• Aucun résultat trouvé

2.1.4 1974-1988 : Le développement du marketing politique français

La campagne présidentielle de 1974 voit apparaître des éléments de communication nouveaux dans la politique française : la mise en scène de la vie privé des candidats, notamment dans l’affichage, et l’apparition du débat de l’entre-deux- tours devenu aujourd’hui une véritable institution. Les conseillers professionnels, souvent issus d’agences publicitaires, travaillent à l’image des leaders politiques et deviennent incontournables dans les campagnes. Ils se servent des sondages pour orienter une position, une attitude, une proposition. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing introduit des éléments de sa vie privée dans la campagne. Afin de rompre avec une image renforcée de « technocrate », plusieurs aspects de celle-ci sont mis en avant : on le voit jouer de l’accordéon, mais surtout, il est présenté avec Jeanne, sa fille cadette, dans une campagne d’affichage sans slogan. L’équipe de campagne de Valéry Giscard d’Estaing utilise beaucoup les services des instituts de sondages. Suite à son élection, Valéry Giscard d’Estaing est le premier à instaurer une cellule permanente de suivi des sondages à l’Élysée.

Le deuxième élément marquant de la campagne de 1974 est le débat entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand du 10 mai. Il est diffusé simultanément par les deux premières chaînes et tourne à l’avantage de Valéry Giscard d’Estaing lorsqu’il met en avant les failles de François Mitterrand sur les thèmes économiques. Lors des élections législatives de 1978, le tout nouveau Rassemblement pour la République (RPR) lance une campagne d’affichage avec des slogans de Bernard Brochant tels que : « Oui à la France qui gagne ! » avec l’image de Guy Drut252 sautant une haie, « Oui à la France qui invente ! » avec une photo du

Concorde253, « Oui à la France qui ose ! » avec une image d’alpiniste, « Oui à la

France du bon sens ! » avec la photo d’un paysan. Cette campagne d’affichage est,

252 Athlète français devenu homme politique

253 Le Concorde est un avion de ligne supersonique construit par l’association de Sud-Aviation (devenue par la suite

vraisemblablement, la première en France où le nom du principal leader politique d’un parti politique apparaît sans son image.

Le Parti socialiste transforme sa propagande en communication. L’influence croissante des États-Unis en matière de communication politique se fait ressentir. En effet, les primaires socialistes qui se sont avérées être un succès en 2012, sont l’aboutissement d’une appropriation de la communication politique qui va supplanter la propagande. Cependant, entre 1971 et 1981 il restait encore des réticences à adopter ce procédé venu des États Unis. En 1979, pour renforcer son image, le Parti socialiste intègre des graphistes professionnels ainsi que des photographes qui vont aider les militants à concevoir des affiches, tracts et autres supports promotionnels du parti et du candidat. Peu à peu, il va y avoir au Parti socialiste une dépossession en interne de la communication. La propagande conçue par les militants va se transformer en communication et passer sous la responsabilité de professionnels.

En dehors des partis, les médias influencent la communication en posant un cadre, notamment lors des élections présidentielles. En accord avec les partis, ils définissent le format des émissions politiques : durée de l’émission, heures d’antenne, présentation des candidats, gestion du temps de parole, plans, médiation, intervention ou non des journalistes, entre autres. Ils institutionnalisent ces élections en faisant d’elles un moment médiatique fort et suivi par de nombreux auditeurs et téléspectateurs. Le spectre s’élargit, ce qui implique une adaptation de la communication politique à un public composé d’une plus grande diversité de cibles. Les initiés de la chose publique deviennent une minorité. Il faut désormais satisfaire les demandes d’un public plus large, moins avisé et sensible aux représentations.

Lors de l’élection présidentielle de 1981, les conseillers en communication des différents candidats entreprennent de « se marquer » pour la première fois. Lorsque l’équipe de Valéry Giscard d’Estaing lance une campagne d’affichage avec le slogan « Il faut un président à la France », l’équipe de Jacques Chirac lance juste après une campagne d’affichage avec le slogan « Le Président qu’il nous faut. » Dans ce contexte, Jacques Séguéla, conseiller en communication de François Mitterrand, inscrit « La force tranquille » sur les affiches du candidat socialiste. Ce slogan est

conçu avec le concours de l’institut d’enquêtes d’opinion Cofremca254 qui mène une étude sur les flux socioculturels de la société. Cette étude en conclut à la fin de la période « post-soixante-huitarde » caractérisée par la rébellion et au début du « cocooning » ou comportement casanier qui s’annonçait comme une tendance de la société française.

En 1981, on observe aussi une grande peur de téléviser la campagne ; surtout du côté socialiste suite à la défaite de 1974. François Mitterrand avait peur de la télévision et se méfiait des conditions d’enregistrement. A cette époque on prenait 3 heures pour faire 3 enregistrements sans la possibilité de modifier le résultat final. En fin de compte, « on choisissait l’enregistrement qui semblait être le moins mauvais »

selon Jean-Marie Cotteret255. Avec la forte médiatisation des campagnes

présidentielles, un phénomène d’imitation s’installe. Les hommes politiques s’adaptent les uns aux autres et se positionnent les uns vis-à-vis des autres. Ceci les conduira à adopter des postures et attitudes de moins en moins naturelles dans un souci de protection (car tout ce que l’on dit ou fait peut se retourner contre soi) et d’efficacité en termes de résultats électoraux. C’est là que l’on trouve un des facteurs du succès de Nicolas Sarkozy. Il semble rompre avec cette tendance pour se montrer tel qu’il est. Sans s’embarrasser des contraintes du « politiquement correct ».

