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Caricatures et manque de respect pour Nicolas Sarkozy sur Canal + :

1.10.4 Les conséquences des provocations de Nicolas Sarkozy et la déconstruction d’une image filtrée par les médias

1.10.4.1 Quelques exemples de malveillance de la part des chaînes de télévision vis-à-vis de Nicolas Sarkozy

1.10.4.1.3 Caricatures et manque de respect pour Nicolas Sarkozy sur Canal + :

Les Guignols de l’info et Groland

Comme il a été dit plus haut, Nicolas Sarkozy n’apprécie pas Les Guignols de

l’info. Leurs sketchs qui accentuent des traits physiques ou de caractère semblent

exaspérer le président de la République d’autant plus que sa marionnette ne jouit pas d’une image très charismatique, contrairement à celle de Jacques Chirac. Selon l’équipe des Guignols : « Il est toujours dans l’antagonisme de Jacques Chirac, qui le gratifie de surnoms durs : "petite crotte" et "nain". »

Puisque le président de la République est suspecté d’avoir une grande influence sur les médias, il est possible de se demander si les Guignols de l’info font l’objet d’une censure quelconque. À ce propos, Yves Le Rolland, producteur des

Guignols de l’info, dit qu’il n’y a pas de comité de censure à Canal + car Rodolphe

Belmer, directeur général de Canal + protège les Guignols qui « forment une

178 Emission diffusée du 19 septembre 2000 au 29 juin 2007.

principauté indépendante au sein de la chaîne cryptée. Personne n’a le droit de regard sur leurs sketchs. Ce sont eux qui recrutent, s’il faut recruter180. »

1.10.4.1.3.1 Quelques exemples de caricatures parfois malveillantes181

20 juin 2005 : visite de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, dans une cité de la Courneuve un jour après la mort d’un enfant victime de balles perdues. Il déclare : « Les voyous vont disparaître, je mettrai les effectifs qu’il faut mais on nettoiera la cité des 4 000. » Plus tard, le 29 juin, il déclare : « Nettoyer au Kärcher est le terme qui s’impose, parce qu’il faut nettoyer tout cela. » Par la suite, les

Guignols montrent la marionnette de Nicolas Sarkozy faisant souvent allusion aux

« racailles » et au « Kärcher » et rapprochent ainsi son image de celle de Jean-Marie Le Pen, ce qui revient à le présenter comme un personnage raciste.

12 septembre 2006 : Nicolas Sarkozy se fait prendre en photo avec Georges Bush à la Maison Blanche. Par la suite, le 20 septembre Le Canard enchaîné publie un article dans lequel il est dit que Nicolas Sarkozy porte des talonnettes. Les

Guignols exploitent l’article pour leurs sketchs. Selon les auteurs : « C’est une

première chez les auteurs des Guignols, qui ne s’attaquent jamais au physique. En principe. Mais après un débat interne, l’équipe à tranché : après tout, Nicolas Sarkozy a lui-même truqué les photos. » Dans ce cas, c’est la taille de Nicolas Sarkozy et le supposé complexe qu’elle produit sur lui qui sont exploités. A partir de là et jusqu’à aujourd’hui, l’équipe des Guignols fera allusion à la petite taille de Nicolas Sarkozy quand ils considéreront cela pertinent pour leurs sketchs. Ceci n’est pas anodin, car avec ces sketchs, il est montré comme une personne qui présente deux « faiblesses ». La première liée à son physique car, dans l’esprit collectif, une petite taille est souvent associée à une certaine vulnérabilité ; la seconde, liée au manque de caractère de la personne qui n’assume pas cet aspect de son physique.

180 Dans Renaud SAINT-CRICQ, Frédéric GERSCHEL, Canal Sarkozy, Flammarion, 2009, p. 112-115.

Le 14 janvier 2007 à la porte de Versailles, Nicolas Sarkozy prononce son discours d’investiture pour l’élection présidentielle. A cette occasion le candidat de l’UMP déclare : « J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné, j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti » et aussi « J’ai changé parce qu’on change forcément quand on est confronté à l’angoisse de l’ouvrier qui a peur que son usine ferme. » Les Guignols tiennent là une occasion de rafraîchir leur marionnette et présentent Nicolas Sarkozy comme « un petit nerveux bourré au Lexomil, tentant par tous les moyens de paraître le plus détendu possible. » Dès lors la marionnette répétait souvent « cool, calme, zen ». À ce moment il s’agit de montrer le candidat UMP comme une personne prête à tout pour se faire élire, y compris agir sur son caractère d’habitude « anxieux » et « agressif ». Il s’agit de mettre en évidence la « malhonnêteté » de Nicolas Sarkozy vis-à-vis d’un électorat qui le trouverait inquiétant.

