• Aucun résultat trouvé

L'apparition des sondages dans la communication politique

1.10.5 Les sondages comme thermomètre du « sarkozysme »

1.10.5.4 L'apparition des sondages dans la communication politique

Du simple fait de leur existence, les sondages d'opinion peuvent faire dévier la communication politique, au point d'orienter le débat politique lui-même, voire de devenir le lieu central de celui-ci. De plus en plus souvent, les débats et commentaires s'orientent non plus vers l'action politique elle-même, mais vers les effets qu'ils produisent en tant qu'instruments de communication et de mesure. Selon Philippe J. Maarek203, « les médias deviennent en quelque sorte tautologiques,

201 TGI Paris, 15 décembre 1998 ; décision infirmée par la cour d'appel de Paris dans une décision du 29 juin 2000. Voir

Rémy FEKETE, « pour la liberté de publication des sondages », LPA, 12 décembre 2000, n°247, p. 12.

202 Voir en annexe 2 : le texte de la loi numéro 77-808 du 19 juillet 1977, modifié par la loi numéro 2002-214 du 19 février

2002. P. 454.

puisque la communication s'effectue sur un des éléments sur lequel elle se fonde204… Ainsi, les hommes politiques (et d'ailleurs les partis) peuvent-ils être quasiment écartés de la maîtrise de l'agenda politique, comme on peut le visualiser sur le schéma ci dessous » :

Figure 7 : agenda politique et agenda médiatique205

Ainsi, Nicolas Sarkozy comme d'autres hommes politiques, est régulièrement invité, lors de ses échanges avec les journalistes, à commenter la hausse ou la baisse de sa popularité dans les dernières études d'opinion. Ce penchant des médias envers le commentaire des résultats des études d’opinion au détriment du commentaire des propositions et programmes des hommes politiques est appelé « Horse race story » (Histoire de course de chevaux) par les américains. En effet, dans ce cas on ne parle plus des chevaux et de leurs caractéristiques mais de la course qu’ils font.

204 Voir le concept de « tautisme » de Lucien Sfez : autisme tautologique qui consiste à prendre l’image de la réalité pour

l’expression de la réalité. Selon Lucien Sfez, les médias en sont atteints, dans la mesure où ils se copient les uns les autres donnant ainsi le statut de preuve à l’information même qu’ils véhiculent. Lucien SFEZ, Dictionnaire critique de la

communication, PUF, Paris, 1993. Dans Philippe J. MAAREK, Communication et marketing de l’homme politique, Paris,

LexisNexis, 2007, p. 149.

205 Figure reprise et modifiée dans Philippe J. MAAREK, Communication et marketing de l’homme politique, Paris,

LexisNexis, 2007, p. 149. HOMME / PARTIS POLITIQUES Médias POPULATION Sondages

Agenda politique « dévié » Agenda politique « normal »

On peut considérer que cette diffusion de « course de chevaux » dans les médias est une des raisons de l’affaiblissement de la qualité du débat politique. En effet, chaque point gagné ou perdu dans les enquêtes d’opinion, semble être plus important que la cause elle même de cette évolution dans les baromètres. Par conséquent, les hommes politiques et leurs conseillers tendent à profiter de la dimension symbolique que produisent les sondages qui leurs sont favorables. Dans la mesure où les résultats sont chiffrés, ceux-ci semblent traduire concrètement les tendances de l’opinion par une sorte d’assimilation abusive entre arithmétique et crédibilité. Ainsi, les électeurs sont invités à raisonner comme suit : « si c’est un résultat chiffré, c’est qu’il doit être juste. » En revanche, quand les enquêtes d’opinion sont défavorables aux hommes politiques, ils n’hésitent pas à dénoncer une « dictature des sondages » et à remettre en question la notion d’opinion publique car en fin de compte, celle-ci n’est constituée que par la somme des réponses aux différentes enquêtes en cours avec les limites que ceci implique206.