Le débat de l’entre-deux-tours opposant François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing a lieu le 5 mai 1981. Après sa mauvaise expérience en 1974, François Mitterrand impose des conditions au déroulement du débat : les candidats ne peuvent s’interpeller directement ni s’interrompre et les « plans de coupe » où l’on peut voir les réactions des candidats aux propos de l’adversaire son interdits. Pour veiller au déroulement du débat dans le respect de ces contraintes chaque candidat est assisté en régie par un réalisateur de son choix : Serge Moatti pour François Mitterrand et Gérard Herzog pour Valéry Giscard d’Estaing. Enfin, le temps de parole est strictement géré par deux journalistes-animateurs : Michèle Cotta et Jean Boissonnat.

L’élection présidentielle de 1981 est la première, semble-t-il, à pousser un candidat à modifier son aspect physique. François Mitterrand s’est fait corriger sa

254 La Cofremca est devenue Sociovision dans les années 90.

dentition car ses dents proéminentes et pointues lui donnaient un aspect trop agressif. En tout cas, l’efficacité de la campagne de communication menée par François Mitterrand et son équipe marque l’enracinement définitif de la communication politique moderne en France. A partir de cette année, les principaux candidats aux élections municipales de 1983 puis européennes de 1984, ont tous eu recours aux conseils de professionnels en communication politique. Les réélections de Georges Frêche à Montpellier et de Jacques Chirac à Paris, ont abouti au moyen de méthodes de communication politique employées lors des campagnes présidentielles de 1974 et de 1981. Quant à Jacques Séguéla, il est devenu une référence en communication politique en France et à l’étranger.

Concernant les élections législatives de 1986, le RPR, allié à l’UDF, a lancé une campagne de « teasing256 » inspirée de ce qui se faisait en communication

commerciale. Dans une campagne d’affichage, un petit garçon et une petite fille regardent un ciel bleu sans nuages. Sur l’affiche on peut lire « vivement demain ». Ces affiches sont posées dans toutes les villes de France. Peu de temps après, une autre campagne d'affichage apparaît montrant Jacques Chirac et le texte suivant « avec le RPR ». C'est la première fois qu'une campagne de notoriété257 précède une

campagne électorale proprement dite pour installer un candidat et lancer sa campagne. En réponse à cette astuce, les conseillers en communication du parti socialiste élaborent une campagne sans apposer leur logo avec le texte « au secours, la droite revient » et aussi « dis-moi, jolie droite, pourquoi as-tu de si grandes dents258 ? »

En 1988, François Mitterrand annonce tardivement sa candidature. Dans ce contexte, Jacques Séguéla, son conseiller en communication, prépare l'échéance électorale avec une campagne de notoriété. Il crée une série de trois affiches avec le slogan « génération Mitterrand ». Ceci s'avère très utile pour positionner François Mitterrand dans la campagne alors qu'il ne s’est même pas encore déclaré candidat. D'autre part, avec le mot « génération » il contre le possible argument de la droite qui

256 Aguichage en français, est une technique de vente attirant le spectateur par un message de communication en plusieurs

étapes.

257 Une campagne de notoriété consiste à faire connaître un produit ou dans ce cas, un homme politique afin de mieux le

promouvoir par la suite.

258 Entre aout 1985 et février 1986, il y eu un total de 7000 affiches posées en quatre vagues. Source : Philippe J. MAAREK,

est celui de l'âge avancé de François Mitterrand. En complément de cette campagne d'affichage, Jacques Séguéla est intervenu plusieurs fois à la télévision sur différentes chaînes pour créer une synergie permettant d'amplifier la notoriété de François Mitterrand avec un effet de redondance décalée (affiche, télévision). L'élection présidentielle de 1988 est la première où les candidats s'approchent officiellement du seuil des 100 millions de francs de dépenses engagés pour leur campagne. Jacques Chirac déclare 95 millions de francs de frais de campagne alors que François Mitterrand en déclare 99 millions. Quant à Raymond Barre, il déclare des dépenses qui s'élèvent à 64 millions de francs alors qu'il est éliminé au premier tour. Cette année, pour la première fois, les candidats peuvent intégrer dans leurs émissions télévisées ce qu'ils veulent sans être limités par une réglementation restrictive qui leur était imposée auparavant (décors identiques pour tous les candidats puis par la suite, un choix limité de décors, etc.). Ainsi, toutes les émissions de François Mitterrand commencent par un spot d'une minute vingt qui raconte l'histoire de France entre la révolution et son premier septennat. Cependant, les mises en scène restent limitées par l'injonction d'utilisation de moyens techniques réduits mis à la disposition des candidats.