Le dimanche 6 mai 2007, lors de son élection, Nicolas Sarkozy fête sa victoire au restaurant Le Fouquet’s situé au 99 Avenue des Champs Élysées puis va rejoindre ses sympathisants à la Place de la Concorde. Les auteurs des Guignols suivent de près les déplacements du nouveau président élu et relèvent les trois jours de repos que Nicolas Sarkozy prend en famille à bord du Paloma, le yacht de son ami Vincent Bolloré, PDG de Havas (sixième groupe de communication mondial) et dirigeant du groupe d’investissements familial Bolloré. Ceci donne lieu à une nouvelle étape pour la marionnette de Nicolas Sarkozy qui entre dans la période « bling-bling ». Le nouveau président de la République est présenté alors comme un personnage égoïste et superficiel avec un fort penchant pour les produits de luxe et un mépris pour les personnes n’ayant pas atteint un niveau de vie proche du sien pour ne pas dire « les pauvres » ou « les assistés », bénéficiaires d’allocations.

Le 15 décembre 2007, lors d’une visite de Nicolas Sarkozy et de sa nouvelle épouse Carla Bruni à Disneyland Paris, le couple est photographié et l’équipe des

Guignols relève encore une fois l’image. Ils changent le registre de leur marionnette

et l’adoucissent un peu en lui faisant dire « Carla, tellement qu’elle est belle tellement qu’elle est ma femme. » Ce qui ne veut pas dire pour autant que le personnage devient plus sympathique. Cette réplique montre seulement que Nicolas Sarkozy est fier d’avoir pour femme un ex-mannequin (encore un souci d’apparence). Selon Yves

Le Rolland, lors d’un entretien le 11 mars 2009 : « Le Chirac de la grande époque était quasiment tous les jours aux Guignols. Mais on commence à s’amuser avec le personnage Sarkozy. Son image est déjà meilleure qu’à l’époque où il passait son temps à chasser les immigrés au ministère de l’Intérieur. Quant à savoir s’il va devenir une vedette, LA vedette, il faut lui laisser finir son quinquennat pour le savoir. » On peut dire que, de ce point de vue là, Nicolas Sarkozy est effectivement devenu une vedette à part entière des Guignols de l’info.

A partir du mois de juillet 2010, l’affaire Bettencourt touche directement Nicolas Sarkozy, après Eric Woerth. Les Guignols ne vont pas tarder à sortir une nouvelle marionnette pour continuer à exploiter allégrement leur nouvelle vedette : « Mamie zin-zin. » Autrement dit, Liliane Bettencourt fait son apparition dans les sketchs qui mettent en scène un Nicolas Sarkozy en train d’escroquer la vieille dame riche, qui lui donne de l’argent sans poser de questions. Une illustration humoristique d’abus de faiblesse qui va s’avérer prophétique. En effet, le 21 mars 2013, l’ex- président de la République sera mis en examen pour abus de faiblesse sur la personne de Liliane Bettencourt. Ainsi, les Guignols de l’info auront montré plusieurs facettes peu flatteuses de Nicolas Sarkozy : le « traître » de 1995, le « raciste carriériste » de 2002 à 2007, le « vulgaire bling-bling » du début de quinquennat et « l’escroc de Liliane Bettencourt » à la fin de son mandat.

Le bilan n’est pas flatteur. Après le visionnage de certaines séquences il est tout à fait possible de penser que la marionnette de Nicolas Sarkozy représente un personnage à la fois repoussant par son arrogance et sa superficialité et pathétique par ses complexes. Être un homme politique de premier plan peut impliquer de multiples critiques de ses adversaires et aussi l’impopularité dans les médias mais il serait pertinent de se demander s’il y a une limite à ne pas franchir. Si les critiques objectives et les sketchs permettant une certaine réflexion par le biais de la parodie et la satire semblent légitimes, il serait pertinent de prendre en considération la dignité de la personne. Autrement, il pourrait s’agir d’une tactique de déstabilisation à l’égard du chef de l’État. Dans ce cas une autre question se pose. Est-ce que cette déstabilisation peut se justifier ? S’agit-il d’une réponse à une attitude « non acceptable » ? Quelle est la part de responsabilité de Nicolas Sarkozy ?