1.10.5.4.1 L’influence des sondages d’opinion sur les thèmes de campagne de Nicolas Sarkozy

On ne doit pas blâmer les médias comme seuls responsables de la surexploitation des sondages. Si ceux-ci sont une matière première de choix pour les commentateurs, ils peuvent être un véritable fond de commerce pour les hommes politiques qui utilisent les résultats pour élaborer leur propre communication en les incorporant à leurs thématiques de campagne. En effet, un programme politique précis et prédéterminé est bien plus compliqué à élaborer qu’un programme aux lignes directrices floues et perméables aux craintes de l’électorat relevées par les enquêtes d’opinion. Dans ce cas, l’agrégation de thématiques issues des sondages forme un programme plutôt aléatoire mais efficace car il donne le sentiment aux électeurs que l’homme politique est à l’écoute de leurs inquiétudes.

206 Il est intéressant de remarquer que Jean Stoezel, fondateur du premier institut de sondages en France en 1938, décida de la

baptiser IFOP pour Institut français d’opinion publique imposant ainsi aux hommes politiques une certaine présomption de véracité dans ces travaux.

Jean-Marie Le Pen et sa fille, Marine, ont su se laisser porter par les sondages rencontrant le succès qu’on leur connaît depuis le milieu des années quatre-vingt. Depuis cette période, le programme politique du Front National se fonde essentiellement sur ce que les sondages rapportent comme étant les principales craintes des électeurs, dont l’immigration est le socle. Lors des primaires socialistes de 2006, Ségolène Royal a également adopté cette tactique en se positionnant par rapport aux sondages. Philippe J. Maarek207 relève à propos de la candidate

socialiste : « assez naïvement, la candidate reconnut même publiquement sa préoccupation de "l'opinion publique" en répondant à une question sur l'entrée éventuelle de la Turquie dans l'union européenne « je pense ce que pensent les Français. » Cette expression est d'ailleurs une constante de longue date dans la bouche de Ségolène Royal. On peut citer par exemple ses paroles, « vous savez bien que ce à quoi les Français sont les plus attachés, c'est l'égalité devant le service public », prononcées lors d'un débat sur la décentralisation et la déconcentration du service public à l'Assemblée nationale du 21 novembre 2002, paroles auxquelles répondit d'ailleurs le rapporteur, Pascal Clément « tout à l'heure le représentant du groupe socialiste a répété fréquemment : "c'est ce que pensent les Français, c'est ce que veulent les Français." Nous sommes nombreux à penser que les Français veulent garder leur mairie, leur maire, leur commune. » La controverse de 2006 n'est donc pas nouvelle208 ! »

Ceci illustre l’importance des instruments d’analyse de l’opinion pour les hommes et les femmes politiques. En effet, malgré leurs inconvénients, ceux-ci sont bien plus efficaces que ne l’étaient jadis, au Moyen-Âge, « les espions du roi » ou que le système de renseignements et de quadrillage de la population du début du XIXe siècle voulu par Fouché. Cependant, si les sondages sont très utilisés des personnalités politiques, celles-ci n’ignorent pas qu’ils posent quelques problèmes techniques et qu’ils ne sont pas infaillibles. En effet, les résultats qui en découlent ne sont qu’une photographie de l’opinion à un moment donné et n’ont pas de valeur prédictive. D’autre part, ils ne représentent qu’une approximation de ce que pense l’ensemble des électeurs. Selon Thierry Vedel209 : « La marge d’erreur dépend de la

207 Dans Philippe J. MAAREK, Communication et marketing de l’homme politique, Paris, LexisNexis, 2007, p. 152.

208 Dans JO Débats 22 nov. 2002.

taille de l’échantillon. Lorsqu’on interroge 1 000 personnes, la marge d’erreur est de plus ou moins 3%, avec un intervalle de confiance de 95%, autrement dit, si le résultat donné par le sondage est de 47%, il y a 95 chances sur 100 pour que le "vrai" résultat soit situé entre 44 et 50%. » Il faut considérer aussi que les sondages peuvent être utilisés dans le cadre de stratégies de communication. Leurs résultats, présentés sélectivement, peuvent promouvoir certaines personnalités politiques ou mettre en avant leurs sujets de prédilection dans l’agenda politique210 pour influencer le débat.

Les détracteurs des sondages estiment qu’ils sont plus des objets de manipulation des électeurs que des outils d’analyse scientifique. Ceci n’empêche qu’ils sont toujours largement utilisés et qu’ils ont une importance incontestée pour les hommes politiques et les médias.

210 Sujets qu’un parti politique met en avant de façon stratégique afin qu’ils soient relayés dans les médias et l’opinion