de Nicolas Sarkozy. Le 11 février 2009, Carla Bruni déclare après la visite de l’hôpital universitaire de Ouagadougou au Burkina Faso : « Je ne suis pas de ces femmes qui pensent qu’en épousant un violoniste, on peut jouer dans l’orchestre. » Pierre Charon, conseiller de l’Élysée en communication, chargé de coacher Carla Bruni vis-à-vis des médias, dit le 7 mars 2009 dans un entretien avec Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel134 : « Elle découvre l’importance de la

télévision même si au départ ce n’est pas son monde. Il faut savoir qu’avant d’épouser Nicolas, elle connaissait surtout des journalistes spécialisés dans la mode et la musique. »

Nous pouvons constater que la construction du personnage politique de Nicolas Sarkozy relève ouvertement du « storytelling135 ». Nicolas Sarkozy nous raconte une histoire composée d’éléments réels mis en scène ainsi que d’éléments fictifs visant à toucher sa cible, les électeurs, émotionnellement, en s’attirant leur sympathie et en les divertissant. Il s’agit d’une esthétisation du pouvoir et de sa quête qui a toujours existé mais qui pose le problème d’un excès de pathos au détriment du

logos. Nous parlons ici de politique spectacle dont le paroxysme est peut-être atteint

avec la sortie du film La conquête de Xavier Durringer le 18 mai 2011. En effet, c’est la première fois qu’un film « de fiction » sur un président en exercice sort en salles et ce, près d’un an avant les élections présidentielles.

134 Renaud SAINT-CRICQ, Frédéric GERSCHEL, Canal Sarkozy, Flammarion, 2009, p. 179.

135 Ou raconter une histoire. Il s’agit d’une méthode de communication fondée sur une structure narrative du discours qui