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Les conséquences de l’utilisation des sondages d’opinion.

1.10.5 Les sondages comme thermomètre du « sarkozysme »

1.10.5.3 Les conséquences de l’utilisation des sondages d’opinion.

L’usage de plus en plus récurrent des études d’opinion présente des conséquences sur l’homme politique et ses électeurs car ils peuvent être influencés. A ce propos, Philippe J. Maarek explique199 : « l'existence et l'utilisation des sondages

d'opinion se font sentir clairement et de façon objective, non seulement sur le comportement ultérieur des individus (en quelque sorte de façon interne à leur propre sphère, "les enquêtes d'opinion" construisant "l'opinion publique"), mais aussi de façon externe, dans la sphère "du" politique, ne serait-ce qu'en influant sur le comportement des hommes politiques, qu'il s'agisse de leurs actes ou de leurs propos. » Ainsi, ces conséquences se traduisent par des effets qui ont été identifiés.

Il est aisé de constater que la connaissance des résultats des sondages en période électorale peut entraîner des modifications de comportement chez les électeurs. Il se peut que les électeurs, peu mobilisés, de l'homme politique qui se trouve en détresse, constatant les résultats des enquêtes d'opinion, se mobilisent d’avantage pour le soutenir et se décident à voter pour lui. Dans une moindre mesure, il est également possible que des électeurs indécis, avec un penchant pour le camp adverse, modifient leur vote en faveur de l'homme politique en difficulté. C'est ce qu'on appelle l'effet « underdog ». Cet effet a été invoqué pour la première fois lors de l'élection improbable de Truman face à Dewey en 1948 aux États-Unis. Nicolas Sarkozy a aussi pu en bénéficier en 2012, réduisant ainsi son écart avec François Hollande.

Un autre cas de figure est celui de l’homme politique qui, se trouvant en tête des enquêtes d’opinion, va rallier à lui des électeurs moyennement favorables à sa candidature au départ. L’explication ? Tout simplement pour faire comme la

majorité ! C’est l’effet « bandwagon » évoqué lorsque Jacques Chaban-Delmas fut dépassé par Valéry Giscard d’Estaing dans les sondages, puis lors du vote de l’élection présidentielle de 1974. Cet effet eut également lieu en 2006, lors des primaires socialistes pour l’investiture à l’élection présidentielle de 2007. Ségolène Royal s’imposa grâce à une montée importante de sa cote de popularité dans les sondages tandis que ses concurrents avaient du mal à décoller et stagnaient derrière elle.

Ces effets, bien que notables, sont diffus et non quantifiables. L’un peut pendre le dessus sur l’autre sans raison apparente mais dans tous les cas, ils peuvent être vite identifiés pour être utilisés lors d’une campagne de communication politique. Cependant, il est également possible que ces deux mouvements s’équilibrent et donc, que l’effet direct de la connaissance des résultats des enquêtes d’opinion par les électeurs soit finalement peu important.

En ce qui concerne l’effet « bandwagon » (dont François Hollande semble avoir bénéficié en 2012), il se produit de manière considérable auprès des militants et des sympathisants de l’homme politique bénéficiant de résultats favorables dans les sondages car cela les conforte dans leurs choix de départ et leur sert de stimulant pour la suite de la campagne. Cet effet peut également motiver les sympathisants pour s’investir d’avantage, notamment de façon financière. Ainsi les conseillers en communication politique disent : « Les bons sondages font les bonnes finances. » Ce mécanisme explique en partie l’intérêt des hommes politiques pour les chiffres et les résultats des sondages pendant la campagne.

1.10.5.3.1 La réglementation corollaire des sondages en France

Pour limiter les effets « underdog » et « bandwagon, » la loi du 19 juillet 1977 sur les sondages prévoit une interdiction de publication des résultats la veille des échéances électorales et pendant le scrutin. Par conséquent, cette loi interdit, en théorie, de publier, de diffuser et de commenter tout sondage à ce moment et ce, sous le contrôle de la Commission des sondages.

Au départ, cette loi prévoyait l’interdiction de la publications de sondages une semaine avant l’échéance électorale. Mais on s’est s’interrogés sur les effets pervers de cette loi car, après sa publication, les journalistes se mirent à évoquer des sondages précédents et parfois dépassés. D’autre part, s’est posé le problème de l’amplification de la différence entre les résultats de vote et les derniers chiffres publics obtenus par sondage. Ceci ayant des conséquences psychologiques et politiques concernant les déplacements de voix des derniers jours du scrutin :

- Conséquences psychologiques car il peut y avoir incompréhension d’un résultat en décalage avec les dernières prédictions publiées. Les scores de Jean-Marie Le Pen en 1988 et en 2002 au premier tour témoignent de ce disfonctionnement.

- Conséquences politiques car les candidats peuvent être biaisés, comme Edouard Balladur en 1995 et Lionel Jospin en 2002 avec des conséquences lourdes pour leurs partis politiques respectifs. Nicolas Sarkozy en a également fait les frais en 1995.

De plus, des « sondages privés », non publiés, continuent à être réalisés. Par conséquent, la non-publication des sondages privés donnent un avantage considérable aux hommes politiques dont le parti a les moyens financiers d’en commanditer et ce, au détriment des partis moins aisés financièrement. De ce fait, certains politistes comme Roland Cayrol, ont pu considérer que l’interdiction des enquêtes d’opinion pendant la dernière semaine d’une échéance électorale était « antidémocratique200 ».

Internet est un outil qui doit également être pris en considération à partir du moment où il est accessible au plus grand nombre. Cet outil, ne tient pas compte des frontières ni des lois qui s'exercent à l’intérieur de celles-ci. Nous pouvons citer à titre d'exemple les élections législatives de 1997. À cette occasion, le site helvète du journal La Suisse communiqua les chiffres des sondages parus durant la période d'interdiction en France. Par conséquent, tout français disposant d'un accès à Internet était en mesure de consulter ces chiffres alors que les médias français avaient

l'interdiction de les communiquer. Cette situation aberrante finit par inciter le quotidien Le Parisien à publier directement les résultats des derniers sondages. Suite à cette publication, il y eut une action en justice gagnée par le quotidien en première instance devant le TGI de Paris, qui estima que la loi de 1977 « ne constitue plus une mesure nécessaire dans une société démocratique […] mais aurait, au contraire, pour effet de créer une discrimination entre citoyens au regard du droit à l'information201. » Par la suite, la loi du 19 février 2002 a mis fin à cette situation irréaliste, où les lecteurs et auditeurs pouvaient trouver sur Internet ce que les journalistes français n'avaient pas le droit de publier. Cette loi a réduit l'interdiction de publication des sondages à la veille et au jour de chaque tour de scrutin en précisant les modalités d'intervention de la Commission des sondages en période électorale202. Enfin, on peut

considérer qu’un des principaux problèmes concernant les enquêtes d'opinion est celui de leurs effets indirects, à commencer par l'utilisation excessive qui en est faite par les hommes politiques. De ce point de vue, la communication politique peut être considérablement influencée voire détournée pour deux raisons : la première est l'effet de leur reprise par les médias, et la deuxième, l'effet de leur reprise par les hommes politiques eux-mêmes dans le cadre de l'élaboration de leurs thématiques de campagne.