1.10.4.1.3.2 L’acharnement de la Présipauté grolandaise sur Nicolas Sarkozy

En plus de l’image que les Guignols de l’info ont véhiculée de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle, d’autres personnes à Canal + semblent vraiment avoir agi contre lui ouvertement. Durant la campagne présidentielle de 2007, le candidat de l’UMP a été la cible du pays fictif « la Présipauté grolandaise », créé par Jules-Edouard Moustic pour les besoins de diverses émissions de divertissement de Canal + telles que Groland Sat, 7 jours au Groland ou encore

Groland Magazine. A ce propos, Jules-Edouard Moustic dit dans Les Inrocks d’avril

2007182 : « Cette élection pourrie on la doit à Sarkozy, c’est une évidence […]. Comme il occupe le terrain énormément, on a été obligés de l’occuper avec lui. Sa couverture dans Groland a été proportionnelle à la place qu’il prend. Sarkozy, il va dans le sens du poil de tout le monde pour prendre le pouvoir, c’est tout juste s’il ne promet pas de la vodka gratuite comme en Russie. Il s’est radicalisé au fur et à mesure de la campagne. Nous aussi. C’est pas possible d’être finaud avec quelqu’un qui tape avec des chaussures à semelles compensées. Forcément, tu sors tes santiags. »

Il est intéressant de remarquer que Jules-Edouard Moustic dénonce la communication de Nicolas Sarkozy avec un point de vue très critique. La surmédiatisation, la démagogie et la radicalisation que dénonce l’humoriste ressortent de tous les autres commentaires. En effet, si les commentateurs, dans l’ensemble, reconnaissent que Nicolas Sarkozy est très présent, aucun d’entre eux n’a semblé dire qu’il en faisait trop. Dans un entretien avec Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel le 23 février 2009183, Jules-Edouard Moustic explique : « Pendant la campagne,

c’était une pluie de coups. On cherchait comment parler de lui. On a été pris de court. Le temps que tu prépares ta blague, il avait fait trois trucs de plus qui la rendaient caduque. Du coup, on a tapé fort. Sarkozy va tellement vite, il fait tellement de choses en une journée, qu’à la fin, tu es obligé d’être frontal. » Est-il possible de considérer que Nicolas Sarkozy a « vampirisé » les médias à travers son action ? Si la

182 Dans Les Inrocks, avril 2007 cité dans Renaud SAINT-CRICQ, Frédéric GERSCHEL, Canal Sarkozy, Flammarion, 2009,

p. 129.

question se pose, la remise en question se fait du côté des médias vis-à-vis d’eux- mêmes. La chaîne, trouvant qu’il allait trop loin, a interpelé Jules-Edouard Moustic à ce propos : « Ils nous ont dit : lâchez Sarko. D’habitude, on est crétins, mais là, surtout, on n’était plus drôles. On n’était juste pas bons, en fait. On se l’est dit entre nous. On avait perdu le sens du décalage et notre art de la métaphore. » Néanmoins il semble qu’on ne peut pas parler de « censure ». En ce qui concerne d’éventuelles pressions de l’entourage de Nicolas Sarkozy, Jules-Edouard Moustic dit : « Anti- sarkozysite, on l’est de naissance. Mais personne à l’UMP ne nous a jamais appelés. »

L’hostilité de certaines personnalités de la chaîne cryptée ne date pas de l’élection présidentielle de 2007, ni de 2002. Après la victoire de Jacques Chirac en 1995, Nicolas Sarkozy est étiqueté traître. Le 17 septembre 1997, Bruno Gaccio, chroniqueur dans Nulle part ailleurs184 dit lors de l’émission : « Ça me fait toujours

bizarre, Nicolas Sarkozy ici… Pourquoi pas les 2be3 au Club de la presse ? De vous, on connaît surtout cette image de traître, qui traîne. Ça va vous coller, ça, ça va vous coller à la peau. » Et ce n’est que le début. Il poursuit son « sketch » en insistant sur la traîtrise de Nicolas Sarkozy et sur le fait qu’il perd toujours suite à ses mauvais choix. Nicolas Sarkozy juge qu’en dehors de son ami Michel Denisot et le réalisateur Renaud Val Kim, Canal + lui est hostile. Dans son entourage on raconte185 : « Il suffit de regarder le zapping jour après jour. C’est une entreprise de déstabilisation permanente de sa politique. C’est caricatural. Les chroniqueurs de La matinale, c’est pareil. L’esprit Canal souffle contre lui. Ce qui ne l’empêche pas de regarder les matchs de foot. Malgré tout, Canal + reste une excellente chaîne. Et c’est peut-être ce qui le chagrine le plus. »

184 Emission diffusée sur Canal + entre 1987 et 2001.